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Société

Ouvrières du textile : un travail éprouvant pour des miettes

Elles travaillent dans des conditions difficiles et contraignantes. Mais elles se battent plus que les hommes pour leurs droits…

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Textile

«Benate Lmaâmel». Toutes les ouvrières du textile rencontrées dans la zone industrielle d’Ain-Sebaâ rejettent cette appellation qui, disent-elles, est dégradante et quasiment une insulte. «Nous travaillons à la sueur de notre front et grâce à notre travail les patrons gagnent de l’argent. Grâce à notre travail, nos familles peuvent vivre dans des conditions décentes». Les ouvrières aujourd’hui ont une perception valorisante de leur travail en dépit des difficultés et des contraintes lourdes à gérer.

Elles sont âgées de 20 ou 50 ans, elles sont issues de familles très modestes et mènent un rythme de vie qu’elles qualifient de «bezaf!». Autrement dit infernal. Elles  sont, pour la plupart d’entre elles, au bord du burn-out professionnel. Epuisées par des journées de 10 heures de travail et par des tâches parfois trop lourdes pour elles. Les ouvrières rencontrées dans la zone industrielle d’Ain-Sebaâ  sont épuisées par le travail et les tâches domestiques en contrepartie, disent-elles, d’«un salaire insuffisant et d’une ingratitude familiale». Elles sont dures envers elles-mêmes et envers la société. Soit leurs patrons, leurs parents et leurs conjoints. Elles sont, en dépit d’une amélioration de leur statut, pour la plupart d’entre elles analphabètes, elles  ont dû abandonner l’école avant de passer le certificat d’études primaires, elles sont également originaires de la campagne qu’elles ont dû aussi quitter pour améliorer leur vie et prendre en charge leurs familles. Concernant leur statut social, on notera qu’elles sont essentiellement divorcées et mères célibataires. Et celles qui sont célibataires refusent de se marier car «makayinche mâmen. Les ouvriers comme nous n’ont pas un bon revenu et même si c’est le cas ils veulent tous que l’on supporte une grande partie des charges du foyer». Alors qu’elles recherchent toutes un bon parti qui devrait subvenir à leurs besoins et leur permettre d’arrêter le travail et d’être femme au foyer. Un statut très convoité par ces ouvrières qui avouent ne pas avoir de vie. Dans quelles conditions travaillent-elles? Pour quel salaire et quelle protection sociale ? 

Toutes les femmes rencontrées dans cette ancienne zone industrielle casablancaise dénoncent la pénibilité du travail et le niveau de la rémunération. Leur salaire varie en moyenne en fonction des heures supplémentaires de 2 000 à 3 500 dirhams. Mais, nuance Naima, ouvrière dans une usine de sportswear, «lorsqu’une ouvrière est qualifiée et qu’elle encadre une équipe, son salaire peut atteindre les 5 000 dirhams». Mais elle tient à souligner que cela est valable dans les usines organisées et gérées par des patrons qu’elle qualifie de «inssani et moutakki». Pour sa collègue et aussi cousine qu’elle a ramenée de leur douar de la région de Safi, «les ouvrières sont victimes de hogra au niveau du salaire et de la promotion. Surtout lorsqu’elles n’ont pas fait d’études». C’est pour cela que Naïma s’est inscrite dans des cours d’alphabétisation car elle veut «prendre son destin en main et pouvoir se défendre».

