Pouvoirs
Sahara : le Maroc doit passer en urgence au mode proactif…
Le rapport Tannock, la motion du PP à l’OTAN, la visite de C. Ross et son rapport…, le Sahara est au centre de l’actualité. Le changement à la tête de la diplomatie est un signe d’une nouvelle approche. Partis politiques, élus, acteurs sociaux et experts appelés à la rescousse.

Comme il fallait s’y attendre, le Parlement européen a adopté, mardi 22 octobre, sous forme de résolution, le controversé rapport du député conservateur britannique, Charles Tannock. Cela était attendu car, quelques semaines plus tôt, la commission des affaires étrangères avait déjà entériné une motion amendée de ce rapport consacré officiellement à la situation des droits de l’homme au Sahel. Voilà pour la partie officielle. Mais dans les faits, déplore le député socialiste et président du groupe d’amitié Maroc-UE, Gilles Pargneaux, «sous couvert de l’examen de la situation des droits de l’homme au Sahel, le Maroc est de nouveau pointé négativement du doigt par le Parlement européen». Le rapport consacre, en effet, une bonne partie de ses 118 articles, à la situation des droits de l’homme dans les provinces du Sud que son rédacteur, le député conservateur anglais, n’a même pas pris la peine de visiter pour les besoins de son «enquête», nous assure-t-on. La situation aurait pu être pire sans la mobilisation du groupe d’amitié et de la commission parlementaire mixte Maroc-UE. Les efforts conjugués des deux ont donné lieu «au retrait d’un nombre important d’amendements» et permis de «formuler 138 amendements d’un commun accord avec tous les groupes parlementaires européens», souligne-t-on auprès de la commission. En définitive, «les députés européens ont soutenu un texte équilibré et qui fait l’économie des questions les plus problématiques, notamment avec le rejet d’un amendement invitant au rejet de l’accord de pêche UE-Maroc», se réjouit Gilles Pargneaux dans un communiqué diffusé à l’issue de ce vote… Un vote qui intervient alors que l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU, Christopher Ross, venait de quitter le Maroc vers la Mauritanie et l’Algérie au terme d’une visite de 10 jours entre Rabat, les provinces de Sud et les camps de Tindouf. Le médiateur onusien devrait soumettre un rapport au secrétaire général qui le transmettra pour sa part au Conseil de sécurité, le 30 octobre. Le Conseil de sécurité, reviendra, par ailleurs, sur la question dans six mois, en avril 2014.
Presque en même temps, la quatrième commission de l’ONU vient d’adopter sans vote, le 14 octobre, une résolution consacrée à la question du Sahara. Le texte invite, notamment, les États de la région à coopérer pleinement avec les efforts engagés sous les auspices des Nations Unies et les uns avec les autres dans la recherche d’une solution politique mutuellement acceptable au différend régional sur le Sahara. Ce n’est pas tout. La délégation espagnole à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, conduite par des députés du Parti populaire, ont introduit, lors de la dernière session de l’assemblée du 12 au 14 octobre, une motion invitant l’OTAN à retirer le Polisario de sa liste des organisations armées représentant une menace pour la sécurité du Maroc.
Pendant ce temps, provocation et vandalisme
Sur le terrain, les affrontements entre les activistes séparatistes et les forces de l’ordre dans les provinces du Sud, qui ont coïncidé avec la visite du responsable onusien Christopher Ross, ont fait plusieurs blessés parmi les forces de l’ordre. Bien sûr, nul n’est plus dupe, ces manifestations non autorisées, actes de vandalisme, destruction de biens publics, provocation des forces de l’ordre font partie d’un rituel qui accompagne chaque visite d’un responsable onusien, membres du Parlement européen, membres des organisations des droits de l’homme dans la région. Les responsables des derniers évènements, quelques centaines de personnes dans une ville qui compte près de 200 000 habitants, sont connus des services de l’Intérieur comme sont connues les parties qui les manipulent, a laissé entendre le nouveau ministre de l’intérieur, Mohamed Hassad, mardi 22 octobre devant les députés. Ces évènements, a-t-il ajouté, font partie d’un plan de propagande dont les motivations sont connues. Voilà pour la situation actuelle dans les provinces sahariennes. A cela s’ajoutent quelques échauffourées, de temps en temps, alimentées, ou exploitées, par les réseaux séparatistes et leurs soutiens en Algérie et à Tindouf, comme ce qui vient de se passer dernièrement à Assa. L’objectif étant, à ne plus en douter, de faire vivre cette région dans un climat de tension afin d’amener les forces de l’ordre, à bout de nerfs par tant de provocations, à commettre l’impair.
