Société
Liberté de conscience : le Maroc face à ses contradictions
Si la nouvelle Constitution garantit la liberté de pensée et réaffirme son attachement aux droits de l’homme, le Code pénal, lui, est truffé de lois qui sont en opposition au libre droit de choisir ce que l’on veut être ou penser.
Peut-on dans le Maroc d’aujourd’hui changer de religion ou déclarer ouvertement son athéisme sans être inquiété ? La nouvelle Constitution, adoptée à la quasi-unanimité des Marocains garantit-elle la liberté de conscience telle qu’universellement reconnue ? C’est pour répondre à ces questions que le Collectif démocratie et modernité (CDM) a organisé le 28 janvier dernier une rencontre à Oujda. Objectif avoué : rédiger un plaidoyer pour la liberté de conscience à soumettre au gouvernement. Le Maroc a certes adopté une nouvelle Constitution le 1er juillet dernier. Mais si elle stipule dans son article 25 qu’elle «garantit la liberté de pensée et d’expression sous toutes ses formes en conformité avec les droits humains universels», le collectif nous rappelle que «cette même Constitution restreint certaines libertés individuelles et collectives notamment dans le cadre de ce qui a été désigné comme l’identité nationale immuable des Marocains, qu’il s’agisse de principes, de valeurs ou de fondamentaux religieux ou traditionnels. Ceci risque d’entraîner une limitation des libertés individuelles au moment de l’élaboration des lois».
Plusieurs violations dans le registre de la liberté de conscience au cours des dix dernières années
Durant ces dix dernières années, le Maroc a connu plusieurs violations dans le registre de la liberté de conscience : l’affaire des jeunes accusés de “satanisme” en 2003, les multiples procès de Marocains qui se sont convertis à d’autres religions, les rafles qui ont visé les chiites marocains en 2009 ou encore l’affaire Mali (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles) quand des jeunes ont essayé d’organiser un pique-nique en plein Ramadan. Il est vrai que ces événements datent d’avant la nouvelle Constitution, mais le texte adopté par la majorité écrasante des Marocains reste flou quant à la liberté de conscience puisqu’elle n’est jamais explicitement citée. «La liberté de conscience se trouve entre la liberté de pensée et la liberté de culte. Au fond, ces différentes libertés sont liées et visent, en principe, à donner à l’individu la liberté de choisir sa religion ou ses pensées, sans que la société lui impose quoi que ce soit», décortique Mustafa Naoui, avocat et auteur d’une étude comparative sur la place de la liberté de conscience dans les Constitutions de différents pays (voir entretien).
Si la Constitution cite les conventions internationales et insiste sur le respect des principes universels des droits humains, elle stipule que cette opération doit se faire «dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume». Ce qui s’oppose à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui consacre la liberté de conscience : «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites». Enfin, il y a une franche contradiction entre la Constitution qui indique que «le Roi, en tant qu’Amir Al Mouminine (Commandeur des croyants), est garant de cette liberté pour chaque citoyen» et un Code pénal qui comporte des atteintes directes à cette même liberté de conscience. «Le Code pénal qui se situe, dans la hiérarchie des lois, juste après la Constitution puisqu’il régit, par la technique d’incrimination, les libertés et droits des personnes et délimite le domaine du permis et du prohibé comporte des lois qui s’opposent à la liberté de conscience. L’article 220 qui punit d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à trois ans quiconque qui emploie des moyens de séduction dans le but d’ébranler la foi d’un musulman ou de le convertir à une autre religion. Ou encore l’article 222 qui punit de l’emprisonnement d’un à six mois celui qui rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant Ramadan, sans motif admis par cette religion», explique Me Naoui.
La pression politique du PJD nous a fait rater un rendez-vous avec l’histoire
Cette absence de liberté de conscience se traduit également par des inégalités dans le mariage par exemple : un musulman a le droit de se marier avec une non-musulmane, chrétienne ou juive. Le contraire n’est permis que dans le cas de conversion du futur époux. Des conversions qui ne sont pas libres, donc en majorité simulées ! Puis, une non-musulmane mariée à un musulman n’a pas droit à l’héritage.
