Pouvoirs
Une énième fronde, qui ne déboulonnera pas M. Osman
Le vent de fronde des députés contre la greffe forcée de deux ministres technocrates au RNI n’est pas encore retombé.
Crise organisationnelle chronique, affaiblissement des capacités de négociation, la fronde cible les maux du parti.
Contrairement à d’autres partis du même type, le RNI se maintient bien électoralement. Pourquoi ? Eléments de réponse.

La tempête soulevée par le sort réservé au Rassemblement national des Indépendants (RNI) lors du remaniement ministériel de juin dernier s’est-elle calmée après la trêve estivale ? Si à la direction du parti on veut bien le croire, les membres de son groupe parlementaire à la Chambre des Représentants ont un autre avis. Menés par Mohamed Abbou, les députés du RNI tiendront une réunion dans les prochains jours pour actualiser leur communiqué incendiaire de juin dernier.
Que contient ce texte ? Trois revendications principales : la redynamisation des structures du parti, sa démocratisation et un fonctionnement normal et régulier de ses instances. On comprend mieux la légitimité de ces exigences lorsqu’on sait qu’en 26 ans, le RNI n’a tenu que trois congrès et que les deux derniers étaient espacés de plus de 18 ans ! Pire, pendant toutes ces années, le conseil national du parti ne s’est pas réuni une seule fois.
Quant au comité central et au bureau exécutif, ils étaient en morceaux… De la scission du PND (en juin 1982) en passant par les multiples frondes et les nombreuses défections, la direction du RNI s’est réduite au dernier carré de fidèles du président. Le dernier congrès (novembre 2001) a donc été l’occasion de renouveler très largement, voire de refonder les organes centraux de ce parti.
Or, le même scénario semble se répéter. Le conseil national n’a jamais été réuni et le comité central ne l’a été qu’une seule fois, quelques jours après le congrès pour élire le bureau exécutif. Là aussi, si une avancée a été réalisée par l’élection de ce dernier au vote secret et sur la base de candidatures individuelles, son fonctionnement, depuis, laisse beaucoup à désirer.
Crise organisationnelle chronique
Un constat confirmé par l’ancien vice-président RNI de la Chambre des Représentants, Mohamed Oudor : «Il faut reconnaître que ce bureau exécutif a du mal à se réunir et certains de ses membres n’ont jamais participé à ses réunions. Tant que les organes centraux du parti ne se réunissent pas régulièrement et ne fonctionnent pas normalement, les problèmes ne feront que s’aggraver». Et de conclure : «Le RNI vit une crise organisationnelle chronique aggravée par un vide au sommet du parti, lequel est exploité par certains porte-parole autoproclamés».
C’est dans ce contexte qu’était intervenue la tempête provoquée par la greffe forcée de deux technocrates à l’équipe gouvernementale du RNI : Salaheddine Mezouar et Mohamed Boussaïd. Avec le recul, Abdeslam Znined, ancien ministre et membre du bureau exécutif du RNI, se souvient : «En vérité, tout le monde au RNI a été choqué par la manière dont le remaniement ministériel de juin a été conduit. La pilule a été dure à avaler. Les choses se sont mal passées parce qu’elles ont été mal préparées. Il y a eu un déficit de communication. Le président était à l’étranger et la direction du parti n’a pas été associée à la décision».
Si M. Znined et la direction du RNI parlent au passé, les députés du parti parlent au présent de la crise et le vent de fronde qui les agitait n’est pas prêt à retomber. Ils qualifient ce qui s’est passé en juin 2004 de «hogra politique»! D’autant plus que, dans les rangs des ministres du parti, il y a eu une hécatombe : quatre ministres sur six ont été remerciés. Les caciques du parti ont été déclarés persona non grata pour succéder à leurs camarades éjectés du gouvernement et deux technocrates ont été imposés comme ministres du parti.
Cette opération de greffe technocratique aux partis a donc été pratiquée sur le RNI. Un an et demi plutôt, c’était le Parti de l’Istiqlal qui en avait fait l’objet. La cooptation de Karim Ghellab et de Adil Douiri comme ministres istiqlaliens avait provoqué de violentes réactions de rejet à la fois de la part des anciens et des jeunes de ce parti.
Affaiblissement continu des capacités de négociation
À l’annonce de la formation du gouvernement Jettou II, les parlementaires du parti étaient quasiment entrés en dissidence. Ils avaient même menacé – une première – d’organiser un sit-in devant le siège du parti.
En quoi consistaient leurs critiques ? En fait, elles sont récurrentes et reviennent à chaque constitution de gouvernement. Le RNI compte dans ses rangs 87 parlementaires et dirige 4 régions, 12 assemblées préfectorales et provinciales, 23 chambres professionnelles et plus de 200 communes urbaines et rurales. Or, ce poids électoral est bradé par la direction du parti en termes de représentativité au gouvernement. Les députés du RNI dénoncent aussi l’affaiblissement continu des capacités de négociation de la direction du parti. Certains, comme Abdelhadi Alami, membre du bureau exécutif du parti et son coordinateur régional à Marrakech, n’ont pas hésité à exiger, dans les colonnes de la presse, le départ d’Ahmed Osman.
