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Pourquoi les budgets de certaines villes ont été rejetés par l’Intérieur

Trois sur cinq grandes villes que dirige le PJD ont vu leurs budgets rejetés par l’autorité de tutelle. L’absence de textes applicatifs et réglementaires de la nouvelle Charte communale est l’une des causes du rejet.

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conseil de la ville de casablanca

Cela relève presque de l’anecdotique. Un ministre délégué au budget qui se fait refuser le budget qu’il a préparé et voté en tant que maire d’une grande ville, comme c’est le cas de Driss Azami Idrissi, président du Conseil de la ville de Fès, n’est pas chose courante. Tout comme ne l’est pas non plus le fait qu’un autre Conseil de la ville, celui de Casablanca en l’occurrence, également dirigé par le PJD, se fait refuser à son tour son budget, arguant que, entre autres excuses avancées, les élus ne sont pas encore au fait des nouvelles dispositions de la Charte communale. Cela d’autant que le président du Conseil est également ministre, mais lui, chargé des relations avec le Parlement et donc censé être au courant du contenu de tous les textes de lois, dont ces mêmes dispositions légales, validés par le gouvernement et transférés via ce ministère au Parlement. Cela ne se limite pas aux capitales économique et spirituelle du Maroc, Rabat, la capitale administrative, également dirigée par le PJD, mais aussi quelques autres «petites» villes se sont toutes vu rejeter leurs budgets. Dans les détails, les autorités locales avancent comme motif du rejet du budget de Casablanca le fait de ne pas avoir pris en compte les charges obligatoires fixes, les engagements financiers et la dette de la ville. En réalité, explique une source au Conseil de la ville, le bureau aurait «omis» de réserver les montants nécessaires pour couvrir les arriérés de la ville envers les entreprises délégataires de la gestion  de la collecte des ordures ménagères (on parle de quelque 60 MDH), la subvention accordée par le Conseil de la ville au ticket du tramway (environ 65 MDH) et la consommation d’eau et d’électricité dans certaines zones de la ville (soit un montant de 9 MDH).

L’électorat avant tout

Cela en plus des échéanciers relatifs aux dettes de la ville que le nouveau Conseil devrait régler dans le cadre de la continuité de l’administration publique. Ce qui représente, après tout, des sommes considérables dont l’omission ne peut être due, comme on tente de le faire comprendre, à une inadvertance des services techniques pourtant rompus à cet exercice annuel, de préparation du budget de la ville, depuis des années.

Ce qui est, par contre, intrigant c’est que les nouveaux dirigeants de la ville ont décidé, en contrepartie, de «gonfler» les aides et les dotations destinées aux associations de la société civile, et l’expérience montre, notamment au niveau national, quel type d’ONG bénéficie le plus facilement des largesses publiques depuis la nomination de l’actuel gouvernement. Les associations des œuvres sociales se voient, elles aussi, dotées d’une rallonge budgétaire au même titre que, entre autres rubriques à caractère sociale, la rubrique «panier du Ramadan» que les élus distribuent, en l’occasion, aux familles nécessiteuses de leur circonscription. On parle, en tout, d’une rallonge de plus d’une douzaine de millions de DH rien que pour l’année 2016.

Difficile donc de ne pas déceler dans la nature de ces dépenses des intentions hautement électoralistes. En effet, ces rallonges desservent directement ou indirectement une couche de population qui constitue la réserve électorale des islamistes du PJD. Ce qui, estime ce membre du Conseil, dénote d’une stratégie élaborée par le parti afin de tirer profit, en prévision des futures législatives, de sa percée électorale dans plusieurs villes. Nous sommes donc loin d’une appréciation erronée des équipes techniques des éléments du budget de la ville. Fès a connu un scénario similaire puisque le motif de rejet est le fait que le bureau a surestimé les recettes de TVA de la ville qu’il a décidé de reverser à la rubrique de la contribution de la commune aux charges du RAMED en gonflant notablement son apport financier au régime. Là encore, connaissant la nature des bénéficiaires de ce service, il est difficile de ne pas faire le rapprochement avec les préparatifs de la campagne électorale du parti pour les futures législatives.

A Rabat qui s’est vue également rejeter son budget, les raisons sont légèrement différentes. Le problème se pose, en effet, au niveau des dépenses d’équipement des arrondissements de la capitale. Ce qui, justifie-t-on auprès des autorités locales concernées, va à l’encontre des dispositions de la Charte communale. Cela dit, le budget de la capitale a déjà soulevé une polémique bien avant son adoption par le Conseil et son rejet par la tutelle.

