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Fathia Bennis, la grande dame des marchés financiers (en vidéo)
Elle a été tour à tour patronne de l’Office national du tourisme, de la Bourse de Casablanca, puis aux commandes de Maroclear, le dépositaire central. Malgré ses postes de haute responsabilité, elle est active dans la société civile. Retour sur un parcours hors norme.
Personnalité incontournable du monde de la finance, elle a marqué ce milieu pendant plus de deux décennies et occupé des postes à haute responsabilité dans un univers souvent dominé par les hommes. Mais malgré un parcours hors norme jalonné de succès, elle sait faire preuve d’une humilité à toute épreuve. Fraîchement retraitée, c’est dans sa demeure que Fathia Bennis nous accueille, dans une ambiance conviviale et bon enfant, dénuée de protocole. Au lendemain de son départ de Maroclear, elle raconte son parcours, partage ses rêves, confie ses projets d’avenir et révèle les obstacles rencontrés en cours de route…
Une carrière exceptionnelle
Très jeune, Fathia a des rêves plein la tête. Elle souhaite tour à tour devenir pilote, puis archéologue, ou encore, pour celle qui s’intéresse aux relations interétatiques, intégrer une organisation internationale, telle que l’ONU. Des métiers difficilement conciliables avec ses responsabilités de femme mariée et mère de deux enfants, au vu des déplacements qu’ils nécessitaient. Qu’à cela ne tienne, Fathia aura tout de même une carrière exceptionnelle. Avec une licence de droit public et un doctorat en relations économiques internationales en guise de bagage, elle revoit dans un premier temps ses ambitions à la baisse, mais sa détermination, elle, reste intacte.
C’est donc haut la main qu’elle intègre Bank Al-Maghrib, à la direction des marchés des capitaux. Un épisode dont elle garde un souvenir précis. «Sur 127 personnes ayant passé le concours, sept ont été retenus dont une femme. C’était moi». Chez BAM, elle fait ses classes, dans un contexte de zone de turbulence pour le Maroc. «Je suis arrivée à l’époque du Programme d’ajustement structurel, mis en place avec le FMI. Nous étions toujours dans les délais impartis pour la réalisation des actions recommandées».
Finalement, Fathia Bennis aura passé pas moins de 17 ans de sa vie au sein de la banque centrale, jusqu’en 1998 où elle a été nommée directrice générale de la Bourse de Casablanca, un réel saut quantique dans sa carrière, dont elle n’est pas peu fière. «J’ai eu le privilège d’être la première femme à la tête de la Bourse, à l’époque où seule une autre dans le monde gérait une telle institution à Genève», rembobine celle qui a pris ses quartiers dans la «tour de verre» à une époque où le marché financier était à peine à ses débuts, marqué par une réticence des dirigeants à introduire leurs sociétés en bourse. «Avant l’IPO, les sociétés passaient par un contrôle fiscal. Il fallait que leur situation soit limpide avant de sauter le pas. C’est quelque chose qui a beaucoup freiné. Nous avons fait des pieds et des mains pour exclure cette mesure pré-IPO», se souvient-elle. Elle est ravie que les conditions aient évolué et que d’énormes efforts de communication et de sensibilisation soient fournis pour faire connaître la Bourse. Mais beaucoup de chemin reste à faire pour développer la place.
Fathia ne s’est pas éternisée à la tête de la Bourse, puisque, deux années plus tard, elle est nommée directrice générale de l’ONMT. À l’évocation de cette expérience, elle esquisse un sourire : «Un très beau souvenir». Cette surprenante nomination, notre financière l’impute au tapage médiatique consécutif à sa nomination à la tête de la Bourse, et pas qu’au niveau national. «Le plus beau pays du monde, c’est mon slogan», lance celle qui œuvre pour l’exécution de la première stratégie nationale du tourisme fixant un objectif de 10 millions de touristes. Des problèmes de santé prendront finalement le dessus, et Fathia quittera la direction de l’Office du tourisme.
Retour au marché financier
Alors qu’elle prenait le temps de se rétablir, Youssef Allal Al Bakhti, alors patron de Maroclear, tire sa révérence. C’est là qu’on lui propose de diriger le dépositaire central du pays. Retour alors aux premières amours : la finance en tant que directrice générale en 2007, puis PDG à partir de 2009. Elle y passe le reste de sa carrière et laisse le flambeau à Mounir Razki, le 20 janvier 2023. Une lourde responsabilité, puisque le dépositaire se charge de la gestion des comptes de tous les émetteurs, y compris ceux du Trésor. «Ce sont 2.200 milliards de dirhams qui sont gérés au quotidien. Nous n’avions pas le droit à l’erreur», prévient celle qui, ayant baigné de longues années dans la finance, n’a pas trouvé de grandes difficultés à diriger l’institution.
