Société
Santé mentale : les patients souffrent aussi d’une sérieuse stigmatisation
La prise en charge des troubles mentaux est limitée par l’insuffisance des infrastructures, des ressources humaines et du coût du traitement. Les patients et leurs familles doivent aussi faire face à l’exclusion sociale. Reportage au Centre psychiatrique du CHU de Casablanca.

Les lundis sont très difficiles au Centre psychiatrique du CHU de Casablanca. Le célèbre «36», connu pour l’accueil et le traitement des personnes atteintes de troubles mentaux. Grande affluence des patients et de leurs familles devant le portail, maintenu fermé par mesure de sécurité, de ce centre qui gère tous les patients de la Wilaya du Grand Casablanca. Ils viennent pour vérifier les dates de leur rendez-vous, pour des consultations, pour des formalités administratives, pour prendre des rendez-vous ou pour se renseigner sur les prestations servies et les malades qui peuvent en bénéficier. Le directeur du centre, les agents administratifs ainsi que les agents de sécurité, tous s’occupent de ces personnes et essaient de régler rapidement les problèmes afin d’éviter d’éventuels dérapages…
Mais toute cette animation dans les couloirs, les allers et venues des familles et des patients, l’impatience des uns et des autres, n’empêchent pas de remarquer que ce centre psychiatrique, vétuste, il y a quelques années encore, a changé : des bâtiments rénovés, bien entretenus et propres, des espaces verts, des salles d’attente aménagées, des salles de consultations équipées ainsi que des pavillons hommes et femmes sécurisés pour les patients dits «libres». Le lieu se veut, en dépit de la maladie et de la détresse des familles, plus accueillant aussi bien pour les patients que pour leurs familles. En effet, selon son directeur, le professeur Batas Omar, «nous avons pu, grâce à des fonds donnés par des bienfaiteurs, réaliser les aménagements du centre notamment l’extension de certains bâtiments, des salles de consultations, l’aménagement des services d’urgence Et pour moderniser la gestion du centre, nous avons procédé à la numérisation de plusieurs services, ce qui nous permettra de disposer des informations administratives et statistiques relatives à notre activité. Des informations pouvant servir éventuellement de base à la réalisation d’études sur la santé mentale d’une façon générale et par ailleurs, pour un suivi et, une traçabilité des patients que nous suivons». Aujourd’hui, il faut souligner qu’il est encore difficile de mener un travail scientifique sur la santé mentale au Maroc. L’étude réalisée en 2006 par le ministère de la santé et plus récemment le rapport publié en 2012 par le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) sont les deux références en la matière. Bien que les statistiques aient fait l’objet d’une grande polémique, elles sont les seules actuellement à renseigner sur l’état de ce secteur. Ainsi, selon le ministère de la santé, 40% des Marocains âgés de 15 ans et plus souffrent d’un trouble mental : soit 26,5% de troubles dépressifs, 9% d’anxiété généralisée, 5,6% de troubles psychotiques. Les femmes sont plus touchées que la gent masculine (48,5% contre 34,3). Par ailleurs, on retiendra également l’insuffisance des infrastructures et des ressources humaines. Et pour preuve : le pays dispose actuellement de 2 000 lits et 400 psychiatres…Et cette insuffisance est bien notoire au Centre psychiatrique du CHU Ibn Rochd. Ils sont quatre professeurs à y exercer et les services d’urgence sont assurés par les résidents. Environ une douzaine. «Ce qui est insuffisant et nous manquons également de médecins généralistes pour la prise en charge des maladies organiques que peuvent développer nos patients. Le centre manque aussi de psychologues ainsi que d’autres spécialités nécessaires pour le suivi continu des patients», dit Omar Batas, qui ne manque pas de signaler que le centre s’est doté d’un service d’art thérapie qui prend en charge les patients du centre. Il s’agit d’une méthode visant à utiliser le potentiel d’expression artistique et la créativité d’une personne à des fins psychothérapeutiques ou de développement personnel.
Le centre dispose d’une capacité de 104 lits…
Cette prise en charge rentre dans le cadre de l’évolution de la prise en charge des troubles mentaux. Le traitement médicamenteux, à lui seul, ne suffit pas car, aujourd’hui, s’accordent à dire plusieurs spécialistes, «il faut, soigner le malade, lui expliquer sa maladie, sensibiliser et assister les proches. Les familles sont en détresse et il faut les accompagner». C’est dans ce dessein que le Centre psychiatrique du CHU a mis en place une prise en charge de socio-éducation. Celle-ci permet d’expliquer aux parents ce qu’il faut faire, répondre à leurs questions et les guider pour l’accompagnement du malade. Car les familles sont aujourd’hui devenues un maillon important dans la chaîne de soins du patient atteint de troubles mentaux. Et leur rôle diffère en fonction du type de pathologie.
