Pouvoirs
Y a-t-il d’autres partis que le PJD et l’Istiqlal ?
Des formations comme le PAM, le RNI ou l’USFP veulent d’abord se restructurer avant de revenir en force sous les projecteurs.
La dernière décennie a été marquée par des scissions, l’actuelle par des alliances, fusions et intégrations. Privées de subventions et du droit d’accès aux médias publics, plusieurs formations végètent dans l’ombre.

Le Maroc compte, officiellement, 34 partis politiques. Or, depuis plusieurs mois, seuls deux, le PJD et l’Istiqlal, monopolisent la scène politique. Que ce soit dans les médias ou sur le terrain, à coup de meetings populaires ou manifestations internes, ces deux partis, conservateurs de surcroît, font incontestablement de l’ombre aux autres. Les deux étant, qui plus est, membres, jusqu’au retrait effectif et imminent de l’Istiqlal, de la majorité gouvernementale. Question : Où sont passés tous les autres ? Et surtout où est l’opposition et les autres expressions de la diversité de la société marocaine ? Que ce soit les autres membres de la majorité ou les partis de l’opposition ou autre, il est très rare qu’une formation se fasse aussi présente, voire omniprésente, que le PJD et l’Istiqlal. Certes l’USFP a réussi quelques sorties médiatiques, depuis son dernier congrès, mais c’est surtout à cause de ses tensions internes héritées du même congrès. Plus récemment aussi, on notera l’absorption par le parti de la Rose de deux petites formations de la famille ittihadie, moyennement médiatisée. Les prises de position de l’USFP aussi bien relatives au (lent) processus de mise en œuvre de la Constitution qu’à la marche des affaires publiques n’y font rien. C’est un constat, il sera difficile au parti de retrouver son aura d’avant le gouvernement d’alternance qu’il a présidé et ses 13 années du gouvernement et donc de s’imposer, pour le moment, en tant qu’acteur majeur de la scène politique. Son partenaire de l’opposition, le PAM, qui a, pour ainsi dire, monopolisé l’espace public depuis sa création, en 2008, jusqu’à l’effondrement du G8 au lendemain des élections de novembre 2011, se fait, lui, de plus en plus discret.
Se reconstruire d’abord pour revenir en force
Le parti du «tracteur» se plaît pour le moment là où il est. Pour lui, l’opposition est une occasion de se refaire une notoriété et se défaire, accessoirement, d’une partie de ses notables trop obnubilés par la proximité du pouvoir. En dehors de quelques sorties incendiaires de son chef de groupe parlementaire à la Chambre des conseillers et président du conseil national, Hakim Benchemmas, le parti n’arrive toujours pas à marquer de son empreinte l’exercice de l’opposition. C’est qu’il est toujours en phase de restructuration et de construction. C’est un chantier qu’il a ouvert, un peu partout, même au-delà des frontières puisqu’il vient d’ouvrir, coup sur coup, deux nouvelles antennes en Europe, aux Pays-Bas et en Allemagne, après celles déjà ouvertes en France et en Belgique.
Une autre formation en pleine phase de restructuration, le RNI, que beaucoup de spéculateurs pressentent au futur gouvernement Benkirane II. Après le retrait définitif de l’Istiqlal, bien sûr. Contrairement au PAM qui est presque né dans l’opposition (il a passé moins d’une année à soutenir le gouvernement Abbas El Fassi, avant de lui retirer son appui à la veille des communales de juin 2009), le RNI n’arrive toujours pas à se faire à son nouveau statut de chef de file de l’opposition. Probablement parce qu’il a passé trop de temps dans le gouvernement. Il a fait partie de presque tous les Exécutifs qui se sont succédé au Maroc depuis sa création en 1978. C’est presque aussi le cas pour le parti de l’UC. Bien qu’il se soit désormais habitué aux bancs de l’opposition, n’ayant plus refait partie du gouvernement depuis 1998, il se sent toujours à l’étroit dans ce rôle. La preuve en est qu’il a été le seul parti de l’opposition à ne pas avoir rejeté une éventuelle offre de Benkirane pour faire partie de la majorité.
