Influences
Exclusif. Gad Elmaleh se livre comme jamais (en vidéo)
Casablanca, la famille, la religion.. les confessions d’alias « Joe Goodman ».
C’est avec le sourire et sans langue de bois que la grande star du stand-up a répondu à nos questions. Ses réponses teintées d’humour et pleines de sens sont porteuses de messages d’espoir et d’optimisme à la jeunesse marocaine.
En tournée au Maroc depuis le 29 janvier 2023, l’humoriste natif de Casablanca se prête au jeu des questions-réponses dans un exercice sans ambages et sans langue de bois. Gad se livre et nous confie ses zones d’ombre, ses questionnements existentiels et spirituels, ses fiertés et son amour pour le Maroc et particulièrement Casablanca, la ville où il a grandi et qu’il aime de manière inconditionnelle. Gad, ou encore Joseph, son deuxième prénom, méconnu du grand public, revient d’ailleurs sur l’origine de ce prénom et l’histoire de sa famille, tout en encensant le rayonnement économique du Maroc et ses intentions d’investir dans son pays natal. Tout y passe. Révélations sur sa vie sentimentale, ces projets de livre et son prochain show en darija, Gad se livre dans un exercice amusant, non exempt de messages de tolérance et d’espoir.
Comment ont été les retrouvailles avec votre public marocain ?
A chaque fois que je viens jouer au Maroc, je rencontre une énergie et une ambiance très particulières. Le show était très réussi. J’aime interagir avec ce public, avec lequel je peux m’adonner à des improvisations que seuls les Marocains comprendront et qui serait compliqué de réaliser ailleurs. Il y a quelque chose de jubilatoire et d’excitant que je ne ressens qu’avec ce public magnifique. Et puis, cet attachement avec Casablanca et le Maroc font que je ressens un trac et un stress particuliers. Je l’ai dit au public : «C’est comme quand on est devant la famille et qu’on a peur de décevoir».
Vous vannez souvent les religions avec un humour fin. Y a-t-il de plus en plus d’autocensure, cauchemar ultime de tout humoriste ?
Totalement. Je pense qu’il y a un grand tabou autour des religions. Les religions, c’est un sujet qui crispe, mais c’est un sujet que j’ai choisi de traiter, pas par goût de provocation, mais j’aime bien montrer les travers et l’aspect comique dans chaque religion. Mais tout dépendra de ce que tu mets derrière lorsque tu vas parler d’un thème. On a des humoristes que lorsqu’ils traitent de la religion ou de la politique, ils vous mettront tout de suite mal à l’aise et ça sera très glaçant. Je pense qu’on peut vanner les religions, si c’est fait avec beaucoup de subtilité. J’aime me moquer avec tendresse et respect des rabbins, des imams, des prêtres, de montrer le côté absurde des religions, mais en même temps, j’aime mettre en avant le côté fraternel. Et ce n’est pas grave s’il y a des gens qui ne réagissent pas bien. Vaut mieux ne pas plaire à tout le monde et faire ce qu’on veut, plutôt que de façonner, d’arranger, de convenir de notre travail pour plaire. A mon âge, à ce moment de ma carrière, j’ai envie de parler de tout.
Vous le faites aisément en France? Comment vous percevez la laïcité dans sa version française?
La laïcité est un sujet qui me passionne. Je ne l’ai pas très développé au Maroc, parce que c’est un sujet qui ne provoque pas de débat social ici, mais c’est un vrai sujet en France. J’ai souvent pensé que la laïcité était nécessaire, qu’elle me protégeait en tant que citoyen, mais ça reste un sujet très tendu en France. Je pense qu’elle ne doit pas nous écarter de la spiritualité, de croire ou de ne pas croire. La laïcité n’implique pas une absence de spiritualité et de religion, au contraire, elle doit garantir la liberté à tout un chacun de pratiquer sa religion, comme il l’entend et surtout qu’on ne lui impose rien. Je voudrais, par ailleurs, préciser un constat très important. En France, on entend souvent parler du vivre-ensemble, un concept institutionnalisé et politisé, alors que le vivre-ensemble devrait être organique et naturel. Si on veut donner un exemple du vivre-ensemble, ça devrait être ce que j’ai vécu au Maroc pendant mon enfance, et ce, malgré les complexités qui pourraient exister. Quand j’étais gamin à Casablanca, j’ai vécu cette fraternité judéo-musulmane malgré toutes ses complexités. Nous étions une famille. Ce n’était pas un projet social et politique, on était juste ensemble, dans nos différences et nos ressemblances. On jouait dans la rue ensemble et on s’en foutait si tu étais musulman, juif ou chrétien. C’est ça le vivre-ensemble.
