Pouvoirs
Veillée d’armes dans quelques QG de partis
A la veille du scrutin, c’est le branle-bas de combat dans les sièges des
partis.
Selon le profil du candidat et la commune visée, le contraste des moyens
employés est démesuré.
Quartier de Sidi Bernoussi à Casablanca. Nous sommes à trois jours des communales. Pour Mostafa, le serveur du glacier situé à cent mètres du siège local de l’USFP, c’est une journée normale. Certes, il lui semble bien qu’il y a des élections qui se préparent, mais il est incapable de dire de quel genre d’élections il s’agit. Ce serveur, un jeune de 21 ans, n’a jamais voté et il ne compte pas le faire, à l’en croire, ce vendredi 12 septembre. Désintérêt ou manque de confiance à l’égard d’une élite locale qui a plus que déçu ?
Bachir Znagui, journaliste et tête de liste de l’USFP à Sidi Bernoussi, l’une des 21 listes en lice dans cet arrondissement comptant 120 000 habitants et 85 000 électeurs, est lui aussi désabusé : «Dans cet arrondissement, la population, à quelques rares exceptions près, ne fait aucunement la différence entre les partis politiques. Elle n’a pas confiance en eux et hésite beaucoup à se rendre aux urnes». Un constat à relativiser.
Après un début morose, la campagne électorale pour ces communales a connu «une accélération», ajoute le candidat usfpéiste. Oui, mais avec quels moyens et quel budget? Son QG, qui fait également office de siège local du parti, est dépourvu de tout équipement digne de ce nom pour mener une campagne électorale. Un siège à l’image de la circonscription de Sidi Bernoussi. Une table et quelques chaises, voilà pour l’ameublement. Deux portraits de Abderrahim Bouabid et de Mehdi Ben Barka accrochés au mur… C’est tout pour la décoration.
Certes, une bonne partie des frais des imprimés de campagne (affiches, dépliants, prospectus…) a été prise en charge par le parti et ce dernier a octroyé la modique somme de 500 dirhams à chaque candidat, mais la logistique engagée est différente en fonction des arrondissements et du standing social des candidats. «Notre campagne ne franchira pas le seuil de 50 000 à 60 000 DH, ce qui est dérisoire. Nous représentons une liste pauvre», confesse le candidat de l’USFP. «Et ce serait un désastre pour Casablanca que de reconduire l’élite locale sortante», enchaîne-t-il.
A une dizaine de kilomètres de Sidi Bernoussi, au quartier Polo où Ahmed Kadiri a installé son QG, le décor est tout autre. La logistique engagée pour mener sa campagne par Ahmed Kadiri, tête de liste du Parti de l’Istiqlal au Maârif, est sans commune mesure avec celle de Bachir Znagui. 800 personnes sont mobilisées pour lui. Rien que pour les imprimés, il a dépensé 120 000 Dh, les tee-shirts et les casquettes (avec le logo du parti) que portent les meneurs de sa campagne lui ont coûté 30 000 Dh. Son QG a élu domicile dans une villa louée pendant 15 jours pour 3 500 DH.
L’argent est forcémentle nerf des élections
Ahmed Kadiri, avocat de carrière, est député depuis 1977. En 1997, il a changé de Chambre, puisqu’il a été élu à celle des conseillers. Il est sans illusion quant à l’importance des moyens dans la réussite d’une campagne électorale. Les citoyens sont-ils au moins réceptifs ? «Nous ne leur promettons nullement monts et merveilles. 10 % des habitants de cet arrondissement habitent des bidonvilles (dont Bachkou est le plus important), ils ne réclament qu’une seule chose : une habitation décente. Et du travail». Le premier parti en nombre de candidats au niveau national ne lésine pas sur les moyens et affiche de grands appétits quant à la conquête de la mairie de la plus grande ville du Royaume, Casablanca.
Telle n’est pas la prétention de la Gauche socialiste unifiée (GSU). Tout au plus cherchera-t-elle à améliorer les performances obtenues par l’OADP aux communales de 1997 (300 élus). Mais la GSU n’a pu couvrir que 7 des 16 arrondissements casablancais. Que peuvent un Saâd Benmansour, tête de liste à Sidi Belyout, un Abdelali Hajji à El Fida ou même un Salah El Ouadie au Maârif, devant des ténors comme Yasmina Baddou (PI), Khalid Alioua (USFP) ou Nouzha Skalli (PPS) ?
N’empêche, à trois jours du scrutin, le siège du parti, situé à la rue d’Agadir, est une ruche où les militants viennent s’approvisionner en imprimés et déposer toutes sortes de réclamations. Une cellule de communication, composée de Mostafa Bouaziz et de Salah El Ouadie, était à pied d’œuvre pour apporter les dernières retouches aux interventions médiatiques des représentants du parti.
