Société
Maghreb Arabe Presse : 50 ans et 800 dépêches chaque jour
Créée en 1959 comme une entreprise privée d’information, elle est tombée dans l’escarcelle de l’Etat à partir de 1974.
Avec 303 journalistes, 23 bureaux nationaux et 21 internationaux c’est l’une des plus importantes agences de presse du monde arabe. Elle produit de l’information 24h/24 et 7j/7.
Un vent de liberté souffle depuis quelques années sur la ligne éditoriale, mais l’autocensure reste très répandue.

En plein centre de la capitale, avenue Allal Ben Abdallah, se dresse un building de cinq étages. C’est le siège de l’agence Maghreb Arabe Presse (MAP) depuis 1988. L’agence officielle de presse du Royaume est une véritable machine à produire des infos : jusqu’à 800 dépêches par jour et un fonctionnement non-stop : 24h/24, tous les jours de la semaine. Il faut dire qu’avec une large couverture au niveau national (l’agence possède 23 bureaux régionaux) et une présence au niveau des principales capitales internationales (21 bureaux et 14 correspondants répartis sur les cinq continents), la MAP a de quoi alimenter son flux d’informations.
Créée en 1959, l’agence de presse marocaine a d’abord été une entreprise d’information privée (SA) avant de tomber dans l’escarcelle de l’Etat en janvier 1974. Mehdi Bennouna, son fondateur qui vient de décéder le 23 mars à l’âge de 92 ans, est un pionnier du journalisme marocain qui a fait ses études au Caire au début des années 40 et travaillé au sein du mythique quotidien cairote Al Ahram.
Selon de nombreux témoignages, au-delà de sa ligne éditoriale en ligne avec les positions officielles de l’Etat, la MAP a toujours été une véritable école d’apprentissage du journalisme au Maroc. Plusieurs noms connus actuellement dans le monde de la presse y ont affûté leurs plumes, certains ont fini par créer leur propre support de presse. Mohamed Selhami (Maroc Hebdo), Abdallah Lamrani (La Vérité), Abdallah Stouky, Mustapha Isnasni (actuellement au CCDH), feu Abderrahim Bargach…, sans parler d’un certain André Azoulay, le premier correspondant à Paris de l’agence avec le lancement de son premier bureau international en 1976. Abdellah Stouky qui a fait un passage dans l’agence en 1965 et 1966 se souvient des débuts de la MAP. «Nous étions une poignée de journalistes, une quinzaine au plus, formés sur le tas. Mais au-delà des moyens limités, c’était la première fois de ma vie où je me suis trouvé dans un cadre professionnel, respectueux des principes déontologiques du journalisme. Je me souviens encore de ce reportage international que j’avais fait à l’occasion du premier festival mondial des arts nègres organisé à Dakar en 1966».
De connotation maghrébine d’abord (on est en 1959, l’Algérie n’était pas encore indépendante), l’agence se marocanise petit à petit, les deux voisins maghrébins créant chacun son organe avec l’aide et l’expérience du même Mehdi Bennouna.
Cinquante ans après sa création, la petite agence aux moyens rudimentaires est devenue un mastodonte de l’information, employant plus de 300 journalistes, dont une bonne part déployée à l’international et dispose de moyens relativement sophistiqués. L’époque des dépêches envoyées et reçues par lignes télégraphiques (télex) et télescripteurs est révolue. La MAP de 2010 n’a rien à envier aux grandes agences mondiales comme l’Agence France Presse, Reuters ou Associated Press. 400 abonnés permanents sont branchés au «fil» de la MAP via un réseau de transmission par satellite, par internet ou encore grâce au SMS. La MAP a même commencé, comme les grandes agences, à créer des fils spécialisés. Par exemple, celui du sport dirigé par Mohamed Benchrif, un ancien de la maison, est déjà opérationnel. Plus que cela, l’agence planche, avec la venue du niveau directeur en janvier 2009, sur un projet de MAP-TV.