L’UC, qui est en phase de préparation de son 5e congrès (prévu début octobre prochain), s’est mis depuis décembre 2011 sur le banc des remplaçants, en attendant une hypothétique invitation à rejoindre l’Exécutif. Invitation qui pourrait tomber dans les jours à venir. C’est du moins ce qu’espèrent ses militants, selon des sources proches de la direction de ce parti. Autrement, le parti qui a dirigé le gouvernement du début des années 80 du siècle dernier et qui s’est inscrit depuis, dans une phase de déclin, aborde une étape très difficile de transition. Ses élites d’antan l’ont quitté progressivement à mesure qu’il s’éloignait des centres du pouvoir et l’actuelle direction, vieillissante, doit passer le témoin aux générations suivantes. Il faut dire qu’avec ses 23 députés et une base très érodée, l’UC ne fait plus le poids. Il a définitivement cessé d’être une variable à prendre en compte dans les équilibres politiques actuels.
Alliance, fusions, fédération, le champ politique se polarise
Bref, que ce soit l’USFP, le PAM ou le RNI, les trois principales formations de l’opposition sont aujourd’hui en phase de restructuration. Le RNI a entamé la sienne depuis que le mouvement de réforme a pris les rênes du parti en janvier 2010. La nouvelle direction, une fois assurée de la confiance des bases au terme du dernier congrès, a entrepris de parachever ce chantier. Congrès régionaux, jeunesse, femmes, organisations parallèles, devraient être mis en place avant la fin de cette année. Le PAM en fait de même : ses congrès régionaux se poursuivent à un rythme soutenu et la mise en place de structures parallèles et affiliées est en bonne marche. L’USFP vient d’entériner la décision de fusions avec le Parti travailliste et le Parti socialiste. Opération qui devrait se clôturer, sans grands heurts malgré quelques oppositions internes, avant la fin de l’année. C’est pour dire que ces formations se limitent, pour le moment, à une présence intermittente sur la scène politique en attendant un retour en force à l’occasion des futures élections.
Dans cette même perspective, l’approche des élections locales oblige, on commence à parler de nouveau d’alliances. A la veille des législatives de novembre 2011, au moins 21 formations politiques faisaient partie d’une forme ou d’une autre de coalitions partisanes. Il y a eu bien sûr le G8 (huit partis politiques : PAM, RNI, MP, UC, PS, PT, PGVM, PRV), la Koutla, (trois partis : USFP, Istiqlal, PPS), l’alliance centriste (trois formations : MDS, PAD, PRE), l’alliance de la gauche démocratique (trois formations : CNI, PADS, PSU) et l’alliance nationale indépendante (quatre partis : PCS, PLJS, PDN, PRD). Trois expériences sont en cours actuellement. Outre l’USFP, le PT et le PS qui ont décidé de passer directement à l’étape fusion-intégration, l’autre tentative de remembrement de la gauche semble plutôt prudente. Le CNI, le PADS et le PSU, qui forment déjà depuis les dernières échéances électorales locales de 2009, l’alliance de la gauche démocratique, sont en phase de passer à une fédération de gauche démocratique (FGD). Le projet devrait être finalisé avant la fin de l’année, pour passer à l’étape suivante qui est une fusion entre les trois formations, voire, ensuite, un rapprochement avec l’USFP. Sur l’autre rive, la droite, un autre projet du même genre, est en gestation depuis déjà quelque temps. S’il aboutit, il devrait donner naissance à une forme locale de l’UMP française. Le PRE, le PAD et le MDS, les trois composantes de l’alliance centriste, tentent un rapprochement avec le MP. Une première tentative a failli aboutir avant que le MP ne décide de fausser campagne à ses futurs alliés potentiels et rejoindre le G8. Cette fois, la donne a changé : les trois formations qui totalisent cinq sièges soutiennent actuellement le gouvernement, dont le MP (32 sièges) est membre, sans en faire partie. Cette alliance devait s’élargir au PRV, une autre ramification de la mouvance populaire parce qu’issue d’une scission du PJD qui est lui-même né dans le giron du MPDC. Mais, c’était avant que la formation de Mohamed Khalidi ne choisisse une autre voie, en intégrant certains ténors de la mouvance salafiste.
