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Pouvoirs

UGTM, la fin du raïs

Mohamed Benjelloun Andaloussi désigné à la tête de la centrale syndicale pour
un an.
Un congrès ordinaire pour mars 2007 et des changements organisationnels
déjà adoptés.
L’Istiqlal se contente d’observer de
loin.
Afilal a-t-il dit son dernier mot ?

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«c’est un congrès frappé de nullité, aucun des responsables de l’UGTM n’y était présent. […] Ces gens jouent une sorte de poker… Ce sont des intrus qui sont venus des régions de Meknès et de Fès, sur les ordres de Hamid Chabat, pour envahir l’UGTM. Je peux bien sûr faire la même chose, mais je respecte et la justice et la sécurité», fulmine Abderrazak Afilal. Le vieux leader n’en démord pas : il se présente toujours comme le dirigeant légal de l’Union générale des travailleurs du Maroc. Pourtant, le dimanche 29 janvier aura vu ses détracteurs tenir un congrès extraordinaire au local UGTM du port de Casablanca. L’affluence y sera telle que beaucoup de militants, restés à l’extérieur, devront braver la pluie pour écouter les déclarations du «comité de redressement». En moins de quatre heures, le congrès procédera à la nomination de nouveaux dirigeants, Mohamed Benjelloun Andaloussi accédant au secrétariat général, secondé par Mohamed Titna Alaoui.

En revanche, la composition du bureau exécutif ne variera pas beaucoup depuis le congrès précédent, malgré les huées de militants qui ne verront pas d’un bon œil le retour de proches d’Afilal, fraîchement ralliés. Il ne s’agit toutefois que de nominations temporaires, en attendant le renouvellement de toutes les instances dirigeantes du syndicat lors du congrès ordinaire, prévu pour mars 2007.

Les détracteurs d’Afilal se sont-ils contentés de devenir califes à la place du calife ? Détail intéressant, le «comité de redressement» a profité de l’occasion pour annoncer une série de changements au niveau des statuts même du syndicat, de manière à empêcher de nouveaux abus, explique-t-on. Ainsi, désormais, le nouveau secrétaire général aura moins de pouvoirs que du temps d’Afilal puisque non seulement il sera flanqué d’un numéro 2, mais en plus, les finances du syndicat relèveront désormais d’un trésorier général lui-même secondé. Enfin, le secrétaire général du syndicat n’aura plus le droit de cumuler plus de deux mandats de quatre ans, une annonce qui fera jubiler la salle.

Vers une mutation des instances dirigeantes ?
Les troubles de l’UGTM sont-ils terminés ? Rien n’est moins sûr car ce ne sont pas les rebondissements qui ont manqué depuis qu’Afilal et plusieurs membres du conseil exécutif du syndicat s’étaient mutuellement exclus de l’UGTM, l’été dernier. «Prise» du local UGTM du port, menaces de bagarres, la situation a failli se détériorer gravement entre les partisans d’Afilal et ses détracteurs en septembre dernier. L’affaire a été compliquée par plusieurs attaques en justice, souvent bloquées soit par les immunités parlementaires soit par l’incapacité du tribunal. La plus récente aura d’ailleurs lieu quelques jours seulement avant le congrès qu’Afilal avait cherché à prévenir via un nouveau recours à la justice, sans succès, selon ses adversaires. Le dernier coup de théâtre sera celui du 21 janvier dernier, avec la «prise» du quartier général par les adversaires du vieux leader, ce qui amènera Afilal à s’avouer vaincu dans un premier temps. «Toute la presse nous a appelés. Les journalistes nous ont dit qu’ils ont eu Afilal au téléphone, qu’il avait confirmé sa démission du parti et du syndicat. Ils nous demandaient notre point de vue sur la situation», raconte Mohamed Larbi Kabbaj, l’un des dirigeants de la fronde. «Le lendemain, il a envoyé un communiqué à l’agence MAP dans lequel il déclarait ne pas avoir démissionné du syndicat et qu’il pensait se retirer du parti».

