Pouvoirs
Régionalisation avancée : mode d’emploi
Douze régions autant de préfectures et 63 provinces. Les plus faibles bénéficieront d’une enveloppe de mise à niveau estimée entre 128 et 215 milliards de DH sur deux mandatures, Le Conseil de la région devient ordonnateur des dépenses et aura son mot à dire sur les politiques publiques ayant un impact sur son territoire. Il s’appuiera sur une agence régionale pour l’exécution de ses projets.
Douze régions, autant de préfectures et 63 provinces. Une nouvelle configuration territoriale du Maroc se profile. Elle sera effective dès l’adoption du statut de la régionalisation avancée, probablement en juin prochain, et devrait également être consacrée dans la nouvelle Constitution en préparation. Des compétences de l’Etat central seront transférées aux régions qui auront une plus grande latitude pour gérer leurs ressources et leurs affaires publiques. Les membres de la commission ad hoc qui a planché sur le projet l’ont voulu administrative, instaurée par voie réglementaire, d’autres la voyaient d’abord de dimension politique, dûment inscrite dans la Constitution. Le Roi a opté pour la seconde vision. Il fallait donc imaginer un système représentatif qui réponde le mieux aux aspirations des populations locales.
Le président décide, l’agence exécute
Schématiquement, la nouvelle région sera construite autour d’un conseil élu au suffrage direct, secondé par une agence de développement dont la mission est de mettre en exécution les plans conçus et votés par le Conseil régional. La tutelle exercée actuellement par les walis disparaîtra. Autre rupture avec le passé, l’ensemble des conseillers régionaux ayant voix délibérante seront élus au suffrage universel direct. La commission ne s’est pas prononcée sur le mode de scrutin. Elle en laisse le soin au gouvernement et aux partis politiques. Le seul garde-fou proposé par la commission, et il est de taille, l’interdiction du cumul des mandats. Ainsi, le mandat de président du Conseil régional ne peut être cumulé avec un mandat parlementaire. De même qu’une même personne ne peut être en même temps membre des trois Conseils régional, provincial ou préfectoral et communal.
Selon le modèle conçu par la Commission consultative sur la régionalisation (CCR), le président de la région sera «l’ordonnateur des recettes et des dépenses de fonctionnement du Conseil régional». Il exécutera directement les décisions du conseil à caractère administratif ou normatif. Et toujours selon le texte présenté au Roi, jeudi 10 mars, pour mieux assumer sa mission, le président disposera d’une agence pour l’exécution des projets d’investissement du Conseil régional.
L’Agence régionale d’exécution des projets (AREP), assumera, pour le compte du Conseil régional, l’exécution des projets et programmes de développement qu’il décide et la gestion et l’ordonnancement des budgets correspondants. Elle fait également office d’un bureau d’étude et de conseil mis à la disposition de la région. De même, des mécanismes de concertation avec les acteurs économiques et de la société civile, locaux, seront mis en place pour asseoir les bases d’une démocratie participative dans la gestion locale. Un intérêt particulier a été accordé à l’intégration de la femme. L’encouragement de sa participation à la gestion locale sera même consacré par la Constitution. Le futur Conseil régional aura des compétences relativement élargies. Ainsi, et comme le précise le texte, en matière de développement économique, social, culturel et environnemental, chaque domaine de compétence (eau, énergie, transport…) est susceptible d’être partagé entre l’Etat et les collectivités territoriales, «par application du principe de subsidiarité».
Processus à deux vitesses
Bref, le Maroc aura fait un pas de géant pour plus de démocratie. Pour d’autres, ce n’est qu’un début, appréciable certes, mais c’est un édifice qui se construit sur le long terme. Une chose est sûre, la régionalisation avancée aura un coût. La commission chargée par le Roi de réfléchir sur le projet estime à entre 128 et 215 milliards de DH l’enveloppe financière à débloquer, sur deux mandatures, par l’Etat pour la mise à niveau des régions. Car, après une année de réflexion et des concertations tous azimuts, engagées par la commission, celle-ci est arrivée à un constat sans appel. Malgré les efforts consentis pour imaginer des «régions viables», il subsistera deux types de régions. Il y aura des régions «définies à partir de grands pôles ou même de bi-pôles urbains rayonnant sur des espaces de croissance économique» et des régions non polarisées, «qui couvrent les montagnes atlasiques ainsi que les zones des steppes et déserts plus ou moins oasiens et qui nécessitent un appui fort en termes de solidarité nationale».
Cette disparité va influencer, en premier lieu, le transfert des compétences de l’Etat vers les régions. Le processus sera plus rapide pour les régions aisées et prendra plus de temps pour les autres, le temps qu’elles se mettent à niveau. Pour atténuer ces disparités, les auteurs du projet ont proposé la mise en œuvre du levier de la solidarité régionale selon un schéma financier prédéterminé (voir encadré).
Walis et gouverneurs maintenus, leurs pouvoirs précisés
Bien que n’étant pas un Parlement régional, comme l’auraient souhaité certains acteurs politiques, le Conseil régional donne néanmoins son avis sur les politiques publiques déployées par l’Etat au niveau régional. Le conseil est ainsi consulté par le gouvernement pour l’élaboration de la stratégie nationale en matière de développement économique et social, des plans sectoriels nationaux et ceux d’aménagement du territoire. La région aura également son mot à dire à propos des stratégies nationales et régionales dans les domaines de la promotion des investissements et de l’emploi, de l’eau, de l’énergie, de l’environnement, de l’éducation, de la formation, de la culture et de la santé. Il sera également consulté sur tout projet l’envergure que l’Etat envisage de réaliser dans la région, précise le texte remis au Roi.
Le gouvernement peut accepter ou rejeter les avis du Conseil régional. Seulement, comme spécifié dans le texte, «le gouvernement motivera tout rejet total ou partiel des avis du Conseil régional lorsqu’ils concernent sa propre région».
D’autres domaines comme les infrastructures, l’équipement, l’habitat social, la mise à niveau économique relèvent exclusivement de l’Etat, comme le laisse entendre le projet de la régionalisation avancée. Les walis et gouverneurs ne disparaîtront pas. Leurs prérogatives vont toutefois être clarifiées et précisées. Ainsi, ils continueront de veiller à l’application des lois, des règlements et des décisions du gouvernement, et de représenter l’Etat dans les régions. «Les walis et gouverneurs devront disposer de prérogatives claires et effectives pour assurer la coordination des services déconcentrés du territoire de leur ressort, veiller à leur bon fonctionnement et s’assurer de la bonne conduite de leurs projets et programmes», précise le texte.
Pour l’heure, tiennent à préciser de nombreux acteurs politiques, le texte n’est pour le moment qu’un avis. Les partis politiques s’apprêtent d’ailleurs à en débattre le contenu dès l’ouverture de la prochaine session parlementaire. Certaines formations ont déjà mis sur place des groupes de travail qui plancheront sur le texte. Texte qui, il faut le reconnaître, reprend plusieurs propositions présentées à la commission par ces mêmes partis politiques.
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