Le centre psychiatrique, autrefois appelé 36, dispose d’une capacité de 104 lits et accueille une centaine de patients hospitalisés dont une vingtaine de femmes. Il dispense en moyenne 40 à 50 consultations par jour. Appelées également consultations à froid pour les différencier des consultations dans des états de crise qui sont assurées dans le service des urgences. Service où sont réalisées en moyenne soixante consultations. Les responsables du centre signalent que le nombre de consultations enregistre un pic après Ramadan. Ce qui s’explique par le fait que durant cette période, et en raison du changement de mode, les malades ont souvent des difficultés à s’adapter, subissant ainsi des perturbations au niveau des heures de sommeil et de la prise des médicaments. Ils sont nombreux à arrêter leur prescription, ce qui aboutit le plus souvent à des rechutes, notamment chez les cas compliqués de dépressifs et les anxieux. En revanche, dans les cas chroniques, les schizophrènes ou les bipolaires, Ramadan est mieux vécu et l’adaptation se fait facilement. Il importe de noter que, très souvent, les interdictions de jeûne recommandées par les médecins ne sont pas respectées.
Parmi les cas traités dans ce centre, on notera que les pathologies les plus fréquentes sont la dépression (très souvent diagnostiquée chez les femmes), les troubles de comportements, notamment la schizophrénie, le trouble bipolaire ou bien ceux dus à un excès de psychotiques et enfin l’anxiété morbide. Les malades y viennent spontanément, amenés par leurs familles ou bien sont adressés par des confrères du secteur privé ou public. Le centre reçoit aussi des personnes en détresse sociale (des SDF ou des personnes en errance atteintes d’Alzheimer). Selon les responsables du centre, 95% des patients sont des bénéficiaires du régime de l’assistance médicale pour les économiquement démunis (RAMED). Les patients couverts par les mutuelles ou les assurances privées se dirigent, quant à eux, vers les praticiens privés. Le coût de la prise en charge varie bien évidemment en fonction des pathologies et de leur sévérité. Selon les familles, la prise en charge peut aller de 2 000 à 3 000 dirhams, couvrant les consultations et les médicaments. Mais, globalement, selon le directeur du centre qui n’en donnera aucune estimation, les soins sont accessibles. Il notera toutefois que le budget des médicaments demeure insuffisant, notamment lorsqu’il s’agit de molécules de nouvelle génération. Sachant que les prescriptions concernent principalement les génériques afin de permettre un large accès aux soins. Celui-ci est également limité par la faiblesse de la capacité litière du centre dont les responsables sont parfois contraints de refuser des patients. Ce qui est très mal vécu par les malades mais surtout par leurs proches qui sont désespérés et désemparés face à la maladie et la précarité. La santé mentale peut avoir de graves conséquences sur le moral des proches. Rarement préparée à cela, souvent très peu informée sur la maladie, la famille est complètement perdue. Et c’est pour cette raison que plusieurs associations de malades ou de leurs familles ont vu le jour. On peut citer, notamment, l’Association marocaine pour l’appui, le lien, l’initiation des familles des personnes souffrant de troubles psychiques (Amali), l’Association marocaine des usagers de la psychiatrie (Amup) ou encore plus récemment Moussanada. Elles proposent des programmes de sensibilisation et de communication destinés aux proches avec pour objectif d’écouter les malades et leurs proches qui souffrent de stigmatisation car les maladies sont, comme partout dans le monde, mal acceptées par la société. Cette stigmatisation, apprend-on auprès des associations, engendre inévitablement une exclusion de ces malades, qui ont beaucoup de mal à s’insérer dans la société en général, et en particulier dans la vie professionnelle en raison de l’absence de postes adaptés ou encore du regard porté sur eux par les collègues…Une situation bien difficile et lourde à porter dont ont pris conscience les pouvoirs publics durant ces dernières années. En effet, depuis 2012, le ministère de la santé accorde une large place à la santé mentale dans sa stratégie sectorielle. La stratégie a permis la création de plusieurs services dans les CHU des grandes villes, en prenant en compte les recommandations du CNDH et de l’OMS qui préconisent l’instauration de services spécialisés intégrés dans les hôpitaux plutôt que la création d’hôpitaux spécialisés pour éviter encore une fois la marginalisation des malades. Ce qui permettra de renforcer l’offre existante. Trois hôpitaux devraient aussi voir le jour dans les villes d’Agadir, El Kelaâ et à Kénitra.
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