L’Etat a accordé des avances, mais il faudra «assurer»
Pour Belaâbbas Mouchtari, membre du bureau politique de la GSU, qui assurait la permanence au siège du parti et du journal Al Yassar al Mouahhad (quotidien provisoire du parti) : «Le but de la GSU est moins de remporter le plus grand nombre de sièges que de participer à l’émergence d’une prise de conscience de l’élite face aux défis qui attendent le pays après le 16 mai. Hélas, nous constatons que ce sursaut est loin d’être une préoccupation».
A Rabat, l’atmosphère au sein du siège national du PPS, sis au Bd Kennedy, ressemble plus à un siège de parti en pleine fièvre électorale. Et pour cause : le parti de Ismaïl Alaoui, avec 6 561 candidats présentés (5e place), compte faire son entrée dans la cour des grands. Pour satisfaire les demandes, parer aux urgences et recueillir les réclamations, huit militants assurent la permanence dans les locaux du siège depuis le début de la campagne.
C’est Mostafa Lebraïmi, universitaire de son état, membre du bureau politique et directeur du siège national du parti, qui supervise tout le travail de l’équipe. A trois jours du scrutin, les candidats continuent à réclamer des tracts et des papillons et même des photos à imprimer et à livrer par CTM. Comme cette requête du candidat de Dar Kabdani dans la province de Nador qui réclamait d’urgence un paquet. «Cette commande est difficile à satisfaire à trois jours du scrutin, mais nous allons faire le nécessaire», affirme M. Lebraïmi.
Le PPS a innové pour ces élections. En plus des imprimés, des tournées dans les quartiers et du porte-à-porte, il a enregistré une cassette audio dans les trois dialectes amazigh (tamazight, tachelhit et tarifit) et en a distribué plus de 80 000 exemplaires. Objectif : «Communiquer notre programme national à toutes les couches sociales du pays. Par ailleurs, notre site internet est mis à jour en temps réel», nous fait savoir le directeur du siège.
A quelques encablures du Bd Kennedy, il y a le siège du Mouvement populaire (MP), dans la rue Patrice Lumumba. Un immeuble de quatre étages qui abrite le dispositif du parti de Mohand Laenser. La direction du siège est au troisième. À l’intérieur, c’est plutôt calme. Pourtant, le parti a présenté à ces élections pas moins de 7 880 candidats.
Dans son bureau, Ali Achibane, directeur du siège, membre du comité central et coordinateur de la campagne, arbore un air serein : «Si vous étiez venu la semaine dernière, vous vous seriez cru dans un souk. Maintenant, c’est calme parce que le forcing a lieu sur le terrain. Allez voir du côté du quartier Attaqaddoum et de Yacoub El Mansour».
Le parti a effectivement présenté comme têtes de listes dans deux arrondissements de la capitale deux de ses grosses pointures. Omar Bahraoui, ancien directeur des collectivités locales au ministère de l’Intérieur et président sortant de la Communauté urbaine de Rabat et Saïd Oulbacha, secrétaire d’Etat à la Formation professionnelle. «Chacun de ces candidats a mobilisé pour sa campagne une cinquantaine de militants, tous membres du bureau provincial. Dans notre parti, on fait du porte-à-porte et l’on discute avec la population, mais sans tambour ni trompette». Côté budget, Ali Achibane se montre plutôt discret et refuse d’avancer le moindre chiffre. «Nous avons obtenu une avance de l’Etat, mais il faut attendre la fin de la campagne pour établir notre comptabilité».
Le PJD dit tout
Cette attitude est aux antipodes de celle du staff qui coordonne la campagne électorale des communales au PJD. Il ne sourcille devant aucune question. «A tout casser, la campagne de chaque tête de liste, imprimés compris, ne franchira pas la barre des 100 000 DH. L’Etat nous a donné 4 500 000 DH à titre d’avance», affirme Abdallah Baha, membre du secrétariat général du PJD et député de Chellah.
Ils sont trois cadres à assurer la permanence pendant la campagne électorale au siège central du PJD à Rabat, au quartier des Orangers : Abdallah Baha, Slimane Lamrani, directeur du siège, et Abdelaziz Omari, président de la commission centrale des élections. Pour eux, c’est le compte à rebours : la campagne touche à sa phase finale et ils sont en train de former les scrutateurs des bureaux de vote et d’installer un logiciel pour traiter les résultats des élections en temps réel, du moins ceux concernant les circonscriptions où le parti est présent. «Ce qui nous intéresse dans ces élections n’est pas tellement le résultat. Nous y participons pour répondre à la campagne de dénigrement dont nous avons été victimes après le 16 mai», précise avec amertume Abdallah Baha.
Une question reste posée : 16 mai ou pas, les électeurs se rendront-ils aux urnes en nombre suffisant pour relever le défi évoqué par tous les partis politiques, celui du renforcement de la démocratie et du renouvellement des élites locales ?