La goutte qui a fait déborder le vase, lors du remaniement ministériel du 8 juin, fut cependant cette injection forcée de technocrates au RNI. Cela a été très mal ressenti. Larabi Jaïdi, membre de la commission administrative de l’USFP, avait bien perçu ce sentiment (voir La Vie éco du 11 juin 2004) : «Il n’y a pas pire et plus dévalorisant pour un parti. Il n’y a pas plus dangereux pour la démocratie. C’est une démarche qui ne peut pas prétendre moderniser les institutions partisanes. Les greffes sur des corps affaiblis ont souvent donné lieu à des rejets. La consolidation de la démocratie exige de contribuer à la crédibilisation des partis et non pas à leur discrédit.»
Mais alors, comment une formation politique souffrant d’une crise organisationnelle chronique, d’un déficit de leadership au sommet du parti, sans idéologie forte pour le cimenter, se maintient-il électoralement parlant, contrairement à d’autres qui, tels le PND ou l’UC, se réduisent comme une peau de chagrin?
Le secret du RNI réside dans la force de ses notables. On peut même affirmer que le RNI a été la matrice des partis de notables (non amazighs) puisque toute la direction du PND (Mohamed Arsalane Al Jadidi, Abdallah Kadiri, Abdelkader Raïss, Ali Kayouh, entre autres) et une bonne partie de celle de l’UC (Omar Jazouli, Mohamed Jalal Essaïd, Mohamed Lotfi) sont sorties des rangs du RNI. Il suffit de lire la liste des 140 députés SAP (sans appartenance partisane) du Parlement de 1977 pour s’en convaincre.
Le cas récent de la transhumance de Haj Ali Kayouh, du PND vers le Parti de l’Istiqlal, en est une bonne illustration. Ce dernier a apporté dans sa besace trois sièges de parlementaires et près de 20 présidences de communes dans la région de Taroudant. Ainsi, chaque notable a sa propre clientèle politique qui le suit et vote pour lui quel que soit son parti d’élection. Au RNI, les notables sont légion. Citons les plus connus: Mohamed Bouhdoud Boudlal (Taroudant), Lahcen Bijdiguen (Agadir), Omar Bouaïda (Ouarzazate), Mohamed Abbou (Taounate), Hassan Derham (Laâyoune)…
Jusqu’où ira la fronde des députés ?
Le deuxième facteur explicatif peut être le fait que le RNI est un parti qu’on choisit par défaut ! Lorsqu’on veut entrer en politique, ou plutôt dans l’arène électorale, et qu’on n’a pas d’atomes crochus avec les partis de gauche, ceux issus du Mouvement national ou à connotation amazighe, on choisit forcément le RNI, à défaut de mieux. Un parti qui offre également «l’avantage» d’être idéologiquement indéfini. Les élucubrations sur son option centriste, sociale démocrate ou même libérale ne convainquent personne.
Enfin, le RNI se maintient, selon un universitaire et ancien rédacteur en chef du quotidien arabophone du parti, Ahmed Jazouli, par la personnalité de son président, de son parcours politique et du positionnement du parti sur l’échiquier politique national.
Un épisode étonnant de l’histoire politique marocaine révèle assez bien ce positionnement particulier. La menace de l’USFP de quitter le Parlement (en octobre 1981), après l’adoption d’un référendum constitutionnel qui prévoit la prorogation du mandat parlementaire de deux ans, poussera feu Hassan II à demander au RNI de passer dans l’opposition pour être «l’opposition du gouvernement de Sa Majesté». Le RNI jouera ce rôle d’opposition parlementaire d’octobre 1981 à mai 1983.
Dans ces conditions, et étant donné la nature du RNI, quel effet peut avoir la fronde actuelle des députés sur l’évolution du parti ? Le politologue Mustapha Sehimi (Maroc Hebdo International, du 3 au 9 septembre 2004) estime qu’elle n’ira pas loin : «M. Osman reste le seul fédérateur d’un rassemblement composite, formé de strates diverses et de générations différenciées, mais aussi parce que les “dauphins”déclarés ou non ne disposent ni d’une crédibilité, ni d’une visibilité nationale conséquente. Les états d’âme sur fond de mauvaise humeur traduisent sans doute un état d’esprit frondeur qui ne dépasse pas en tout cas les couloirs du Parlement».
En guise de conclusion, on pourrait affirmer que le RNI est une formation politique forte de ses notables et de ses élus nationaux et locaux (2 840 conseillers communaux). A part un noyau central au bureau exécutif, les autres organes centraux n’ont aucune espèce d’importance. En exagérant à peine, on pourrait dire que le RNI est plus proche d’un label que d’une l’organisation
Le secret du RNI réside dans la force de ses notables. On peut même affirmer que le RNI a été la matrice des partis de notables (non amazighes) puisque toute la direction du PND et une bonne partie de celle de l’UC sont sorties des rangs du RNI.
A part un noyau central au bureau exécutif, les autres organes centraux ne comptent pas. On peut dire que le RNI est plus proche du label que de l’organisation.
Ahmed Osman reste, à 74 ans, le chef contesté mais incontournable d’un parti de notables et d’élus.
