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Sahara : Quand les mythes tombent l’un après l’autre
Depuis 2018, la donne a complètement changé. Le Conseil de sécurité s’achemine progressivement vers une solution définitive sur la base du plan d’autonomie. Round up des derniers développements de la question du Sahara.

Comme chaque année, le Conseil de sécurité se réunira ce mois-ci à plusieurs reprises pour discuter de la question du Sahara avant de voter une nouvelle résolution le 27 octobre. Depuis 2020, plus exactement depuis la sécurisation par le Maroc du passage frontalier d’El Guerguerate, le 13 novembre, les événements s’accélèrent. Pour de nombreux observateurs, «nous sommes de plus en plus proches d’un dénouement en faveur du Royaume de ce dossier à l’ONU». Et pour cause.
Sur le terrain, la marocanité du Sahara est une réalité que vivent les habitants des provinces du Sud depuis fort longtemps, mais que tout observateur international peut aujourd’hui constater de visu. Les provinces du Sud ont connu une transformation profonde à coups d’investissements publics chiffrés en dizaines de milliards de dirhams. Ce n’est pas d’ailleurs à dissocier de l’ouverture de consulats à Dakhla et Laâyoune qui s’enchaînent à une cadence soutenue. Les derniers pays en date à avoir annoncé leur décision d’ouvrir un consulat à Dakhla sont la Somalie et le Guatemala. C’était le 23 septembre. En parallèle, les retraits de la reconnaissance de la RASD par les rares pays qui ont encore des relations diplomatiques avec la république fantoche évoluent de la même manière. Le Kenya, un poids lourd de la zone est-africaine, est le dernier pays à avoir fait ce choix. Le rang des pays qui soutiennent le Plan d’autonomie, proposé par le Maroc en 2007, continue en revanche de s’élargir à vue d’œil. Rien qu’en Europe, au moins une dizaine de pays ont exprimé, récemment de manière claire, leur appréciation positive de l’initiative d’autonomie marocaine pour la résolution définitive de ce conflit préfabriqué. Les règles du jeu sur le plan international sont en train de changer et le Maroc, ayant anticipé cette évolution, a consolidé son positionnement d’abord avec la signature de l’accord tripartite Maroc-USA-Israël et, ensuite, avec son ouverture sur d’autres acteurs et groupements géostratégiques.
Fin des mythes
Le 13 novembre 2020 est une date clé. Avec l’opération menée dans la zone d’El Guerguerate ce jour-là, le Maroc en a fini définitivement avec au moins quatre mythes auxquels a continué à s’accrocher le Polisario depuis sa création. Le mythe de l’autodétermination n’est déjà plus d’actualité depuis 2002. Depuis cette date, le Conseil de sécurité des Nations Unies parle de «solution politique mutuellement acceptable». Par ailleurs, techniquement ce principe tel qu’il est prôné et défendu par l’Algérie, est devenu caduc. Ainsi, observe cet analyste algérien, «c’est une aberration que l’Algérie continue à parler de l’autodétermination de la population sahraouie alors qu’elle a choisi son sort depuis plus de quatre décennies. Sans même le lui demander, le régime algérien a créé un État fictif de toutes pièces qu’il continue à entretenir, armer et soutenir sur le plan international. Personne ne lui a demandé si elle veut bien de cette pseudo-république».
Cela dit, à partir de 2002, et au fil des années, le mythe du Polisario-représentant-unique des populations sahraouies a continué, lui aussi, à s’émietter jusqu’à s’évaporer complètement. La récente rencontre «Malga Ahl Sahra» (Rassemblement des gens du Sahara), une Conférence internationale pour la paix et la sécurité au Sahara, organisé les 22 et 23 septembre, à Las Palmas (Îles Canaries) par le Mouvement sahraoui pour la paix (MSP, créé en avril 2020), a montré que les Sahraouis ont choisi d’autres représentants. D’abord ceux qu’ils élisent régulièrement à chaque scrutin, depuis 1975, pour les représenter dans les différentes instances locales et régionales ainsi qu’au Parlement. Notons à ce propos que l’actuel président de la deuxième Chambre est issu de Smara et l’un des anciens présidents de cette institution est également originaire de cette région et compte des membres de sa famille dans la direction du Polisario. Ensuite ceux parmi la société civile, le Mouvement sahraoui pour la paix, par exemple, étant une plateforme de représentation civile d’un large pan de la population sahraouie. Même le mouvement «Khatt Achchahid» (la voie du martyr, fondé en 2004), organisation dissidente du Polisario, qui est dirigé par un membre fondateur, et ancien membre de la direction du front, Mahjoub Salek, continue de revendiquer la représentation de la population sahraouie retenue dans les camps de Tindouf, en Algérie. Le point commun entre tout ce beau monde, c’est de revendiquer haut et fort leur marocanité et leur attachement aux constantes de leur pays. Dans le cas de Khat Achchahid, son dirigeant vient d’affirmer officiellement que la question du Sahara ne peut avoir que l’une des deux issues. «Il ne nous reste que deux solutions : rester éternellement dans l’enfer des camps de Tindouf ou accepter l’autonomie. Une solution qui nous permettra de gérer nos affaires et garantira nos spécificités culturelles et sociales sur notre territoire national et dans le cadre de la souveraineté du Maroc». C’est une déclaration qui résonne haut et fort, venant d’un ancien dirigeant du Polisario et fin connaisseur des accointances entre les dirigeants du Front et les hauts gradés de l’armée algérienne.