Vivre-ensemble et famille font partie de nos valeurs. Avez-vous été touché par l’image des Lions de l’Atlas saluant leurs mères…
C’est une image très émouvante. D’ailleurs, il y a quelques semaines, j’ai eu l’honneur de rencontrer le Pape François au Vatican et j’ai évoqué avec lui le Maroc et les valeurs de ce pays. Il était très touché. On a aussi parlé du parcours admirable des Lions de l’Atlas avec Walid Regragui qui nous a fait rêver et nous avons discuté des valeurs de la famille, de la mère, de cette image des joueurs saluant leurs mères, et comment Sa Majesté a invité les joueurs avec leurs mamans. Ça m’a bouleversé. Ça correspond parfaitement à ce que je suis et à mes valeurs. C’est ce que je vis au quotidien.
Dans «Reste un peu», votre dernier film, vous vous cherchez. Êtes-vous toujours en quête de foi ?
C’est une vraie et une bonne question dans la mesure où beaucoup de gens, avant de voir le film, ont mal compris, en se disant que c’était un projet de conversion. Ce qui n’est pas important à mon sens. Comme vous dites, il y a un peu de tout : une quête de foi, de vérité, de sens, une crise existentielle… Je suis toujours en train de me poser des questions. Je suis très intéressé par les religions en général et je ne veux pas me renfermer dans ma propre religion, mais je veux qu’on me laisse questionner, qu’on me laisse même aller faire un tour ailleurs. Alors, oui, je suis encore dans cette quête et ça me procure beaucoup de joie, ça m’apporte énormément. J’ai grandi dans une famille juive marocaine, qui m’a transmis les valeurs du judaïsme marocain, de la culture marocaine, mais je suis attiré aussi par d’autres choses qui m’appellent et ça on ne le contrôle pas. Je suis à l’écoute, j’explore. C’est bien, parce que je tire du plaisir de choses qui sont profondes et authentiques.
Crise existentielle ou plutôt une crise de la cinquantaine ou les deux à la fois ?
Ça se peut que ça soit une crise de la cinquantaine. C’est marrant, les Américains appellent ça «Middle life crisis», la crise de la moitié de la vie. Je ne sais pas si 50 ans représentent la moitié de la vie, sinon ça serait parfait. Chez les hommes, cette crise est assez comique. Ils développent une forme de volonté absolue de paraître jeune, de s’habiller comme un jeune, ils commencent à faire du sport… Parfois, ça peut être un peu triste, car tu les vois se battre contre leur âge, mais entre nous, moi aussi j’ai eu cette crise de la cinquantaine. Tu te dis, je commence à vieillir, à avoir les cheveux blancs, la ride du lion, les pattes d’oie, mais en même temps, c’est parce qu’on a vieilli, qu’on a appris des choses, c’est parce qu’on a avancé dans la vie, que l’on comprend et qu’on a plus de sagesse. C’est plutôt positif, vous ne trouvez pas ? Il y a une phrase que j’ai entendue il n’y a pas longtemps : «Quelle est la différence entre un homme intelligent et un homme sage ? Le premier est celui qui sait trouver les solutions à tous les problèmes, qu’un homme sage a su éviter».
Que voyez-vous lorsque vous vous regardez dans le rétroviseur ?
Quitte à paraître prétentieux, je dis que je suis fier de mon parcours, pas de manière orgueilleuse, mais je suis heureux et reconnaissant envers la vie, le monde, Dieu, ma famille, d’avoir pu m’accomplir comme artiste. Je le vois, je le vis, je le ressens. Quand je me regarde à l’arrière, je me dis aussi, j’ai bien fait de suivre ce chemin, car je ne pense pas que j’aurais fait un autre travail. En venant vous retrouver aujourd’hui pour cette interview, je suis passé par le quartier CIL à Casablanca, j’ai revu mon ancienne école Georges Bizet. Des souvenirs et beaucoup de nostalgie. Mon envie d’être comique a débuté très tôt, et je me dis que j’ai bien fait de choisir ce que je voulais faire. Les enfants doivent, dans la mesure du possible, suivre leurs rêves, et cette petite flamme, ce petit secret qui les animent.
A La Vie éco, on parle forcément économie, le Maroc se développe à grande vitesse sous l’impulsion du Roi Mohammed VI. Comment percevez-vous ces réalisations ?