Les ouvrières, pour trouver du travail, ont toujours fait du porte-à-porte et se sont présentées spontanément dans les unités de production. Aujourd’hui, remarque un source syndicale, certains patrons recourent à des agences d’intermédiation pour avoir des profils précis et surtout pour éviter des conflits par la suite. Mais, comme l’explique un inspecteur du travail, «l’embauche directe est encore privilégiée car elle est beaucoup moins contraignante pour la durée et la rémunération du travail». Selon Najia, ouvrière âgée de 45 ans, «les patrons préfèrent des jeunes ouvrières de 20 et même moins, célibataires et donc d’une grande disponibilité, qui peuvent travailler et faire des heures supplémentaires». Mais, poursuit-elle, «ces filles ne sont pas qualifiées et nous, les anciennes, sommes obligées de les former sans contrepartie. Pour mon cas, je fais trois fois par semaine des séances de formation gratuitement. Mon entreprise bénéficie de mon savoir-faire et je n’ai pas de contrepartie. Alors que dans d’autres pays, des profils comme le mien, donc avec une grande expérience, ont des postes de responsabilité et sont bien payés». Outre la formation, Najia ajoute que parfois les femmes sont affectées à des postes de contrôleuses qui sont, selon ses propos, «des postes ingrats car cela crée des conflits avec les collègues».

Allergie, surdité et varices: des maladies chroniques fréquentes

Les ouvrières sont majoritairement des opératrices, notamment des traceuses, bobineuses, finisseuses ou encore piqueuses.

Il est rare de trouver une femme dans l’encadrement car, selon les ouvrières rencontrées, les postes de chefs d’équipe sont accordés aux hommes.

Outre le salaire qui se situe en moyenne entre 2000 et 3 000 dirhams, les conditions de travail des ouvrières restent contraignantes : rythme infernal surtout en période de haute saison et d’export, fatigue, harcèlement et parfois même insultes.

Amina, âgée de 25 ans, raconte avoir changé quatre fois d’emploi en une année. Et pour cause, «dans les différentes usines où j’ai travaillé, les chefs d’équipe étaient impolis, grossiers et vicieux. Et lorsqu’on leur tient tête ils nous punissent en réduisant le nombre d’heures supplémentaires ou bien en nous affectant à des tâches que l’on ne maîtrise pas pour dire aux patrons que nous ne sommes pas qualifiées».

Et parfois, il faut soudoyer le chef d’équipe pour décrocher le poste ou bien le garder. C’est ce qui explique, entre autres, selon Amina, le grand turn-over dans les usines de textile qui est aussi dû, poursuit-elle, «aux promesses d’augmentation de salaire et de reconduction des contrats faites par les patrons au moment de l’embauche». Selon les ouvrières, la durée du travail est souvent de six mois à deux ans, jugée comme période de stage par l’employeur qui le plus souvent n’hésite pas à renvoyer les filles pour manque de qualification. Certains chefs d’entreprises affirment que l’apprentissage des ouvrières se fait sur le tas dans les usines et que parfois ils sont dans l’obligation, pour des raisons de productivité et de qualité, de se séparer de certaines ouvrières dont la période de formation n’a pas été concluante.

Par ailleurs, le travail dans les usines est aussi caractérisé par la fréquence de certaines maladies. Les ouvrières se plaignent de varices, de maux de dos, d’allergies… de migraines, de surdité. Des pathologies dues aux conditions de production notamment  le bruit des machines, la chaleur et les positions de travail. «Ce qui induit des dépenses régulières de santé qui ne sont pas remboursées lorsque l’on n’a pas de couverture médicale. Aujourd’hui, il est vrai que dans certaines usines les ouvrières ont l’AMO, mais il faut dire que les patrons ne déclarent pas l’ensemble du personnel. Seulement une partie de la main-d’œuvre  bénéficie de la couverture maladie, et, pour le reste, il y a juste une promesse qui peut durer des mois ou des années à défaut de la régularisation de la situation des ouvrières. Et cela est dû à l’embauche directe de la main-d’œuvre aux portes des usines», dénoncent des ouvrières de la zone Hay Moulay Rachid. On notera tout de même une amélioration au niveau de la protection sociale notamment pour les entreprises travaillant avec des donneurs d’ordre anglais ou allemands qui sont très regardants sur les conditions de production.

