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Une nouvelle carte politique après le scrutin du 4 septembre

Les élections communales et régionales ont confirmé la tendance dégagée par les élections professionnelles. Le comportement futur de l’Istiqlal risque d’impacter la nouvelle scène politique.

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politique 2015 09 29

Le processus électoral touche à sa fin. Avec le renouvellement total de la Chambre des conseillers dans sa nouvelle formule, prévu le 2 octobre, on arrive au terme d’un long marathon qui a commencé en mai dernier avec les élections professionnelles. Depuis cette date une nouvelle carte politique a commencé à se dessiner, progressivement. Chaque scrutin confirme, sinon les résultats, du moins les tendances du précédent. Si aux élections professionnelles la montée du PJD, à travers son bras syndical l’UNTM, était prévisible, le parti, contrairement à toute attente, n’est cependant pas arrivé à percer. L’UNTM s’est donc classée 4e avec seulement 7,29% des sièges loin derrière l’UMT et l’UGTM (bras syndical de l’Istiqlal) dans le secteur privé et, paradoxalement, 6e avec 7,34% des sièges dans le secteur public, très loin derrière l’UMT et la CDT. Deux mois plus tard, les élections des Chambres professionnelles confirment ces résultats du parti islamiste et laissent encore entrevoir une montée en puissance du PAM à la veille des communales. Au terme du scrutin du 7 août portant sur le renouvellement total des Chambres professionnelles (dont la répartition a été revue en fonction du nouveau découpage régional), le PAM est arrivé premier avec 408 sièges (soit 18,72%) et loin derrière se trouve le PJD (5e position) avec seulement 196 sièges (8,99%). Le RNI signe une percée qui sera confirmée plus tard à l’occasion des élections des Conseils communaux, régionaux, préfectoraux et provinciaux. Le parti est classé deuxième avec 326 sièges (soit 14,96%). Et si l’Istiqlal arrive à garder une place confortable aussi bien à travers son bras syndical, l’UGTM (2e dans le secteur privé avec 7,5% des délégués et 5e dans le public avec 7,77% des délégués), que lors du renouvellement des Chambres professionnelles (deuxième avec 351 sièges, soit 16,11%), ce n’est pas le cas pour l’USFP dont le bras syndical la FDT vient de quitter le club fermé des syndicats les plus représentatifs (1,96% des délégués dans le secteur privé). La performance de ce parti aux élections des Chambres professionnelles n’est pas non plus reluisante. Il est classé 6e avec seulement 163 sièges (soit 7,48%). Voilà pour les élections professionnelles. Le double scrutin du 4 septembre vient de confirmer cette tendance générale et fixe désormais la nouvelle carte politique, et les contours d’un champ dans lequel le PAM et le PJD livrent une bataille de positionnement. Ainsi, le PJD a réussi à s’imposer au niveau des grandes villes et les voix qu’il a recueillies lui ont permis de se classer premier, en nombre de sièges, aux élections régionales. Son avancée s’arrête à ce stade. Même en ayant pu tirer profit de cette situation pour vendre son image de première force politique, ses ambitions se sont heurtées à la réalité locale et aux impératifs des alliances à l’échelle communale et régionale. C’est ainsi que malgré le nombre de voix qu’il a pu recueillir, le PJD n’a pu remporter que 5 018 sièges au niveau des communes, ce qui lui vaut une 3e position derrière le PAM (6662 sièges) et l’Istiqlal (5085 sièges). 

Les grands électeurs ont dit leur mot

Un résultat qui ne lui permettra de gérer, avec ses anciens alliés de la majorité et ses nouveaux alliés locaux de l’opposition, que 176 communes (soit 11,83% sur un total de 1 488 dont les bureaux ont été constitués parmi les 1 503) contre 350 (soit 23,52%) pour le PAM. Cela dans un premier temps. 