La MAP dispose d’un million d’archives sur le Maroc, une mine à exploiter par tous les journalistes
Lundi 22 mars, au siège de l’agence, troisième étage. Un plateau d’une centaine de mètres carrés, entièrement rénové depuis peu. Un matériel et un mobilier flambant neufs. La direction y a réuni provisoirement toute la rédaction en attendant la fin des travaux de rénovation d’un autre plateau au deuxième étage ; le quatrième et le cinquième, eux, sont réservés à l’administration et à la direction générale. Le premier, lui, est occupé par la direction de l’informatique et le service archivage. La maison MAP dispose d’une mine d’archives (estimé à un million de documents) retraçant l’histoire du Maroc depuis les premières années de l’Indépendance, avec un système numérique de traitement et de gestion.
Plusieurs services se côtoient dans la salle de rédaction et trois groupes se relayent pour assurer la continuité de l’activité nuit et jour. Menée par Jamal Mouhafid, directeur de l’information, qui a intégré la boîte en 1988 après un passage au ministère des affaires étrangères et un autre au barreau de Rabat, l’équipe de journalistes est composée, dans sa majorité, de jeunes issus de l’Institut supérieur d’information et de communication (ISIC) ou de l’ex-Institut supérieur de journalisme (ISJ), mais aussi de quelques vétérans, à l’instar de Hossein Faouzi, le chef de service internet, avec ses 35 ans d’ancienneté et qui s’apprête à partir en retraite. L’homme connaît la boîte comme sa poche pour y avoir travaillé avec tous les directeurs généraux qui se sont succédé à la tête de l’agence, mis à part Mehdi Bennouna. Il s’agit successivement de Abdeljalil Fenjiro, Yassine Mansouri, Mohamed Khabachi et Ali Bouzerda (voir encadré ci-dessus). Quelle différence entre la MAP de 2010 et celle des années 1970 et 1980 ? «La MAP, quels que soient son DG et le ministre de tutelle, est une entreprise d’Etat et a toujours fonctionné comme son porte-parole. Sauf qu’actuellement, en plus des informations officielles, l’agence traite d’économie, de société, de culture, de sport, avec une diversification des sources…», répond M. Faouzi. L’ombre du ministère de l’intérieur ne plane plus, il est vrai, sur le fonctionnement de l’agence et la langue de bois de naguère abondamment utilisée s’est un peu amenuisée, selon les dires des anciens. Il faut dire que les journalistes connaissent les limites de la liberté d’expression et du traitement de l’information dans une agence appartenant à l’Etat. Résultat : l’autocensure est présente plus qu’ailleurs.«Il vaut mieux que l’info passe, avec un traitement autocensuré, que pas du tout», commente, pragmatique Saïd Rifaie, chef du desk culture. Et ce lauréat de l’ISJ, avec ces 16 ans de service, d’ajouter pour étayer son propos : «Récemment, j’ai réalisé un entretien avec l’écrivain Abdellatif Laâbi à l’occasion du Salon du livre de Casablanca. Il fallait que je coupe les morceaux que je jugeais osés pour détourner la censure. Mais d’un autre côté, je dois avouer que depuis quelques années les infos passent sans poser de gros problèmes». De gros problèmes ? C’est par exemple le fait d’être chapitré par son supérieur hiérarchique, d’être privé de ses primes ou d’être mis au placard et ne plus profiter comme d’autres journalistes de déplacements et de voyages à l’étranger. Comme ce journaliste qui, au début des années 90, a couvert une activité du ministre de l’intérieur et a passé l’info sans en avertir au préalable le ministère concerné, alors département de tutelle de l’agence. Le tollé fut d’autant plus retentissant que l’organe de presse semi-officiel, en l’occurrence Le Matin du Sahara, relayait dès le lendemain l’information, avec illustration en photos. Il faut dire que cette atmosphère tyrannique pesait sur la qualité du travail du journaliste, et beaucoup parmi eux avouent avoir souvent traité des informations la peur au ventre, «surtout quand il s’agissait d’informations à caractère politique», précise un journaliste qui a vécu cette période.
