Pouvoirs
Régionalisation avancée : où en sommes-nous quatre ans après…
Le processus est toujours en cours, cela va prendre du temps, mais la dynamique est irréversible. Le gouvernement planche actuellement sur le casse-tête de la déconcentration administrative. Sur le terrain, l’Exécutif a validé plus de 450 projets et programmes proposés par les Régions. Ils seront financés par des contrats programmes Etat-Régions.
Il y a un peu plus de deux ans, le Souverain avait donné ses directives au gouvernement pour «établir un échéancier rigoureux de parachèvement de la régionalisation avancée». Dans le discours d’ouverture du Parlement, le 13 octobre 2013, S.M. Mohammed VI a d’ailleurs rappelé qu’il a «constamment appelé à agir avec plus de célérité dans le domaine de la régionalisation avancée, car sa mise en œuvre pleine et entière apportera des réponses tangibles aux demandes sociales, aux attentes en développement qui s’expriment dans les différentes régions du Royaume». Mis en place effectivement, voici quatre ans, les premiers présidents des douze Régions ont été élus en septembre 2015. L’arsenal juridique relatif à la régionalisation avancée est aujourd’hui pratiquement achevé, mais le chantier accuse du retard. Beaucoup de retard d’ailleurs, au point que d’aucuns parlent de «blocage». Or, rectifie Mohand Laenser, président de la région Fès-Meknès et de l’Association des présidents des conseils régionaux (APCR), «il n’y a aucune forme de blocage. Le processus est en cours». Certes, reconnaît-il, le cadre juridique est finalisé, mais «la régionalisation n’est pas seulement une affaire de textes, c’est aussi une question de ressources financières à mobiliser et humaines à trouver et à former. On aurait souhaité que les choses avancent plus rapidement, mais je vous assure que le chantier progresse». Cependant, sur le plan des textes, «les lois sont, il faut le reconnaître, très bonnes. Mais, dans la pratique, il y a des ajustements à faire pour préciser les compétences des uns et des autres. C’est un processus qui prend évidemment du temps. Ce n’est d’ailleurs pas propre au Maroc. Regardez le cas de la France, par exemple, la loi de la décentralisation a été votée en 1982, et ils en sont encore à adopter ses textes d’application (…)Ce n’est donc pas un manque de volonté ou une quelconque velléité de bloquer ou de retarder la mise en œuvre de ce chantier. Il y a, par contre, une volonté que même le chef de l’Etat a exprimée à maintes reprises, pour aller de l’avant et le plus rapidement possible dans la mise en œuvre de la régionalisation. Mais il y a des procédures administratives à accomplir», précise le président de l’APCR.
Processus long
En ce sens, nous en sommes actuellement, explique cet ancien ministre de l’intérieur, à la phase de la mise en œuvre du processus de déconcentration administrative. «C’est un processus long et fastidieux. Il ne peut pas être mis en œuvre du jour au lendemain», explique-t-il. «Les ministères sont d’ailleurs en train de préparer leurs schémas directeurs. C’est un effort qu’il faut faire et qui doit prendre son temps», poursuit M. Laenser. Ainsi, à fin septembre, les schémas directeurs de la déconcentration administrative de 11 départements ministériels ont été approuvés par une commission interministérielle ad hoc. Leur mise en œuvre sera lancée tout de suite après, à travers la mise en place des comités régionaux de coordination, l’organisation des secrétaires généraux des affaires régionales, rattachés aux walis, et la révision du cadre juridique relatif à l’organisation des départements ministériels et de leurs services déconcentrés. C’est pour dire que le processus est effectivement long et fastidieux. Mais, dans tous les cas, selon l’engagement pris par le gouvernement, ce processus sera exécuté entièrement, mais d’une manière progressive, pendant la période 2020-2022. Pour l’heure, on n’est pas encore sûr de la manière dont sera décliné le redéploiement des ressources humaines au niveau des régions. En effet, plusieurs problématiques se posent aujourd’hui. La plus importante est, sans doute, de déterminer quels sont les départements ministériels qui seront représentés dans chaque région. Ensuite, il sera sans doute question de regrouper certains d’entre eux, selon la nature de leur attribution, dans une seule représentation régionale de manière à ce que le wali – en sa qualité de «représentant du pouvoir central au niveau régional en matière de coordination, de suivi et de contrôle de l’action des services déconcentrés», selon la charte de la déconcentration administrative – ne se retrouve face à une multitude d’interlocuteurs. En principe, un wali devrait avoir affaire à un maximum de huit services déconcentrés. Et même dans cette configuration se posera la question de tutelle sur les services groupés. En d’autres termes, quel ministère sera habilité à trancher, au niveau régional, quand c’est un projet qui en concerne plusieurs. La problématique est réelle.