Dans un second temps, le parti islamiste ne dirige que 219 Conseils provinciaux et préfectoraux (16,04%) contre 282 (soit 20,66%) pour le PAM. Pour ce qui est des Régions, le PAM en dirige cinq, le PJD, l’Istiqlal et le RNI deux chacun et le MP une seule. Pour justifier ces performances, les islamistes se lancent dans une campagne de dénigrement contre leurs adversaires, mais aussi contre leurs alliés. Un discours biaisé au niveau de la direction du parti. Cela en mettant l’emphase sur les candidatures du secrétaire général de leur adversaire, le PAM, et de son adjoint. Les ténors du PJD n’ont pas caché leur étonnement devant l’élection, par exemple, de Mustapha Bakkoury à la tête de la Région de Casablanca-Settat ou encore d’Ilyass Elomari à Tanger-Tétouan. Une autre aberration galvaudée par le PJD, c’est que les alliances à l’échelle nationale doivent être reconduites au niveau local. 

Or, comme le soutient ce politologue, «au sein de la commune on ne peut pas vraiment parler d’alliance politique ou partisane. A ce niveau, on ne parle que de coordination de partis dans l’objectif de gérer les affaires locales dans une collectivité territoriale, qu’elle soit une commune, une Région ou autres. On parle d’alliance de coalition à l’échelle nationale où il est question de produire de la législation et des politiques publiques»

Cette logique de majorité et d’opposition n’a donc pas résisté aux spécificités régionales et locales, marquées dans l’ensemble par des particularités ayant trait notamment aux relations personnelles, à des rapprochements locaux, voire à une volonté de continuer des expériences réussies en matière de gestion ou tout simplement lorsque se présentent deux profils aux niveaux de compétences très éloignés. Dans ces derniers cas, les grands électeurs finissent par plébisciter le candidat ayant un niveau de compétences élevé, donc une plus grande aptitude à gérer une région ou une commune. Ce constat a amené certains acteurs politiques locaux à passer outre les orientations des instances centrales de leurs formations politiques, en annonçant, via des communiqués, des chartes d’honneur et des engagements de coalitions qui dérogent à l’esprit de la majorité ou de l’opposition. 

Le RNI grand gagnant ?

Des chartes et engagements sont parfois signés par des membres de partis antinomiques, le PJD et le PAM en l’occurrence (c’est le cas notamment à Tétouan, Nador, Berkane et dans bien d’autres régions). Ce qui n’a pas empêché l’émergence, à l’échelle globale, de deux pôles politiques, deux offres politiques et deux projets de société qui ne manqueront pas de s’engager dans une rude bataille dans un an, à l’occasion des élections législatives. 

Deux partis émergent donc. D’autres sont un peu moins visibles, mais ce n’est pas pour autant que leur impact sur les résultats des élections est négligeable. Le RNI en donne cette impression. Selon Ahmed Bouz, professeur de sciences politiques à l’Université MohammedV de Rabat, «sa présence a été décisive, qu’il soit aux côtés des partis de la majorité ou auprès de ceux de l’opposition. Le parti a été largement critiqué par ses alliés actuels, principalement le PJD, pour ne pas avoir tenu ses engagements et ses élus qualifiés de “traîtres”». En effet, le RNI a pris de l’importance, il a su être incontournable aussi bien pour ses alliés au gouvernement que pour ses partenaires à l’échelle locale. Ses élus ont voté à chaque fois que l’intérêt de la commune, de la région ou, plus globalement, de la Nation les y incite, tantôt avec les partis de la majorité tantôt avec les formations de l’opposition. 

Le RNI, de par les départements gouvernementaux dont il a la charge, pourrait également tirer avantage de sa présence au gouvernement pour se mettre en avant lors des futures législatives. En même temps, il renforce sa présence au niveau local avec 4 416 sièges (4e position), deux Régions à diriger, 230 Conseils communaux (15,48%) dont il assurera la gestion et 161 Conseils provinciaux et préfectoraux (4e avec 11,79%). C’est sans doute pour cette raison, et parce qu’il constitue un sérieux concurrent pour  les futures élections législatives, que la machine de propagande du PJD tient absolument à le diaboliser pour tenter de l’affaiblir en traitant ses élus de “traîtres”, de “carriéristes” et en l’accusant d’avoir failli à ses engagements envers ses alliés. Or le parti, comme le MP d’ailleurs, a été clair dans ses coalitions locales. Il a soutenu la majorité à chaque fois que celle-ci détient le plus grand nombre se sièges dans une commune ou une Région et les autres formations dans les communes ou régions où la majorité est minoritaire. 