Je suis toujours touché par les tentatives qui sont faites en termes de développement économique au Maroc et je pense qu’il y a réellement quelque chose qui est en train de se construire, notamment sur la manière par laquelle on communique. On a réussi à bien marketer le Maroc en trouvant un ton qui est juste, organique, pas folklorique, mais qui n’est pas non plus pseudo-modernisant en abandonnant complètement notre identité et nos valeurs. Cette réalité vient aussi d’une jeunesse hyper connectée, pas que sur les réseaux sociaux, mais surtout mentalement. Cette fenêtre d’internet qui nous ouvre sur le monde, sur les nouveaux modes d’apprentissage et sur cette forme d’omniscience permanente autour de nous, fait que notre jeunesse s’ouvre davantage vers le monde. Et ça fait du bien. Faudrait vraiment que j’investisse au Maroc (rires).
Dans la culture ?
Bien évidemment.
Sur le registre politique, qu’implique pour vous concrètement le rétablissement des relations entre le Maroc et Israël ?
C’est étonnant de parler de normalisation, un mot qui me sonnait toujours bizarre, puisque ça n’a jamais été anormal. En tout cas, je m’en réjouis, mais en même temps je ne suis pas complètement surpris. Les Juifs de France sont, par exemple, très contents, mais ceux qui ont grandi au Maroc, ils se disent que c’est tout simplement le prolongement et l’officialisation de quelque chose qui existe déjà. Il y a toujours des exagérations, des fantasmes et des déformations, mais ce que je peux dire c’est qu’on est en train de manifester quelque chose qui existe dans le rapport entre les deux communautés et c’est tant mieux. C’est exemplaire et c’est un message de paix.
Acteur, humoriste, réalisateur… Quel est votre prochain cap ou aventure ? Écrivain comme votre sœur Judith Elmaleh ?
Je vais attendre que j’avance dans l’âge pour écrire un livre. J’aimerais bien y raconter de belles anecdotes. J’ai eu des rencontres assez inattendues. J’ai eu des moments dans ma vie que je n’ai pas pu raconter dans mes spectacles ou mes films et que je pourrais transmettre à travers l’écriture.
Et pourtant, vous n’arrivez toujours pas à lire un bouquin ?
J’ai toujours un problème avec la lecture. J’avais une approche scolaire, fastidieuse et laborieuse. Je ne voulais pas qu’on m’oblige à faire quoi que ce soit. Aujourd’hui, je prends du plaisir à lire selon mon instinct de curiosité. Je ne crois pas que parce qu’on a lu beaucoup de livres, qu’on est forcément très intelligent et très cultivé. On peut, certes, emmagasiner de la connaissance, mais ce qui m’a appris beaucoup de choses dans ma vie, c’est l’expérience humaine, psychologique, sociologique, de mes voyages, de mon quotidien et le fait de vouloir comprendre les gens à aller vers eux. Actuellement, je m’intéresse beaucoup à la religion et à la théologie, mais je n’ai pas de patience pour lire des romans. Je ne suis pas un grand lecteur, mais actuellement je lis une biographie de Jésus. Je veux comprendre qui était cet homme, ce Juif qui a lancé tout ce truc (rires).
Vous jouez bien au piano, à la derbouka, vous chantez bien. Vous rêviez d’une carrière de musicien ?
Quand j’étais jeune à Casablanca, on avait créé un groupe de musique qui s’appelait Melody (création d’ailleurs incroyable de mettre un Y à mélodie). J’étais pianiste dans le groupe. Il y avait un batteur, un guitariste, un bassiste, un chanteur, Youssef, très doué. A cette époque, je voulais être musicien. Et plus j’avançais, et plus il y a avait beaucoup de travail pour me perfectionner dans la musique. En parallèle, la comédie était une matière assez naturelle pour moi. Le choix a été fait rapidement. Aujourd’hui, je joue de la musique de temps en temps par plaisir. On apprend avec l’âge qu’on ne peut pas tout faire, je le fais plus comme un hobby. J’ai même fait un album, mais je le fais pour le plaisir ou avec mon fils à la maison, je lui joue du piano.
Judith Elmaleh dit vouloir mourir à Essaouira, et vous ?