Le PRV signe ainsi un retour en force inattendu, et largement commenté, sur le devant de la scène politique. Et ce, non seulement parce qu’il est en train de calquer, à quelques détails près, le modèle PJD, mais en jouant sur le même terrain, avec les mêmes instruments pour tenter d’amadouer le même électorat. Basé sur le même modèle donc, un parti, un mouvement de prédication et un syndicat avec une nébuleuse d’associations à ramifications étendues aux quatre coins du pays, le PRV phagocyté par les salafistes ne manquera pas de faire l’actualité à mesure que le projet d’intégration des courants salafistes dans le processus politique prend forme.
Des initiales et des symboles, rien de plus
En définitive, quand ils ne font pas parler d’eux ou ne se livrent pas une guerre, les partis politiques sont occupés à réorganiser leur cuisine interne. Seulement, et pour beaucoup de formations, on aura beau essayé un salvateur «renouvellement des élites», du moins au niveau de leur direction, rien n’y est fait. Ils continuent de sombrer. La preuve : le MDS a changé de tête depuis quelque temps, le père Archane ayant passé le témoin au fils, le parti n’est plus que l’ombre de lui-même. Pis encore, des deux sièges qu’il a remportés en 2011, il n’en garde plus qu’un seul depuis les dernières élections législatives partielles. Le PEDD change de tête, lui aussi, à l’occasion de son dernier congrès (le premier) tenu en avril dernier, le PLJS vient d’en faire de même, début juin.
L’ancien ministre et fondateur de l’UMD, Abdallah Azmani, a, lui aussi, passé le relais il y a un an. Le PDI, une réminiscence des années 40 du siècle dernier (il a vu le jour en 1946, plus précisément) vient de se doter, à l’instar des autres, au terme d’un interminable procès en justice, d’un nouveau secrétaire général. Annahj en a fait autant alors que le FFD est toujours sans leader depuis le décès de son fondateur Thami Khiyari, en février dernier. Al Ahd aussi vient de renouveler sa confiance en son fondateur et secrétaire général Najib Ouazzani, de même pour le CNI qui a reconduit Abdeslam El Aziz en décembre dernier. Ce n’est pas pour autant qu’ils cesseront d’être, pour le commun des Marocains, plus que des initiales.
Des initiales et des symboles qu’ils redécouvrent à l’occasion de chaque scrutin. C’est sans doute pour cela que la plupart n’ont guère pu décrocher plus de deux sièges lors des dernières législatives de novembre 2011. Le plus grand nombre est resté hors jeu. La situation ne risque pas de changer pour eux. Selon la nouvelle législation en vigueur, il faut couvrir au moins 10% des circonscriptions pour prétendre aux subventions de l’Etat. Un large pan de l’échiquier politique se retrouve donc privé du soutien de l’Etat et, accessoirement, banni des médias publics faute de «représentativité». Les lois électorales telles qu’elles sont appliquées au Maroc ces dernières années favorisent, elles aussi, l’émergence d’une short-list de «grands» partis politiques. La nouvelle loi des partis politiques, l’interdiction de la transhumance par la force de la Constitution et la dernière décision de l’Etat de suivre de plus près les dépenses électorales des partis politiques après la création d’une Chambre dédiée à la Cour des comptes versent dans ce sens.
Certaines pratiques douteuses liées aux élections risquent de disparaître à terme. Les partis qui en tirent une grande partie de leurs subsistances également. De même, la tendance actuelle veut que ces mêmes partis, huit au total, s’organisent en groupement plus ou moins homogène. Et puis, il faut se rendre à l’évidence que pour être présent sur le terrain, il faut un projet social et un programme politique. Et jusqu’à preuve du contraire, il n’en existe pas 34 au Maroc. Les dernières élections qui ont consacré cette banalité politique sous d’autres cieux qu’est de présenter un programme électoral ont bien mis dans l’embarras une écrasante majorité de ces formations incapables de présenter un semblant de programme.
Paradoxalement, il faut aussi se rendre à l’évidence, comme le soutient cet analyste politique, que «tous les Marocains ne peuvent se retrouver dans 8 ou 9 partis». Le tout est donc d’arriver à un dosage politique où toutes les tendances de la société sont exprimées sans pour autant diluer et banaliser la pratique de la chose politique. Mais c’est là une tout autre histoire.
