Rachid El Houdaigui : «Le Maroc a pris conscience de son identité maritime»

Pour être promu puissance maritime, un État doit combiner plusieurs critères. C’est ce que nous explique ce professeur de droit et senior fellow au Policy Center For The New South.

Rachid El Houdaigui

Comment peut-on définir une puissance maritime ?
Le débat sur les espaces maritimes est plus que jamais d’actualité, notamment à propos de la centralité géostratégique des mers et océans au début du XXIe siècle. Nous assistons à une montée en puissance de la force maritime comme enjeu de puissance des États, qui cherchent à protéger leurs approvisionnements énergétiques (exploitation et transport), à mettre en place une économie maritime concurrentielle et à sécuriser les voies commerciales. Ces enjeux stratégique, militaire et géoéconomique occupent le tableau de bord de toutes les grandes puissances mondiales mobilisant les moyens nécessaires pour agir sur les espaces maritimes et à en tirer profit. Dans ce contexte global, pour qu’un pays acquière le statut de puissance maritime, il doit combiner plusieurs critères. D’abord, une doctrine maritime autour d’un concept mobilisateur de l’action de l’État. Mais aussi des moyens civils et militaires (une flotte, des bases navales et de grands ports) nécessaires pour défendre la souveraineté maritime, la sécurité des voies maritimes, l’exploitation et la protection des richesses nationales.

Peut-on avancer que le Maroc est une puissance maritime potentielle ?
Le Maroc est résolument tourné vers l’océan Atlantique et la Méditerranée pour y édifier ses nouvelles frontières économiques et stratégiques. L’appropriation de ces deux espaces, à travers des stratégies intégrées, semble fournir les premières composantes d’une identité maritime, toujours en construction. En fait, l’acquisition du statut de puissance maritime questionne la capacité du Maroc à pouvoir gérer de manière efficiente quatre défis majeurs :
• Conflits de délimitation maritime avec le voisinage. Le Maroc devrait accorder une attention soutenue aux demandes d’extension présentées respectivement par l’Espagne (îles Canaries), le Portugal (les îles Madères et Zaros) et la Mauritanie. Ces demandes pourraient créer une zone considérable où les revendications du plateau continental étendu se chevauchent et posent un problème de délimitation maritime.
• Conséquences diplomatico-stratégiques imprévisibles de la découverte éventuelle du pétrole off-shore.
• Les risques sécuritaires encourus porteraient sur les cibles mobiles, les zones fixes, ainsi que sur la logistique.
• Le risque de pollution marine accidentelle ou volontaire.
Enfin, une puissance maritime doit se doter d’une véritable veille stratégique basée sur la collecte, le partage et l’analyse des renseignements maritimes.

Quels sont les atouts du Royaume ?
Globalement, on peut distinguer deux fonctions majeures de l’espace maritime national. D’abord sur le plan géopolitique, les tensions algéro-marocaines alimentent le sentiment que le Maroc se situe à la périphérie de l’Afrique du Nord et que sa profondeur maghrébine se heurte au bloc Maghreb central (Algérie, Tunisie). Son point d’équilibre se trouve ainsi dans sa double vocation maritime, qui le dote d’une profondeur stratégique précieuse, notamment atlantiste.
Sur le plan économique, la maritimisation de l’économie nationale s’est renforcée au fur  et à mesure que le littoral prenait une part considérable dans la production de la richesse nationale, vu les échanges maritimes, la présence des ressources halieutiques et d’hydrocarbures, l’importance des industries lourdes et le dynamisme des villes côtières. Elle traduit en fait une dépendance à l’égard de la mer, puisque 95% du commerce extérieur se fait par voie maritime.

Depuis quand le Maroc a-t-il pris conscience de ce statut ?
La politique maritime a opéré une mutation majeure depuis les débuts des années 2000, de façon à ce que le Maroc soit doté d’une position géomaritime. Cela implique des orientations nouvelles de la dimension maritime de certaines politiques publiques. L’État a certes entamé un processus d’appropriation des enjeux maritimes, de façon à ce que l’intérêt national maritime soit au cœur de l’action publique. Toutefois, le caractère pléthorique du dispositif institutionnel n’est plus adapté au contexte actuel qui a plus besoin d’une véritable gouvernance unifiée et cohérente du fait maritime national.