L’UGTM, en tout cas, semble avoir tourné la page en matière d’organisation. Quelques jours avant le congrès extraordinaire, M. L. Kabbaj signait un chèque pour assurer un fonctionnement normal de l’institution. A leur arrivée au siège du syndicat, les rebelles ont découvert une situation lamentable : téléphone coupé, eau et électricité sur le point de l’être, loyé non payé depuis des mois, et des factures impayées. Un petit fonds sera débloqué à la hâte pour remettre les choses en place. On se prend à rêver à un nouveau siège pour le syndicat : une structure modeste, construite avec l’aide de syndicats internationaux, et équipée pour abriter des rencontres. Mais l’UGTM est encore loin de là, tout reste à reconstruire : «Nous avons pris la décision de repartir à zéro, de changer les instances, et la mentalité des militants», explique Abdesslam Lebbar, récemment nommé trésorier du syndicat. Pour Mohamed Benjelloun Andaloussi, la situation est plus compliquée. «La responsabilité que j’ai prise à la tête de l’UGTM consiste à soigner les structures de base du syndicat, ce qui est plus difficile et plus risqué que lorsque l’on en crée un nouveau», confie-t-il.

Des salariés pour gérer l’administration UGTM
En effet, le syndicat devra procéder à une série de réformes, notamment au niveau de ses finances et de son organisation interne. «Désormais, les paiements devront se faire systématiquement par chèques co-signés par deux personnes : le secrétaire général ou son remplaçant, et le trésorier général ou son remplaçant. Il faut aussi un plan d’action concernant le budget, qui soit validé par le comité central et le bureau exécutif», explique Khadija Zoumi, membre de la commission qui a planché sur la réforme du règlement intérieur de l’UGTM.
Mais cela n’est pas tout, ajoute-t-elle, insistant sur la nécessité de recourir à des professionnels pour rationaliser la gestion du syndicat. «Il va y avoir une administration UGTM, composée de permanents salariés et non pas de militants, avec un comptable, un service d’archivage, une secrétaire permanente, etc. Il faudra également un responsable juridique car nous établissons des conventions sans savoir si elles sont bonnes ou pas. Nous voulons faire avancer la réforme organisationnelle et structurelle des syndicats du Maroc», ajoute-t-elle.
Toutes ces réformes nécessiteront un minimum de coopération au niveau des militants, d’autant plus que la crise n’a pas vraiment amélioré les relations entre eux, y compris au niveau des régions. Cela amènera d’ailleurs Hamid Chabat, membre du «comité de redressement», à déclarer, lors du congrès, sa disponibilité à négocier des solutions dans les régions où les désaccords persistent entre les militants.

Jusqu’où ira la résistance d’Afilal ? Désormais, au syndicat, les langues se délient contre lui. Dans les couloirs de l’UGTM, les uns l’accusent de distribuer les faveurs, d’abuser des fonds du syndicat, les autres de court-circuiter les négociations de ce dernier, comme cela se serait passé à Safi ; d’autres encore, comme Kenza Bourakkadi, de les avoir fait exclure de leurs responsabilités pour avoir demandé des comptes concernant les finances de la section féminine.
Quelle que soit la résistance de celui qui aura dirigé le syndicat pendant près de 40 ans, il semble avoir perdu la guerre d’avance. Mais pourquoi avoir attendu autant de temps pour l’expulser ? Interrogés à ce sujet, certains avancent qu’il était beaucoup trop fort, qu’il pouvait exclure tout le monde. D’autres l’accusent d’être un ancien protégé de Driss Basri. D’autres encore, à l’instar de Mohamed Titna Alaoui, ont expliqué que les problèmes n’ont commencé que très récemment, et qu’ils avaient essentiellement trait à une gestion insuffisante du syndicat. Est-ce donc l’âge qui a finalement eu raison d’Afilal ? Les changements structurels en cours semblent suggérer qu’il est plutôt victime d’une adaptation de la structure même du pouvoir à la situation actuelle, ce qui augure d’autres chutes parmi les autres raïs des partis politiques et des syndicats marocains…

M. Benjelloun Andaloussi (au micro) a été plébiscité par les militants lors du congrès extraordinaire de l’UGTM qui s’est déroulé 29 janvier dernier.