Avons-nous alors raté le coche lors de la rédaction du texte constitutionnel, soumis par référendum le 1er juillet dernier ? Flash-back : à quelques jours du scrutin, la Constitution comportait, selon plusieurs sources, la mention suivante : «L’islam reste la religion de l’Etat, mais la liberté de croyance est garantie par la loi». On se rappelle de la réaction du PJD à cette disposition, dont une partie de la presse avait évoqué la possibilité d’être incluse dans la Constitution. L’actuel chef de gouvernement et secrétaire général du parti islamiste PJD avait clairement dit que «la reconnaissance de la liberté de croyance aurait des conséquences néfastes sur l’identité islamique du pays». Et de pointer du doigt laïcs et homosexuels : «Que signifie la liberté de conscience? Qu’on permette à certains laïcs de rompre publiquement le jeûne pendant Ramadan ? Pour que vos enfants les voient et osent violer les interdits de Dieu. Que la liberté sexuelle et l’homosexualité soient banalisées et publiques ? Cela, le PJD le refuse». Au moment où la commission de Mennouni menait des tractations avec les partis politiques, les syndicats et les ONG, le PJD, par la voix de son secrétaire général, a été on ne peut plus clair en déclarant haut et fort son opposition à toute référence à la liberté de croyance dans la Constitution : «Le Maroc est un pays musulman avec ses lois. En France, ils ont interdit le port du voile intégral au nom de la loi. Nous sommes tout à fait capables de voter contre cette nouvelle Constitution».
De fait, la mention directe à la liberté de conscience allait disparaître du texte final. La déception a été ressentie autant chez les partis dits progressistes que chez la société civile, les associations de défense des droits humains ou encore chez des promoteurs d’un islam plus ouvert comme Rachid Benzine. «Selon la législation marocaine en vigueur, la liberté de conscience ne saurait jouer que dans un sens : la conversion bienvenue de chrétiens ou de juifs à l’islam. En renonçant à cette avancée dans le domaine des libertés, le Maroc se met en délicatesse avec la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948», avait alors réagi M. Benzine. Mustafa Naoui, lui, pense que l’opposition affichée par les adversaires de la liberté de conscience avait d’autres motifs. «Dans les Constitutions de pays, qui en pratique ne respectent pas la liberté de conscience, comme l’Algérie ou l’Egypte, on y trouve cette mention de liberté de conscience. Je pense que tout ce buzz orchestré par les conservateurs avait comme objectif de couper la route à d’autres réformes qui pourraient toucher le Code de la famille ou le Code pénal», explique le juriste.
Les recommandations de l’IER ne garantissent-elles pas cette liberté de conscience ?
L’application des recommandations de l’IER, comme c’est indiqué dans la nouvelle Constitution, ne garantirait-elle pas la liberté de conscience ? «La liberté de conscience n’est pas explicitement citée dans les recommandations, même si cette liberté fait partie des droits fondamentaux. Par contre, une interprétation plus large des recommandations garantirait cette liberté», explique Houria Esslami, membre du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) et présidente du Forum des alternatives Maroc (FMAS). Cette militante des droits de l’homme et membre fondatrice du Forum vérité et justice (FVJ) pense que le texte voté le 1er juillet fait partie d’une nouvelle génération de Constitutions qui comporte pas moins de 60 articles sur les droits humains. Des contradictions émergent toutefois. «Le flou persiste encore dans cette nouvelle Constitution entre Etat civil et Etat religieux, entre liberté de pensée et de croyance, entre primauté des conventions internationales et constantes du pays ou encore le droit à la vie et la non-abrogation de la peine de mort», tient à préciser la militante.
La nouvelle Constitution est ainsi ouverte à toutes les interprétations. Les lois organiques que l’actuel Exécutif devrait adopter vont certainement donner plus de visibilité à l’égard de ces libertés. «Il faut apprendre aux citoyens qu’il y a plusieurs théologiens réformistes musulmans, comme le Tunisien Mohamed Talbi, les Egyptiens Faraj Fouda, Hamed Abou Zaïd, Sayed Al Quimni et Ali Abderrazik, le Libyen Sadiq Annayhoum ou encore le Soudanais Cheikh Taha Mahmoud , qui à travers leurs écrits montrent que la liberté de conscience n’est pas contradictoire avec l’islam», explique Mustafa Naoui. Et de conclure : «Les sociétés changent et l’interprétation des textes doit accompagner ce changement. L’individu devrait avoir la liberté de choisir ses valeurs et sa religion».