Brainstorming engagé
Tout cela demande du temps, insiste Mohand Laenser. «Le processus se mettra en œuvre de manière progressive. On va d’abord commencer par des régions pilotes et des ministères pilotes et quand le schéma sera mis en place et les rouages bien rodés, on le dupliquera dans les autres régions et pour les autres ministères. La question qui se posera alors, c’est qui prendra la décision au niveau local. Normalement, c’est le wali qui chapeaute les services extérieurs des ministères, c’est pour cela qu’il a été créé d’ailleurs un secrétariat général chargé des affaires régionales. Bien sûr, les ministères garderont leurs compétences. Mais pour ce qui est des compétences partagées avec les régions, leur transfert, avec les ressources nécessaires et surtout l’autonomie de décision qu’il faut, prendra du temps». Pour le président de l’APCR, la problématique qui se pose actuellement à ce niveau, c’est que les budgets des départements ministériels ne sont pas déclinés de manière à affecter une enveloppe donnée à chaque opération. Du coup, leurs représentants au niveau régional ne peuvent pas prendre de décision, sans se référer à Rabat. «L’idée est de faire en sorte que les services extérieurs sachent exactement de quel budget ils disposent pour qu’ils puissent le gérer et prendre leurs décisions de façon autonome», explique-t-il. Il faut dire qu’en matière de ressources financières, au delà des actions directes des ministères, les régions disposent désormais d’un budget conséquent. «Les régions ont investi, depuis 2015, des sommes considérables, comparées au passé. Elles disposent actuellement d’un budget annuel de près de 8 MMDH, alors que dans le temps, à 16 régions, elles tournaient avec à peine 1MMDH», relève Mohand Laenser. La Loi de finances de 2019 a, en effet, alloué aux régions 5% du produit de l’IS, 5% du produit de l’IR et 20% de la taxe sur les contrats d’assurance ainsi qu’une contribution du budget général d’un montant de 2,7 MMDH, soit un montant global des ressources affectées de 8,46 MMDH, contre 6,97 MMDH en 2018. Quant aux dépenses d’investissement des régions, elles se sont élevées à 5,74 MMDH en 2018, contre 1,32 MMDH en 2015.
Où va tout cet argent ?
«Les Régions font beaucoup de choses, estime M. Laenser. Mais elles ne communiquent pas assez. Cela d’autant qu’elles dépendent d’autres acteurs pour mener leurs actions, puisqu’elles ne peuvent pas encore s’appuyer sur leurs propres compétences». Ce sera sans doute le cas, même quand le chantier sera achevé. Les ressources nécessaires pour mener les projets identifiés dans les régions nécessitent des sommes telles que ces régions sont incapables de les mobiliser. «Cela va se faire à travers ces contrats-programmes», déclare Mohand Laenser. Le financement peut venir, en effet, soit de l’Etat, soit des établissements publics ou même des citoyens (des bénéficiaires comme c’est le cas par exemple de l’aménagement des zones franches). Il y a des régions qui sont très avancées sur ce volet, elles sont allées frapper à la porte des ministères pour solliciter des financements. Elles ont même bouclé le montage financier de certains projets qui rentrent dans le cadre de leur plan de développement régional. En réalité, elles ne pouvaient pas le faire seules.
Dans les faits, à ce jour, les plans de développement régionaux (PDR) de 11 régions ont été approuvés par leurs conseils et visés par le ministère de l’intérieur. Ils portent sur un montant global de plus de 400 MMDH. Les projets de PDR portaient initialement sur des montants beaucoup plus importants. Mais, confie M. Laenser, «certaines Régions, après avoir fait le tour de plusieurs ministères, se sont rendues à l’évidence qu’il fallait réduire nettement leurs ambitions». Cela dit, afin d’accélérer la mise en œuvre de ces PDR, il a été convenu de choisir les projets prioritaires au titre de la période 2019-2021 qui feront l’objet de financement dans le cadre de contrats-programmes Etat/régions. Ainsi, explique-t-on, le nombre de projets et programmes prioritaires retenus s’élève à 454. Ils ont été choisis parmi les 2 368 projets et programmes qui figurent dans l’ensemble des PDR. Les 454 projets et programmes retenus nécessiteront un montant de près de 110 MMDH, soit près de 27% du montant estimé de tous les PDR.