Les usines exportatrices font souvent l’objet de visites inopinées des clients étrangers. Hormis le cas de ces entreprises, dans le milieu syndical et de l’inspection du travail, on souligne «la précarité dans les usines de textile dûe à la sous-déclaration et la non-déclaration des employés au niveau de la protection sociale». Et dans le même sens, les ouvrières mariées avancent que plusieurs d’entre elles n’ont pas pu bénéficier d’un congé de maternité comme le prévoit la loi car elles ont dû reprendre très vite le travail, craignant la perte de leur poste. 

Craignant l’insécurité, elles organisent leur déplacement…

A cette crainte s’ajoute la peur d’être agressée sur le chemin du travail. Ainsi, la durée du trajet et l’éloignement obligent ces ouvrières à habiter, pour la plupart d’entre elles, non loin des zones industrielles. Et toute leur vie est organisée dans ce sens. «J’ai été obligée de me séparer de mon fiancé qui habite la Médina alors que je travaille à Hay Moulay Rachid. Devant habiter avec ses parents âgés, il n’a pas accepté de déménager et habiter avec moi à Ain Sebaâ ou Hay Mohammadi», déplore Fatiha. Et ce sont les mêmes contraintes qui ont obligé Rachida à louer une pièce avec ses amies ouvrières au lieu de déménager avec ses parents qui ont acheté un logement social à Errahma. «Je rends visite à ma famille le week-end lorsque je ne fais pas d’heures supplémentaires. C’est bête de ne pas vivre en famille alors que nous sommes dans la même ville !».

Cependant, toutes les ouvrières n’ont pas la possibilité d’habiter à proximité de leur travail. Certaines sont obligées de suivre le mari ou la famille et supportent donc les charges du transport qui grèvent une bonne partie de leurs revenus. Sans compter que l’éloignement les expose au risque d’agression. Pour cela, elles organisent leur déplacement : les ouvrières se déplacent en groupe ( l’union ne fait-elle pas la force ?) ou recourent à un arrangement avec un chauffeur de taxi qui les récupère le matin à un point de ralliement et les prend en fin de journée à la porte de l’usine. Et cela a un coût : 150 à 200 dirhams par mois. Mais lorsqu’il y a un imprévu ou un contretemps, les frais peuvent augmenter. Prendre le taxi permet de maîtriser quelque peu son temps et arriver à l’heure au travail. Mais celles qui ne peuvent pas payer le transport en taxi se contentent du bus en s’organisant pour éviter d’arriver en retard à l’usine et des réductions de salaire.

Conscientes qu’elles n’ont pas d’autres moyens de gagner leur vie, les ouvrières organisent leur vie en fonction de leur travail : choix du quartier d’habitation, heure du réveil, horaire du transport, organisation des tâches ménagères et sorties avec la famille lorsque cela est possible.

Ce qui leur fait dire, et de façon quasi unanime, «ce n’est pas une vie, on ne vit pas pour nous mais pour les enfants, les époux, les parents et les patrons. Car il faut travailler pour eux, arriver à l’heure pour eux et endurer pour eux…».

[tabs][tab title = »Les ouvrières sont plus engagées dans la défense de leurs droits que leurs collègues hommes« ]Avec très peu d’alternatives pour gagner leur vie, les ouvrières du textile défendent ongles et bec leur boulot. Et selon les centrales syndicales, elles sont plus engagées que les hommes dans les mouvements de contestation et s’organisent mieux que leurs collègues hommes. Elles sont prêtes à tout pour manifester leur mécontentement: marche, occupation d’usines et médiatisation de leur mouvement. Elles sont plus curieuses que les hommes et font des recherches sur leurs droits dans le milieu du travail, sur la protection sociale et les conditions d’accès à la propriété. D’ailleurs, selon ces mêmes sources, parmi les ouvrières qualifiées et ayant une ancienneté dans leurs emplois, elles sont nombreuses à être propriétaires de leur logement. Une façon pour ces femmes, au quotidien dur, d’être autonomes et de s’imposer face à des conjoints voire des parents parfois gourmands et intéressés…[/tab][/tabs]