Elle est allée un peu fort. Vous savez, je suis très attaché à ma sœur et je ne voudrais pas être loin d’elle. Ceci dit, malgré tout ce qu’on peut dire sur Casablanca, je suis très attaché à cette ville. Il y a quelque chose de chaotique, de brutal parfois, mais j’y trouve mon compte. J’y fais des balades incognito souvent seul, avec un masque et une casquette. Je me balade, je vais dans des endroits de mon enfance, j’ai besoin de ça. Casa, c’est une matière pour moi. Casa, c’est un fuel pour mon âme. Après, je peux aller à Marrakech, Essaouira, mais Casa, ça me correspond, elle me ressemble. Elle est folle, douce, brutale, rassurante, de temps en temps elle pète un câble, mais elle reste élégante. J’aime Casablanca.
Vous avez un deuxième prénom : Joseph. Vous n’en parlez presque jamais. C’est quoi son histoire, l’histoire des Elmaleh et des Goodman des États-Unis ?
Exactement. Vous êtes bien informé. «That’s a great question my friend». J’adore ça, parce qu’il s’agit d’un petit truc que je me fais secrètement dans la tête et là vous me le dites comme ça, c’est marrant. En fait, oui, mon deuxième prénom c’est Joseph. Ça remonte à l’histoire des Elmaleh, des séfarades d’Espagne venus au Maroc. Ceux qui sont partis aux États-Unis sont devenus les Goodman -(Elmaleh veut dire bon en français et good en anglais (NDLR)-
Que serait le Joseph Goodman des States ?
Le Joe Goodman américain serait peut-être un acteur, ou plutôt un écrivain. Qui sait, un jour, j’écrirais un livre sous le nom de Joe ou Joseph Goodman. Tiens, c’est intéressant. Je vais me pencher sur la question.
En parlant des States, le couscous de l’Walida manquait-il à votre American dream ?
(Rires) Bien sûr que ça m’a manqué, mes parents m’ont trop manqué. L’American dream a été une parenthèse, une bulle très bénéfique pour moi en tant qu’acteur et humoriste, mais en tant qu’homme, elle m’a appris énormément. C’était un challenge fou. Je partais aux USA pour recommencer à zéro, alors que j’avais tout ce que je voulais. Je me rappelle qu’un jour, Jamel Debbouze m’avait dit pourquoi tu vas aller te faire mal. Il m’a dit «et s’ils ne rigolent pas à tes blagues, comment tu vas faire ?». Je lui ai dit, ce n’est pas grave, je reviendrai en France. C’est ce que Woody Allen m’avait dit en voulant me rassurer. Vous savez, je suis attiré par le risque, ça m’excite. D’ailleurs, mon projet de spectacle en darija m’anime, pas seulement parce que je suis Marocain et que je veux le faire, mais parce que c’est difficile. Je ne suis pas attiré par la facilité.
Comment avance ce projet ?
Il s’agira d’un show 100% en darija que je diffuserai sur une plateforme, soit Netflix, Canal Plus ou Amazon. Des discussions ont été entamées dans ce sens avec les trois plateformes.
Actuellement, je suis en train de réfléchir sur les thématiques. Cependant, pour écrire un spectacle en darija, il faut passer du temps au Maroc et collaborer avec différents artistes. C’est un projet qui prendra un peu de temps mais je le commencerai dans pas longtemps.
Des rues de Casablanca, à côtoyer les grands de ce monde, à rencontrer le Pape, le Roi du Maroc, des chefs d’État… Rien n’est impossible ? Un message à la jeunesse marocaine ?
Oui, rien n’est impossible. Et si j’avais un message à adresser à la jeunesse marocaine, c’est qu’ils vivent vraiment leurs rêves avec force et abnégation. Parfois, on me dit que c’est facile d’avancer ça, parce que j’ai réussi. Je leur dis que c’est parce que j’ai réussi mon chemin et que je suis passé par là, que je peux le dire. Mon père n’avait pas des relations dans le show-business et ma mère n’était pas actrice. Je me suis vraiment battu pour aller au bout de ce rêve et ce rêve il existe bel et bien. Si j’ai réussi, pourquoi pas vous. Il suffit d’y croire et d’y travailler avec force et concentration.
Apparemment, vous n’êtes plus un cœur à prendre ?
J’ai dis ça en plaisantant chez Mouloud Achour et j’ai vu que ça a été repris un peu partout. Et comme tout est repris assez vite, voudriez-vous bien me présentez quelqu’un? (Rires).
PROFIL
Né le 19 avril 1971 à Casablanca, Gad grandit au sein d’une famille juive marocaine, où l’autodérision, les blagues et la bonne humeur étaient omniprésentes. Son frère Arié est acteur et sa sœur, Judith, que La Vie éco a interviewée il y a un mois, est metteuse en scène et écrivaine.