L’Istiqlal à la croisée des chemins

Cela dit, ces élections ont fait deux perdants notoires, l’Istiqlal et l’USFP. Certes, la machine électorale de l’Istiqlal a bien fonctionné, le parti est deuxième derrière le PAM avec 5 085 sièges. Ce qui a permis de présider 230 communes (15,46%) soit autant que le RNI, deux Régions et 190 Conseils provinciaux et préfectoraux (13,9%). 

Un score honorable pour ce parti qui a animé la scène politique depuis près de 80 ans, mais sur le plan symbolique, après avoir perdu son fief, Fès (la ville et la Région) et être éjecté des principales grandes villes, il n’a remporté que deux présidences de Conseils de villes de plus de 100 000 habitants (sur un total de 36, le sort d’Oujda n’ayant pas encore été fixé), le parti est mal à l’aise. 

C’est une victoire électorale au goût amer puisqu’elle représente une défaite politique. Le parti tirera les conclusions, mais aussi les leçons qui s’imposent à la prochaine réunion de son conseil national programmée pour le 17 octobre. La réunion dont l’ordre du jour comporte également un point crucial, la démission de son secrétaire général. Quels que soient les résultats de cette réunion, une chose est sûre : pour l’Istiqlal, il y aura toujours un avant et un après 4 septembre 2015. L’USFP, qui remet lui aussi la latitude d’évaluer ses (contre) performances électorales à sa commission administrative qui se réunira également courant octobre, s’est déjà empressé de rejeter la responsabilité de sa défaite sur les autres, ses propres militants, le gouvernement, la majorité et l’opposition. 

Le parti a fait état de «manœuvres fomentées par des adversaires contre le parti (…), lors de la phase des candidatures où l’argent avait coulé à flots en vue de séduire des candidats connus pour leurs influences au niveau de la société», lit-on dans un communiqué de son bureau politique. Le parti a également pointé du doigt «la gestion par le gouvernement des élections» et «les dysfonctionnements et les déviations qui ont affecté la coordination au sein de l’opposition»

Pour le reste, le parti a invité ses candidats tête de liste à dresser des rapports du déroulement des élections dans leurs circonscriptions. Lesquels rapports devraient être soumis au débat au sein de la commission administrative. Le PPS qui, sans avoir atteint ses ambitions (à savoir la présidence d’une Région et de 300 communes), s’en sort plutôt bien avec une 7e position et 1768 sièges qui lui ont permis de présider 80 communes -mais aucune grande ville- et 68 Conseils provinciaux et préfectoraux.

 Le parti a entamé la  préparation d’«un projet intégré visant la restructuration et la mise à niveau du parti». Ce projet qui portera sur l’ensemble des structures du parti et sera mis en œuvre avant la fin de l’année en cours. La FGD (PSU, PADS et CNI) ne s’est pas non plus imposée malgré son discours novateur. Globalement, la gauche a été acculée à évoluer dans les petites villes et le monde rural. L’UC a fait moins que les précédentes élections, mais il est en pleine restructuration après avoir changé de tête. 

Voilà pour les huit premiers partis qui composent désormais la carte politique nationale. A eux seuls, il ont raflé plus de 95% des sièges et dirigent la quasi-totalité des conseils élus. Douze partis dirigent à peine une quarantaine de communes, alors que dix formations politiques ont remporté ensemble à peine 28 sièges dans les Conseils préfectoraux et provinciaux. Naturellement, font partie de ces formations le PRV (né d’une scission du PJD) et le MDS qui, bien qu’ils aient intégré certains chioukhs salafistes, n’ont finalement pu tirer profit du vote des salafistes. Le MDS a remporté 14 sièges dans les Conseils préfectoraux et régionaux et 297 sièges dans les conseils communaux. Le PRV, lui, n’a pu remporter que 54 sièges aux élections communales. 

C’est pour dire que l’initiative des deux formations de renforcer leurs rangs avec des membres du courant salafiste ne s’est pas traduite par des voix électorales. En d’autres termes et contrairement à d’autres pays de la région, nos salafistes peinent vraiment à percer.