Le silence de l’Istiqlal

Lecongrès extraordinaire des détracteurs d’Abderrazak Afilal se sera déroulé en l’absence, notable, de représentants officiels du parti de l’Istiqlal. Le parti de Abbas El Fassi désapprouvait-il l’action du «comité de redressement» ?
Après avoir tardé à intervenir pour calmer les esprits durant les premiers mois de la crise, l’Istiqlal a vu échouer ses appels au calme. L’échec de l’intermédiation était d’autant plus gênant que M. Afilal, membre du comité exécutif du parti, en a profité pour étaler dans la presse ses dissensions avec le secrétaire général. La leçon semble retenue, le retour aux hostilités au sein de l’UGTM au mois de janvier n’ayant pas suscité de réaction de la part du parti, bien que M. Afilal laisse entendre que certains de ses membres sont derrière tout cela. Chez ses adversaires cependant, on avance que l’UGTM est indépendant, et qu’il est donc logique de le laisser se sortir seul du bourbier. Autant de théories qui se tiennent à l’heure où les déclarations d’Afilal à la presse concernant le gel de sa participation au parti n’ont pas été confirmées par écrit, ce qui pourrait augurer d’un nouveau retournement de situation.

Le passé risque de devenir une arme contre nous, il faut en sortir

La Vie éco : Vous avez été vice-secrétaire général de l’UGTM jusqu’au congrès ordinaire. Quels sont désormais vos objectifs ?
Mohamed Titna Alaoui : Réorganiser l’UGTM, modifier certains articles des statuts de manière à favoriser le travail d’équipe et en même temps, organiser des congrès régionaux et sectoriels, non pas pour renouveler mais pour injecter un certain dynamisme à tous les adhérents de l’UGTM.

Pourtant, M. Afilal se dit toujours secrétaire général…
Les statuts sont clairs et nets. Ces statuts que Abderrazak Afilal a confectionnés lui-même comprennent un article qui stipule que le congrès doit se tenir dans les quatre ans qui suivent le précédent. Selon cette règle, le congrès devait se tenir en 2004. Cela n’a pas été le cas, ce qui veut dire que le secrétaire général et le bureau exécutif sont caducs et n’ont plus le droit de gérer le syndicat. Le statut ne parle pas d’un minimum de quatre ans [entre deux congrès] mais d’un maximum de quatre ans. Le même article parle aussi des congrès extraordinaires. Nous avons procédé selon les règles. A la suite de la réunion qui s’est tenue à Rabat l’année passée avec le comité central, nous avons constitué ce qu’on appelle la commission préparatoire du congrès qui a convoqué ce dernier, qui est légal et qui réclame la présence de tous les représentants, tous les secrétaires généraux des unions du Maroc, de tout le comité central. Même les membres qu’il a nommés au bureau exécutif ont rejoint des anciens élus au congrès. Cela veut dire que nous sommes dans les règles ; la preuve c’est qu’Afilal a tenté de faire passer l’affaire en justice il y a quelques jours et le tribunal a rejeté son dossier.

L’UGTM a-t-elle décidé de demander des comptes à Afilal pour sa gestion des finances du syndicat ?
Nous avons décidé dimanche de tourner complètement la page pour nous occuper de la centrale. Dans le rapport qui a été présenté, nous avons remercié Abderrazak Afilal. Qu’il fasse ce qu’il veut, nous avons fait les choses dans les règles, en présence des secrétaires régionaux et provinciaux. Notre dossier est légal et clos.
Dans le Maroc de la démocratie il faut que tout le monde respecte les droits des autres, c’est la démocratie qui a parlé, c’est le congrès qui a parlé. Le pays a besoin de syndicats forts, de partis forts, unis dans le cadre des projets engagés par Sa Majesté. Notre objectif est de faire de l’UGTM une centrale solide, rentable et d’en faire bénéficier tous les partenaires sociaux pour mettre en place un vrai partenariat, créer un vrai syndicalisme de participation. Si on n’arrive pas à sortir du passé, il risque de devenir une arme contre nous.

Mohamed Titna Alaoui idrissi Vice-secrétaire général de l’UGTM