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Pouvoirs

Projet Hassan II : des parlementaires mis en cause sans respect de la procédure de levée de l’immunité ?

Abderrazak Afilal et Youssef Tazi ont été mis en accusation alors qu’ils étaient encore parlementaires. Leur défense invoque le vice de forme.
Le tribunal a accepté, le 25 mars, la requête d’expertise médicale pour Abderrazak Afilal et le procès a été reporté au 15 avril.

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Entamé en octobre 2003, le procès dit «du projet immobilier Hassan II» n’est pas près de connaître son dénouement. Mardi 23 mars, l’examen de l’affaire dans le cadre de laquelle sont poursuivis 21 prévenus pour «contribution à la dilapidation de deniers publics et abus de pouvoir» portant sur un programme destiné au relogement des habitants des Carrières centrales à Hay Mohammadi, a été de nouveau reportée au 15 avril courant. Le juge d’instruction de la Cour d’appel de Casablanca, Jamal Serhane, a accepté la requête de la défense d’Abderrazak Afilal de recourir à une expertise médicale pour déterminer l’état de santé de l’ancien parlementaire du Parti de l’Istiqlal et ex-président de la commune de Aïn Sebaa, principal mis en cause dans cette affaire. De l’avis des observateurs, la décision du juge constitue un tournant dans cette affaire. Si les résultats des analyses médicales confirment la version avancée par ses avocats selon laquelle M. Afilal ne jouirait plus des capacités physiques et surtout mentales suffisantes pour faire l’objet de poursuites judiciaires, le tribunal pourrait disjoindre les dossiers. Dans ce cas de figure, la Cour d’appel devrait statuer sur le cas d’un autre mis en cause dans cette affaire : l’ancien parlementaire istiqlalien, Youssef Tazi. Dans les jours à venir, le juge d’instruction rendra son avis sur plusieurs points dont la requête présentée par la défense de l’homme d’affaires qui considère que le fait que M. Tazi (comme d’ailleurs M. Afilal) était parlementaire à l’époque de la mise en accusation constitue un vice de forme.

Mis sous contrôle judiciaire

Membre de la Chambre des conseillers, Youssef Tazi a été convoqué en octobre 2005 par la Cour d’appel de Casablanca dans le cadre de l’enquête ouverte à propos des détournements liés au projet immobilier Hassan II. Avant cela, il avait déjà effectué une déposition auprès du juge d’instruction dans le cadre de la même affaire en qualité de témoin. Cette fois-ci c’est en tant qu’accusé qu’il a été entendu. Il a été mis sous contrôle judiciaire, une mesure impliquant l’interdiction des voyages à l’étranger, la confiscation du passeport et des saisies conservatoires sur ses biens.
Depuis près de cinq ans, les défenses des deux parlementaires plaident l’annulation de la poursuite pour vice de forme relatif. Les avocats se réfèrent, pour cela, à l’article 39 de la Constitution qui stipule qu’«on ne peut, pendant les sessions du Parlement, poursuivre l’un de ses membres ni l’arrêter pour cause de crime ou de délit (…) qu’après autorisation du bureau du conseil dont il est membre sauf en cas de flagrant délit, de poursuite autorisée ou de jugement définitif de condamnation». Or, dans le cas d’espèce, aussi bien Afilal que Tazi étaient parlementaires à l’époque et la procédure n’a pas été respectée.
Pour comprendre les chefs d’inculpation, il faut revenir à 1989. Cette année-là, la Société études et travaux (SET), entreprise familiale dirigée par Youssef Tazi, avait remporté, par consultation restreinte, le marché relatif à la réalisation des travaux de voirie et de canalisations du projet Hassan II pour un montant d’un peu plus de 10 millions de DH. Il s’agissait d’un programme initié par feu Hassan II qui avait offert un terrain de 44 ha pour la construction de 10 000 logements en faveur des habitants des bidonvilles «Carrières centrales». La commune de Aïn Sebaâ, présidée à l’époque par Abderrazak Afilal, à laquelle avait été confiée la tâche de veiller à la réalisation de ce projet, avait sélectionné ensuite la société EMBA (appartenant à Boujemaa Yousfi) pour la construction des immeubles.
En 1992, le changement survenu à la tête de la commune de Aïn Sebaâ a changé la donne. Le nouveau président, Lahcen Haïrouf, déclare l’arrêt des travaux. Entre temps, la SET, selon ses propriétaires, avait réalisé près de 75% des travaux qui lui avaient été confiés. C’est en tout cas ce que déclarent ses propriétaires. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’elle avait encaissé quelque 5,3 millions de DH et qu’elle réclamait près de 1,9 MDH d’arriérés sur le reste des travaux réalisés. C’est justement autour de cette question que tourne toute l’accusation à l’encontre de M. Tazi, le juge d’instruction lui reprochant justement, comme à d’autre accusés, d’avoir empoché ces sommes sans réaliser les travaux y afférents et reprochant à Afilal d’avoir payé des travaux non réalisés.

Des sommes empochées pour des travaux non réalisés

Le projet fut gelé jusqu’à l’arrivée d’un nouveau gouverneur de la préfecture Hay Mohammadi-Aïn Sebaa. En 1996, Abdelaziz Laâfoura ordonne la démolition de tout ce qui avait été construit et demande une nouvelle conception du projet. Il décide alors de céder le terrain à l’entreprise COGEBA, mais en contrepartie de la prise en charge des dettes antérieures du projet estimées à 31,7 MDH dont les 1,9 MDH dus à la SET. Toutefois, en 1997, le retour d’Afilal à la présidence de la commune vient compliquer la situation. Celui-ci n’est pas d’accord avec les changements introduits dans le projet et tente alors de le stopper sans y arriver. Au final, 2 121 logements auront été construits et vendus sans que les bidonvillois en profitent. Le projet avait été ainsi détourné de sa vocation sociale initiale. En 2003, la machine juridique a été enclenchée contre l’ancien gouverneur Laâfoura. Il est alors jugé par la Cour suprême en raison de son statut de haut fonctionnaire. Toutefois, pour les autres mis en cause du projet Hassan II, le procès n’est pas terminé. Au-delà de la culpabilité des uns et des autres sur laquelle il appartient à la justice de se prononcer, le point de droit reste posé : pourquoi la procédure de levée de l’immunité parlementaire n’a pas été respectée ? Pourquoi les présidents des deux Chambres ont-ils laissé faire sans réagir alors qu’ils auraient pu accorder cette levée à la demande du parquet ? Pourquoi a-t-on fait l’impasse sur l’article 39 de la Constitution ?