Côté sources, il faut dire qu’à la diversification de sujets que traite la MAP actuellement correspond une diversification de sources. On n’est plus dans le schéma de la seule source étatique. Les journalistes font un vrai travail d’investigation et d’enquête, et les sources peuvent être aussi bien l’Etat qu’un parti politique, un syndicat, une ONG, ou un simple correspondant régional qui envoie une information puisée sur le terrain.
Un statut et des salaires à revoir
Il reste que si un petit vent de liberté a soufflé sur la MAP pendant ces dix dernières années, le poids de la bureaucratie pèse encore sur le fonctionnement de l’agence. Désigner par exemple d’urgence un journaliste porter main forte au chef de bureau de l’agence à Tripoli à l’occasion du dernier Sommet arabe n’était pas en soi chose difficile. Sauf que ledit envoyé ne pouvait bénéficier sur le champ d’une dotation en devises pour son voyage en raison d’une procédure longue, il devait donc se débrouiller lui-même. «Contrairement à ce que beaucoup croient, il arrive à nos journalistes de faire un travail de militants», commente M. Mouhafid, le directeur de l’information.
Autre contrainte, celle de la nécessaire neutralité, spécialement dans le domaine politique. La MAP a été maintes fois accusée, à tort ou à raison, de faire de la discrimination et privilégier l’information favorisant des partis politiques ou des syndicats au détriment d’autres. Pas plus tard qu’en février dernier, le Parti de l’Istiqlal (PI) accusait ainsi l’agence de couvrir outre mesure les activités du Parti authenticité et modernité (PAM) de Fouad Ali El Himma (dont on dit que Ali Bouzerda, le dg de la MAP, est un ami). L’Istiqlal est même allé se plaindre auprès du ministre de tutelle Khalid Naciri. Outrée par ce comportement jugé injuste, la direction de l’agence a réuni toutes les dépêches couvrant l’activité du parti depuis la venue du nouveau directeur Ali Bouzerda, «une pile de centaines de pages», et l’a envoyée au ministre. «Et encore ! nous n’avons pas envoyé les infos couvrant les activités des ministres istiqlaliens, cela aurait fait plusieurs volumes», estime M.Mouhafid.
La société civile, elle, et nombre de partis de la gauche radicale sont tout aussi véhéments. Selon eux, la MAP est «une agence publique au service de toute la société, il faut qu’elle traite tout le monde sur un pied d’égalité». «Ce n’est pas la faute de l’agence, rétorque le directeur de l’information. Si on ne reçoit pas des informations sur leurs activités, comment les diffuser?»
Dernier point : le problème des salaires au sein de l’agence. Si le professionnalisme s’est fait une place, s’il y a diversification de sources et un peu plus de liberté dans le traitement de l’info, les salaires des journalistes de l’agence sont qualifiés de dérisoires par rapport à ce qui est pratiqué au sein d’autres organes de presse, fussent-ils étatiques comme la Radio nationale ou la chaîne Al Oula. Sans parler de 2M et d’autres organes de presse privée, écrite ou radiophonique. «Ici, un journaliste démarre sa carrière avec un salaire de 4 000 DH, il la finit, 35 ans après, à 15 000 DH. Il perçoit, ensuite, une retraite de misère, pas plus que le tiers de son salaire. Nous sommes les derniers des Mohicans», ironise un journaliste qui exerce dans la boîte depuis 20 ans. Ali Bouzerda, le directeur de l’agence depuis janvier 2009, en est conscient. «La situation matérielle des journalistes de la MAP, convient-il, reste malheureusement prisonnière d’un statut caduc dans la mesure où les salaires ont une valeur, qu’on peut qualifier sans exagération, de symbolique par rapport au travail fourni et au suivi de l’actualité nationale et internationale 24h/24».
Des salaires à revoir, mais c’est aussi le statut de la MAP qui devrait être revu (voir entretien). Reste que, côté financier, la machine est tributaire de l’Etat puisqu’il est son principal pourvoyeur de fonds : sur les 240 millions de dirhams que gère l’agence (chiffre de 2009), seuls 14% proviennent de la vente d’abonnements.