Quand la politique s’en mêle
Naturellement, le gouvernement intervient à des niveaux autres que le financement. C’est ainsi qu’un travail est mené depuis 2018 pour accompagner les régions à clarifier leurs compétences. Des réunions ont été tenues, en ce sens, avec les représentants des Régions, l’APCR, en l’occurrence, que son président souhaite voir ériger en institution, et les départements ministériels concernés. L’objectif étant, explique-t-on, de «développer une vision commune des modalités idoines pour l’exercice des compétences propres et partagées des Régions». L’exercice des compétences partagées des régions fera, bien entendu, l’objet de contractualisation entre celles-ci et l’Etat. Pour ce faire, le ministère de l’intérieur mène une étude avec l’OCDE afin d’élaborer un modèle de cadre conventionnel ou contractuel optimal. Ce modèle, une fois adopté, sera expérimenté, nous affirme-t-on, au niveau de deux régions pilotes, à savoir Fès-Meknès et Souss-Massa. Il se focalisera sur deux domaines de compétences prioritaires, la formation et l’emploi et l’organisation des zones économiques. Bien sûr, le gouvernement intervient également, en tant qu’accompagnateur, dans le renforcement de la capacité d’exécution des projets et de gestion des régions.
A ce niveau, les Agences régionales d’exécution des projets sont opérationnelles dans 11 régions. Elle disposent, au titre de l’année 2019, d’un budget global de 3,65 MMDH. En parallèle, et pour améliorer les ressources propres des Régions, la réflexion a été engagée sur la réforme de la fiscalité locale. Mais c’est d’un autre chantier, au demeurant gigantesque, qu’il s’agit. Le processus est donc en cours, lent peut-être, mais la dynamique ne s’est jamais arrêtée. Même lorsque des considérations politiques semblent entraver la marche des choses. Ce fut le cas à Guelmim-Oued Noun, où le ministère de l’intérieur a dû user de ses prérogatives pour assurer la marche des affaires régionales pendant plusieurs mois.
Ce fut également le cas à Tanger-Tétouan, mais avec une acuité moindre, le président en cessation d’activité ayant été vite remplacé. Quant à la région Draa-Oued Noun, le président qui ne disposait plus d’une majorité – même les élus de son propre parti, le PJD, ont fait défection – a été incapable de faire voter le budget de la Région. Cela après avoir accusé un retard considérable dans la réalisation des projets déjà programmés et budgétisés, mais faisant perdre à la Région l’opportunité d’effacer, ou du moins d’atténuer, les disparités régionales. Là encore, il s’agit d’ajustements à faire, mais cette fois ce sont les partis qui doivent s’en charger au moment du choix de leurs candidats.
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[tab title=”Les Régions les plus riches… ” id=””]D’après une étude réalisée récemment par le HCP, le PIB par habitant s’élève à 30510 DH en 2017 au niveau national. Cinq régions présentent un PIB par habitant supérieur à cette moyenne nationale. Il s’agit des régions de Dakhla-Oued-Ed-Dahab (84 949 DH), de Casablanca-Settat (47 694 DH), de Laâyoune-Saguia al Hamra (45 419 DH), de Rabat-Salé-Kénitra (36 420 DH) et de Guelmim-Oued Noun (34317DH).
Dans les autres régions, le PIB par habitant s’est situé entre 16 201 DH, enregistré dans la région de Drâa-Tafilalet, et 30216 DH dans la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima.
La dispersion du PIB par habitant est en augmentation. L’écart absolu moyen est passé de 11 492 DH en 2016 à 12 622 DH en 2017.
Quant aux dépenses de consommation finale des ménages, les régions de Casablanca-Settat et de Rabat-Salé-Kénitra arrivent en tête avec 39,8% des dépenses de consommation finale des ménages (DCFM) au niveau national, avec 25% et 14,8% respectivement. Celles de Fès-Meknès, de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, de Marrakech-Safi, de Souss-Massa et de l’Oriental ont détenu une part de 48,5% des DCFM, qui est répartie respectivement à 11,7%, 11,5%, 11,2%, 7,1% et 7%.
Le reste des régions a contribué pour 11,7% aux DCFM, avec des apports compris entre 0,6% pour la région de Dakhla-Oued-Ed-Dahab et 5,4% pour la région de Béni Mellal-Khénifra. Dans ces conditions, les disparités des dépenses de consommation se sont légèrement creusées. L’écart absolu moyen entre la DCFM des différentes régions et la DCFM régionale moyenne a atteint 33 milliards de DH en 2017 au lieu de 31,7 milliards de DH en 2016.
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