Sur le plan local, à l’ONU comme en Europe, que ce soit au Parlement européen ou dans ceux des États membres, le Polisario, soutenu par les pétrodollars et la machine diplomatique algériens, s’active sur tous les fronts. En somme, et pour reprendre les termes du discours royal du 11 octobre, «la situation est difficile. Rien n’est encore tranché. Les manœuvres des adversaires de notre intégrité territoriale ne vont pas s’arrêter, ce qui pourrait placer notre cause devant des développements décisifs».
Que faire pour contrer cette offensive ? Le même discours indique la voie : «Une forte mobilisation, une vigilance de tous les instants, et des initiatives efficaces, aux niveaux interne et externe, pour contrecarrer les ennemis de la nation où qu’ils se trouvent, et pour déjouer les stratagèmes illégitimes auxquels ils ont recours». Jusque-là, affirme l’universitaire Tarik Tlaty, président du Centre marocain des études et de recherches stratégiques (CMERS), «la diplomatie royale a accompli entièrement et de manière efficace son rôle. Seulement, cela ne peut plus continuer de la sorte. Les autres acteurs, gouvernement, Parlement et société civile doivent s’impliquer davantage et d’une manière active dans le dossier». C’est que, explique-t-il, l’inertie dont le gouvernement a fait montre ces deux derrières années s’est déteinte sur les autres acteurs : le Parlement, les acteurs politiques et la société civile.
A nouvelles manœuvres, nouvelle stratégie
En effet, affirme le président du centre, auteur d’une initiative de rapprochement pour la paix dans la région entre experts marocains et ceux du Polisario engagée en 2010, sous les auspices de l’ambassade américaine à Rabat, «la diplomatie de la société civile n’a pu bénéficier d’aucun appui de la part du gouvernement». En parlant de la société civile, ajoute-t-il, «il faut comprendre les groupes de réflexions et, en général, les experts qui étudient, analysent et suivent de près la question et non ces associations qui font occasionnellement du tapage, le plus souvent afin de prouver leur existence». De même, «l’action institutionnelle a été d’un faible rendement, que ce soit celle du gouvernement ou du Parlement». Cependant, le discours royal, l’avènement d’un nouveau gouvernement et surtout le changement à la tête de la diplomatie sont peut-être le prélude d’un changement de stratégie. Le Maroc a, jusqu’ici, tant bien que mal réussi à déjouer les manœuvres du Polisario et son sponsor, l’Algérie, que ce soit sur le plan des droits de l’homme ou la gestion des ressources naturelles dans les provinces du Sud. Ces deux thèmes étant, depuis ces dernières années, au cœur de la stratégie des adversaires du Maroc. Sauf que depuis quelque temps, ces derniers ont adopté une nouvelle tactique : agir en amont, sur les institutions législatives et les instances décisionnelles pour les inciter à adopter des motions et des résolutions engageant les gouvernements des États et les instances exécutives des organisations des États.
Nous l’avons vu il y a six mois lors de l’examen, en avril dernier de la question du Sahara au conseil de sécurité et comment la diplomatie royale est intervenue pour neutraliser une proposition américaine d’étendre le mandat de la Minurso à la supervision des droits de l’homme. Nous l’avons vu dernièrement avec la motion votée par le Parlement suédois reconnaissant la république fantomatique de la RASD. Nous l’avons également vu plus récemment avec le rapport Tannock et la motion des députés populaires espagnols introduite auprès de l’assemblée parlementaire de l’OTAN. Et ce ne sont que des exemples.
