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Société

L’école à  l’épreuve des transformations sociales

Quels sont les dysfonctionnements du système éducatif marocain et comment les réparer ? Pour répondre à  cette question il faut mettre en exergue le lien étroit qui lie l’école et la société dans son acception la plus large. C’est la réflexion qu’essaie de développer Abderrahmane Lahlou dans un livre tout au long de ses 255 pages.

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transformations sociales adberahmane lahlou 2014 10 31

«L’école et l’université à l’épreuve de la transformation sociale, défis de l’éducation dans un pays émergent»*, tel est l’intitulé de l’ouvrage signé par Abderrahmane Lahlou, une réflexion appuyée sur ses 25 ans d’expérience dans le domaine de l’éducation et de la formation. L’entreprise est ambitieuse a priori, et non sans risque, le domaine de l’enseignement et de l’éducation au Maroc est très complexe, ses intervenants très divers, et les intérêts politiques contradictoires, pour ne pas dire «opportunistes».

Les différents diagnostics qui ont été faits sur le système de l’enseignement au Maroc ont tous révélé les mêmes dysfonctionnements. Nous nous rappelons du rapport du Conseil supérieur de l’enseignement (l’ancêtre de l’actuel Conseil de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique présidé par Omar Azzimane) produit en 2008, qui a débuté par cette phrase qui résume tout : «Cinquante ans après l’indépendance, le Maroc s’interroge encore sur son école». Abderrahmane Lahlou fait sienne cette interrogation sur le système éducatif marocain, mais l’avantage de sa démarche est de ne pas rester prisonnière d’une simple approche académique, mais d’intégrer d’autres paramètres, qui sont la famille, la société civile et le monde de l’entreprise, acteurs qui interagissent dans une société où le projet éducatif reste à construire. Il est en effet impossible de réfléchir sur la chose de l’enseignement, dans n’importe quel pays du monde, sans mettre en exergue cette interaction entre la société et l’école, dans son acception la plus large. Et l’auteur met en effet l’accent sur ce lien «organique» qui lie le système éducatif (écoles, universités, établissements de formation professionnelle et ceux de formation continue…) et la société dans ses trois composantes : la famille, la société civile et les unités économiques.

La question qui se pose est: Comment réussir dans un seul ouvrage, certes de plus de 250 pages, à rassembler et disséquer une à une les pièces d’un puzzle pour en faire un système éducatif cohérent, tout en s’interrogeant sur le rôle de chacun de ces acteurs dans un pays que l’auteur qualifie d’émergent ? C’est une gageure, et le qualificatif émergent lui-même n’est pas sans poser des questions. Mais l’entreprise de notre expert, quoique laborieuse et ambitieuse en soi, n’est pas sans intérêt, chacun des 26 chapitres qui forment l’ouvrage mérite en fait à lui seul tout un livre tellement la matière est dense.

Pour faire comprendre sa réflexion, il n’est pas un domaine que l’auteur n’ait pas abordé et essayé de donner son avis à son sujet : le rôle des TIC dans les transformations sociales et économiques, la problématique de l’orientation de l’élève, le nouveau bac international, la langue d’enseignement, la religion dans l’éducation et l’enseignement, la recherche scientifique, le dilemme de l’évaluation de l’apprenant, le rôle de l’enseignant, la contribution du secteur privé, le rôle de l’entreprise dans la formation, la formation professionnelle, le défi de la formation continue… Et pour clore, l’auteur consacre tout un chapitre au partenariat public-privé dans le domaine de la formation, considéré par l’auteur comme une chance pour l’enseignement dans le Maroc d’aujourd’hui.

L’Etat doit jouer le rôle de régulation et ne doit pas tout régenter

L’Etat dans tout cela ? Il est essentiel selon l’auteur, en tant que prestataire de services d’abord, mais ne devant pas être d’une manière indéfinie et pérenne. C’est lui qui doit sûrement assurer l’éducation à tous les Marocains, jusqu’à au moins l’âge obligatoire de l’école comme défini par les conventions internationales signées par le Maroc, qui est de 15 ans. Son rôle doit surtout être celui de la régulation de ce domaine de l’enseignement. Et un pas important, se félicite l’auteur, a été franchi dans ce domaine de régulatio n au Maroc par la création d’instances autonomes de contrôle et de suivi, comme par exemple le Conseil supérieur de l’éducation et de la formation, ou encore l’Agence nationale d’évaluation de l’enseignement et de la recherche. Mais cette régulation devait s’accompagner d’un désengagement de l’Etat pour laisser le privé jouer son rôle, sous forme de «gestion déléguée» et «d’institutions à but non lucratif». Si le privé a un rôle à jouer, et il l’a, encore faut-il qu’il s’écarte du purement mercantile, tout en veillant à la qualité de la formation et à la satisfaction du cahier des charges.

Et l’auteur  de se poser une question centrale dans son livre: comment réussir l’institution éducative marocaine? Il lance quelques pistes de réflexion. Pour lui, il faut d’abord porter un intérêt particulier aux enseignants, en les mettant au cœur du processus éducatif. Et dans ce cadre, la compétence doit primer sur tout. La qualité de la formation de l’élève en dépend, non pas dans la seule acquisition des connaissances, mais dans l’inculcation d’une manière de penser et de d’agir autonome. Et là les attentes de la société de cet enseignants sont énormes. Il faut ensuite redimensionner «à taille humaine» de système d’éducation, il est difficile pour l’Etat de manager un mastodonte de 250 000 fonctionnai res, avec les méthodes de gestion archaïques services centraux pléthoriques, hiérarchie outrancière…Troisième levier pour la réussite : adopter de bonnes pratiques afin de rendre le système plus efficient, et là l’auteur procède à un benchmark avec d’autres pays développés ou au développement similaire au Maroc (modèle latino-américain) qui ont parié sur le privé, l’école payante, pour adapter les profils au marché du travail, quitte à ce que l’Etat attribue des bourses aux étudiants démunis, ou encourager le prêt aux étudiants.

Quatrième levier, incontournable de la réussite : l’évaluation. Celle de l’élève, ça va de soi, mais aussi celle des établissements dispensateurs du savoir, et celle du «système de management de l’établissement», voire du système éducatif national dans son ensemble. Sans exclure les audits pédagogiques et managériaux, sinon comment savoir si le système est sur la bonne voie, et rectifier s’il le faut les dysfonctionnements qui apparaissent en cours de route ? Le livre d’Abderrahmane Lahlou est un outil précieux pour comprendre comment fonctionne le système éducatif marocain, ses déréglages, et comment y remédier. Mais sans la volonté des décideurs et des compétences marocaines, il n’y aura pas de miracle. Encore faut-il que tous ces intervenants agissent dans une même direction sans calcul politicien étriqué. Autrement dit, accorder les violons de tous les acteurs pour composer une même symphonie : une école tournée résolument vers l’avenir

* Société d’édition et de distribution Al Madariss, 2014, 255 pages, 120 DH.