Quand les USA montrent la voie
Le troisième mythe, conséquence directe de l’opération d’El Guerguerate, c’est celui des «territoires libérés», qui n’existent plus. Des témoignages rapportés par plusieurs sources affirment que, désormais, dans les camps, on évoque de plus en plus «les territoires interdits» pour désigner la zone tampon au-delà du dispositif de sécurité marocain. Les événements se succèdent donc. L’année dernière le Conseil de sécurité s’est réuni sur la question moins de dix mois après la reconnaissance des USA de la marocanité du Sahara. Au-delà du poids des USA en tant que première puissance mondiale, cette décision a toute son importance, étant donné qu’ils jouent dans cette question précise le rôle de «Pen Holder», c’est-à-dire que le projet de résolution qui est soumis à l’examen et au vote du Conseil de sécurité est rédigé par les USA. Cette décision, et c’est tout aussi important, a encouragé plusieurs pays à clarifier leur position sur la question.
Ainsi, cette année, le Conseil se réunit six mois après le changement historique de la position de l’Espagne sur le dossier. L’Espagne étant bien entendu l’ancienne puissance coloniale, le signataire de l’accord tripartie, Maroc-Espagne-Mauritanie, mais aussi et surtout l’un des membres les plus en vue du «Club des amis du Sahara», instance créée par l’ONU afin d’aider à la résolution du conflit. C’est au sein de ce club constitué des Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Russie et l’Espagne que sont discutées les grandes lignes du projet de résolution qui sera soumis au Conseil de sécurité.
Le dernier mythe qui vient de tomber, c’est celui de l’Algérie-non-partie. Les faits ont montré que le pays voisin est partie prenante de ce conflit, au point que, dernièrement, le Polisario est relégué au second rang. D’ailleurs, dans le projet de son rapport qui a été soumis au Conseil de sécurité, le 3 octobre, le Secrétaire général ne parle plus de «deux parties», mais de «parties concernées». Cela englobe forcément l’Algérie. Le texte précise, en effet, qu’«aucune solution pour résoudre le différend n’est possible sans la participation de toutes les parties concernées».
Pour la communauté internationale, le Polisario et l’Algérie ne font qu’un. Tous les moyens de l’État d’Algérie, y compris ses ministres et son staff diplomatique partout dans le monde, sont au service du Polisario. Plus encore, c’est l’Algérie qui a réagi la première à chaque percée diplomatique marocaine sur le dossier au point d’utiliser son gaz comme arme politique pour sanctionner, ou du moins faire pression, sur les États qui déclarent ouvertement leur soutien au Plan d’autonomie. Il faut souligner enfin, que depuis que le Polisario a décidé de rompre l’accord de cessez-le-feu, techniquement tous les termes de l’accord de 1991 tombent à l’eau. «Dorénavant, si négociations il y a, ce sera sur une nouvelle base et non celle de l’accord de cessez-le-feu», relève cet analyste. Les règles du jeu changent complètement et le Maroc est aujourd’hui dans son droit quand il exige que le plan d’autonomie soit la seule et l’unique base des négociations. Et ce n’est pas seulement faute d’autres propositions réalistes et acceptables…
Enjeux de la réunion du Conseil de sécurité
Selon la communication de l’ONU, une question clé que les membres du Conseil doivent examiner est de savoir comment amener toutes les parties à la table des négociations. Il s’agit bien de toutes les parties, y compris l’Algérie. La résolution 2602 du 29 octobre 2021 a appelé, en effet, toutes les parties à reprendre les négociations en vue de «parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, qui assurera l’autodétermination du peuple du Sahara». Au moment de la dernière réunion du Conseil de sécurité, Staffan de Mistura réfléchissait encore à son approche de médiation.
Des obstacles importants, estime-t-on auprès de l’ONU, subsistent encore dans le processus de paix. Le Front Polisario a annoncé en novembre 2020 qu’il se désengageait de l’accord de cessez-le-feu qu’il avait signé avec le Maroc en 1991. Les dynamiques régionales, telles que les tensions entre l’Algérie et le Maroc, compliquent davantage les perspectives d’un processus de paix revigoré.
Pour le prochain renouvellement du mandat de la Minurso, les membres du Conseil auront l’occasion de définir leurs attentes pour un processus politique et d’exprimer leur soutien à toute stratégie ou approche que De Mistura est en train de développer. Les membres pourraient en outre envisager de demander au Secrétaire général de publier un rapport sur le Sahara avant la prochaine réunion du Conseil de sécurité prévue en avril prochain. En toute logique, le Conseil devrait voter la reconduction pour une année du mandat de la Minurso. L’enjeu résidera sans doute dans les termes utilisés dans la rédaction de la nouvelle résolution. Rappelons à ce propos que le renouvellement du mandat de la Minurso ne fait pas l’unanimité depuis 2017, la Russie citant «le manque de référence au droit à l’autodétermination dans les mandats récents». L’année dernière, la Russie a préconisé la suppression du mot «réaliste» – un terme introduit pour la première fois dans le mandat de la Minurso dans la résolution 2414 du 27 avril 2018 – en référence à la recherche d’une solution politique, arguant que le terme n’était pas fondé sur le droit international.
Dates clés
3 octobre :
Le Secrétaire général soumet le projet de son rapport au Conseil de sécurité.
10 octobre :
Réunion des pays qui contribuent au financement de la Minurso.
17 octobre :
Consultations à huis clos lors desquelles le Conseil de sécurité devrait recevoir un briefing du Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le Sahara, Alexander Ivanko et de l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU pour le Sahara, Staffan de Mistura.
27 octobre :
Adoption de la résolution sur le Sahara par le Conseil de sécurité.
