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Société

Droits des femmes : Questions à Nouzha Skalli, Militante et ancienne ministre du développement social, de la famille et de la solidarité.

«La mise en place de l’Autorité pour la parité est une urgence !»

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Droits femmes manif

La Vie éco : Quel bilan faites-vous aujourd’hui de la condition des femmes au Maroc ?

Le bilan est déprimant aujourd’hui car les outils nécessaires à la garantie de l’égalité des droits ne sont pas encore mis en place. Malgré les avancées juridiques notamment au niveau de la Moudouwana, du Code de la nationalité et surtout de la Constitution qui garantit l’égalité en libertés et en droits civils, économiques, sociaux et politiques et le principe de la parité, il reste encore beaucoup à faire pour mettre notre législation interne en adéquation avec la Constitution en matière d’égalité, de parité et de non-discrimination.

Concrètement, cela veut dire quoi ?

Il y a une urgence au niveau de la réforme du Code pénal dont la philosophie est axée sur la protection de l’ordre des familles et la moralité publique et non sur la protection de l’intégrité physique et morale des femmes et leur protection contre la violence. Celles-ci sont exposées à plusieurs formes de discrimination et de violence. Aujourd’hui, il y a un déficit clair dans le partenariat entre le gouvernement et les associations de la société civile en matière des droits des femmes. La concertation et la convergence sont en panne !

Par ailleurs, on peut noter que les tenants d’une idéologie ultra conservatrice combattent les avancées du Code de la famille et notamment les dispositions relatives à la polygamie et au mariage des mineures.

En ce qui concerne la polygamie, l’article 16 du Code de la famille qui prévoyait une période transitoire de cinq ans pour la reconnaissance du mariage a été prorogé pour la deuxième fois jusqu’à 2019…

Exactement. Le gouvernement a décidé la prorogation de cette période d’application de l’article 16 pour permettre aux personnes concernées de procéder à la régularisation de leur situation. Cependant, on n’a pas prévu de sanctions à l’encontre des personnes qui utilisent cet article pour contourner l’âge minimum du mariage ou les obstacles posés par le législateur à la polygamie. Cela découle d’une idéologie ultra-conservatrice qui n’a pas renoncé à un projet de société qui nous ferait revenir des siècles en arrière. Pour preuve, 8% des députés de la première Chambre du Parlement sont aujourd’hui polygames alors que les polygames sont moins de 1% de l’ensemble de la population!

Mais au-delà de ces dispositions législatives, quelles autres mesures doivent être accélérées ?

Il est tout à fait urgent de mettre en place l’Autorité pour la parité et  la lutte contre toutes les formes de discrimination. Ce mécanisme, prévu dans l’article 19 de la Constitution, a un rôle important pour la promotion et la protection des droits des femmes et de l’égalité. Mais pour qu’il puisse jouer son rôle, il y a lieu de lui garantir l’indépendance et le pouvoir. Ses membres doivent être des personnes connues pour leur engagement en faveur de l’égalité et de la parité.

D’autres instances consultatives comme le Conseil de la famille et de l’enfance ou celui de la jeunesse et de l’action associative doivent également être mis en place.

Qu’en est-il de la participation de la femme dans le champ politique ?

Le Maroc a ratifié plusieurs conventions internationales visant la promotion des droits des femmes. Cependant, on peut noter qu’il y a un retard au niveau de la participation et de l’implication des femmes dans le champ politique. Ainsi, le Maroc est mal classé par rapport aux pays de la région, notamment la Tunisie et l’Algérie ou l’Espagne où le taux de représentation des femmes dépasse les 30%. Le Sénégal à titre d’exemple a atteint 43% de représentation des femmes au Parlement et la parité est appliquée au niveau du gouvernement.  Chez nous, le taux de représentation des femmes à la Chambre des représentants atteint à peine 21%. Au niveau des communes, malgré l’augmentation du taux de représentation des femmes, ou encore au niveau des conseils régionaux où la représentation atteint 37%, on notera qu’aucune Région n’est présidée par une femme et moins de 1% des communes sont présidées par une femme.

Quelles perspectives alors ?

Même si beaucoup de retard a été pris sur des chantiers primordiaux pour l’égalité des femmes et la protection et préservation de leurs droits, on se doit de rester optimistes. Les associations et les militantes féministes sont certes très déçues, mais elles ne baissent pas pour autant les bras et restent mobilisées pour des causes pour lesquelles elles se sont battues pendant des décennies.

Le chemin reste long pour faire évoluer les mentalités mais les législations ont également pour rôle de structurer les mentalités. La cause des femmes a des atouts majeurs : un mouvement féminin actif et un leadership ferme et engagé au plus haut niveau de l’Etat: celui de SM le Roi Mohammed VI.