Toutefois, elle reconnaît sans peine que son talon d’Achille était la digitalisation. «C’était un peu difficile à suivre. Tout était informatisé, j’ai peiné pour réussir à m’adapter». D’ailleurs, la digitalisation, Fathia n’en a jamais été une grande fan. «Cette trajectoire que prend le monde, ça déshumanise. Je pensais qu’après la crise sanitaire, les choses changeraient. Mais c’est le contraire qui s’est produit». Entre une confession et une autre, Fathia nous fait part d’un projet qu’elle avait en tête et qui, pour elle, ne verra malheureusement pas le jour. «Maroclear s’approvisionne de l’Inde pour son système informatique. On peut le faire en interne et le Maroc dispose de compétences bien calées en la matière. Cela reviendra à moindre coût et l’on pourra même, à terme, exporter notre savoir-faire en Afrique et même en Europe», ambitionnait celle qui n’est pas adepte de la digitalisation. Mais «ce n’était pas dans les prérogatives de l’institution», lance-t-elle avec une pointe de regret.
La cause féminine lui tient à cœur
Toujours est-il que Fathia aura passé 17 ans au sein de Maroclear, soit autant qu’à BAM. À l’heure des bilans, est-elle fière de son parcours ? Plutôt fière d’avoir servi son pays. En quittant Maroclear, elle n’a pas manqué de rappeler à ses collègues leur mission première : «N’oubliez pas que vous travaillez pour votre pays». Si elle a un conseil à donner, surtout aux femmes, c’est de se méfier de la surprotection «masquée» de personnes qui les entourent. «Nul ne peut vous favoriser ou vous propulser, si ce n’est vous-même et votre implication», lâche-t-elle.
À la fin d’un parcours riche et d’une vie personnelle remplie avec deux enfants et trois petits-enfants, Fathia est une femme comblée. Elle ne regrette rien et même avec une machine à remonter le temps, elle ne désire rien changer à son parcours, quoique le tourisme l’a passionnée. Elle aurait souhaité y rester plus longtemps et exploiter toutes les pistes pour faire rayonner le Maroc. «C’est normal, j’adore le pays et je souhaite que les autres l’apprécient, du moins ceux qui ne le connaissent pas encore», souhaite-t-elle.
En parallèle de sa vie professionnelle bien remplie, notre férue de la finance est aussi un membre actif de la société civile. De fait, elle est membre de plusieurs associations de premier plan, telles que l’AFEM, Women’s Tribune… La cause féminine lui tient à cœur : «On doit reconnaître à la femme ses compétences, chacune en fonction de ses capacités». D’ailleurs, maintenant qu’elle est à la retraite, Fathia s’adonne complètement à ses missions associatives. Plusieurs évènements sont en cours de préparation, comme la femme dans l’entrepreneuriat, la femme en Méditerranée, la femme en politique.
Fidèle à elle-même, son agenda reste très chargé. Et à côté de tout cela, elle s’intéresse aussi à l’écologie et est membre d’une association, Terre et humanisme, fondée par Pierre Rabhi (figure emblématique de l’agro-écologie en France). Elle espère que les médias œuvreront davantage à sensibiliser les Marocains à l’utilisation de l’eau et, là encore, «les femmes ont un grand rôle à jouer». Insatiable, elle nous révèle qu’elle compte reprendre l’apprentissage de la langue anglaise, pour bien la maîtriser et l’utiliser sans difficulté. «If you can dream it, you can do it», Fathia !
Profil
Elle a rapidement pu se frayer un chemin dans le monde sélect de la finance. Même avec deux enfants à charge, qu’elle a élevés toute seule ; son mari ayant rendu l’âme «très tôt», elle ne se trouve aucune excuse. Elle se bat contre vents et marées pour y arriver et elle réussit. En plus de 37 ans de carrière, elle a contribué au développement du marché des capitaux.
En aparté :
• Montagne ou mer ? Plutôt mer.
• Livre de chevet ? Je suis une amoureuse de la lecture. Je lis beaucoup en ce moment sur la religion. Cela m’apporte un certain équilibre.
• Livre qui vous a marquée ? Il y en a beaucoup. Il y aura d’autres jolis mois de mai, de Jacques Attali et Femmes puissantes, de Léa Salamé.
• Type de musique ? Surtout les classiques : Mohammed Abdelouahab, Oum Kelthoum, Jacques Brel, Charles Aznavour, sans oublier le Bolero de Ravel. Je n’aime pas trop le modernisme actuel.
• Un des bons souvenirs ? Une société qui a tenté l’aventure IPO pendant mon passage à la Bourse et qui, depuis, a réussi son extension à l’international.
• Un espoir pour le Maroc ? Donner plus de place à la culture. Intéresser les Marocains à la lecture, l’écriture, la peinture…