Et si sur les deux points le Maroc s’en est plutôt bien sorti, on ne peut pas en dire autant pour le dernier point. Ainsi, et comme le constate le président du Centre marocain des études et recherches stratégiques, le Maroc a franchi une étape importante dans le domaine des droits de l’homme: le CNDH, installé à la veille du discours historique du 9 mars et de la promulgation de la nouvelle Constitution, est devenu une référence auprès des instances internationales en la matière. De même, pour ce qui est des ressources naturelles, le Maroc s’est appuyé sur les accords commerciaux signés avec divers partenaires économiques pour renforcer sa position, l’accord de pêche avec l’UE étant un exemple dans ce sens.
Le plan d’autonomie, un argument solide
Pour ce qui est du troisième point, à savoir la proactivité en amont au niveau des instances, M. Tlaty estime, en revanche, que «le Maroc est encore en retard, car il se contente encore de réagir et de jouer au pompier. D’où la référence royale dans le dernier discours, entre autres, à la société civile et à la refonte de la diplomatie marocaine, officielle et parallèle. On peut, toutefois, faire face à cette dernière tactique du Polisario et son promoteur en permettant aux experts d’interagir avec les faiseurs d’opinion dans les pays ciblés», poursuit M. Tlaty. Il faut juste pouvoir se doter d’une stratégie, des outils de travail et des ressources humaines qualifiées qui maîtrisent bien le dossier. Une chose est sûre, soutient-il, «on ne peut plus se contenter de défendre la question du Sahara sur la base de dossiers tronqués et incomplets». Par ailleurs, «la nomination d’un homme ouvert de la trempe de Salaheddine Mezouar est, en soi, le signe d’un changement imminent au niveau de la diplomatie marocaine et d’une nouvelle approche basée sur l’action préventive et l’anticipation des manœuvres adverses. Une stratégie par laquelle le Maroc pourrait notamment faire barrière aux moutures de rapports, de motions et de résolutions avant qu’elles ne voient le jour».
Quid aussi de l’initiative du plan d’autonomie qui date de 2007 ? «Depuis qu’il a été proposé, ce projet est toujours d’actualité. Les pays amis, et autres, continuent d’y réagir et de le soutenir. Il ne faut pas oublier non plus que, pour le moment, seul le Maroc a pu mettre sur la table des négociations une proposition crédible et sérieuse. Et même si le projet arrivait à s’essouffler, ce qui ne risque pas d’arriver, le Maroc passerait de la position active à la position passive, d’émetteur de proposition au statut de récepteur. Il peut toujours réagir à toute proposition adverse et s’y adapter, si une telle proposition existe, bien sûr», analyse cet universitaire.
Que faire alors ? Et comment faire ? Globalement, le Maroc peut adopter une stratégie à deux axes : une mobilisation interne pour refléter l’image d’un pays fort du consensus national sur la question. Le deuxième axe étant de renforcer ses liens diplomatiques avec ses alliés traditionnels et en créer d’autres. «Ses alliés ont toujours été là pour le soutenir. Pour cela, il peut même renforcer ses liens avec les pays du Golfe, principalement l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis qui ont une certaine influence sur la décision américaine ou, du moins, une facilité d’écoute auprès des locataires de la Maison Blanche», note cet universitaire.
Cela dit, le Maroc doit également adopter une politique active au niveau international, c’est-à-dire être présent même dans les rencontres et conférences où les acteurs gouvernementaux ne sont pas admis. En d’autres termes, s’assurer une présence, par ses experts, aux rencontres et forums et autres congrès internationaux d’ONG, d’experts et d’acteurs de différents domaines. Sur le terrain et pour endiguer les provocations, il faut appliquer strictement la loi. Il faut que l’État de droit pèse de tout son poids pour sanctionner les agitateurs et garantir réparation aux lésés.
A terme, la mise en œuvre de la régionalisation avancée est un moyen pour contrer les tensions et manœuvres de déstabilisation dans les provinces du Sud. Sur ce point, le Conseil économique et social planche déjà sur un modèle de développement local spécifique. Il faut juste que les partis politiques suivent ce choix en présentant des élites et cadres capables de donner corps à ce processus. C’est que, soutient l’universitaire Tarik Tlaty, la mise en place de la régionalisation est avant tout une question de mise à niveau des partis, de la démocratie interne au sein de ces formations et, de manière générale, de la refonte du système partisan.