Le visa au lieu de l’approbation

Le Conseil de la ville de Rabat dirigé par le PJD avait, en effet, décidé du transfert d’une enveloppe de plus de 2 MDH, initialement destinée aux équipements culturels et socio-sportifs, pour l’achat de voitures de service. L’opposition au sein du Conseil avait fustigé cette décision qui a été à l’origine d’une altercation entre celle-ci et la majorité dirigeante au sein même du Conseil, mais elle a fini par être votée grâce à la suprématie numérique du PJD. Décision que le Conseil justifie en mettant en avant la vétusté du parc automobile (une centaine de véhicules dont l’âge avoisine les 25 ans). La ville de Sidi Slimane, relevant également de la wilaya de Rabat-Salé-Kénitra, et qui est dirigée par le PJD, a connu le même sort. Ce ne sont donc pas des cas isolés et ce n’est pas non plus une première puisque des budgets des villes et des communes ont bien été rejetés par le passé, pour un motif ou pour un autre, mais pas avec la même fréquence enregistrée cette année. Question: Comment expliquer donc ce «phénomène» ? A l’origine de cette série de rejets des budgets, estime cet analyste politique, les changements qu’a connus la Charte communale dont le dernier amendement remonte à la veille des élections locales et régionales du 4 septembre avec la promulgation en juillet dernier de la loi organique 113.14. Nous sommes, en gros, passés d’une situation où le budget de la commune doit d’abord être approuvé par l’autorité de tutelle avant d’être exécuté à une situation où la tutelle n’intervient plus que pour viser le budget en tenant compte des impératifs de la Charte communale telle qu’elle a été amendée et plus précisément les articles 181 et 189. C’est un changement qui va dans le sens d’une plus grande autonomie dans la gestion des affaires communales. Aussi, certains présidents de communes, principalement celles dirigées par des ténors du PJD, ont-ils sauté sur l’occasion et pris leurs libertés au moment d’élaborer les budgets de leurs communes. Cela, d’une part, d’autre part, la préparation, le débat, l’adoption et le visa des budgets des communes, toutes ces opérations se sont déroulées, cette année, en l’absence de texte d’application que le ministère de l’intérieur n’a toujours pas soumis pour validation au conseil de gouvernement.

En attendant de nouveaux textes

On parle de pas moins de 8 textes réglementaires et décrets d’application rien que pour la rubrique relative au régime financier des communes. De même qu’en l’absence de directives ou de circulaires de l’autorité de tutelle, les présidents de communes et leurs bureaux sont, pour ainsi dire, livrés pour la première fois à eux-mêmes.

Le législateur a ainsi, certainement bien que cela n’ait pas été intentionnel, laissé l’initiative aux présidents de communes pour préparer leurs budgets. Ces derniers se sont basés, pour la plupart, sur les éléments du budget des années précédentes pour préparer celui de 2016, en tenant compte des contraintes soulevées notamment par l’article 181 qui précise des charges à inscrire obligatoirement dans le budget des communes. Ils s’agit des salaires, indemnités et cotisations au titre des assurances pour le personnel de la commune, les charges sociales des employés, la consommation de l’eau et d’électricité, les frais des dettes, les contributions obligatoires dues aux groupement des collectivités territoriales et aux institutions de coopération entre ces collectivités, les engagements financiers de la commune, les frais nécessaires pour couvrir les pénalités et les jugements ainsi que les dotations des arrondissements pour les communes gérées sous le régime de l’unité de la ville. Certes, les changements qu’a connus la Charte communale, l’absence de textes réglementaires ou d’application peuvent expliquer, en partie, ce léger cafouillage, mais ne peut pas expliquer le fait que les principales grandes villes dirigées par le PJD (trois sur cinq villes concernées) soient concernées par le rejet de leur budget par les autorités de tutelle. S’il n’était question que de la nouveauté et le caractère incomplet du cadre juridique, le taux de rejet aurait été bien plus important et toucherait aussi d’autres villes outre que celles dirigées par le parti islamiste. C’est une question qui reste posée. Cela étant, bien d’autres analystes politiques estiment que ce «phénomène» n’a rien de politique, c’est juste une question technique qu’il faut imputer à la nouveauté du cadre juridique. C’est du moins ce que l’on laisse entendre dans l’entourage du parti islamiste. Or, tout le monde en convient, le budget de la commune est un acte politique qui décide, avant qu’elles ne soient exécutées, toutes les interventions de la commune ayant une incidence financière au cours de l’année concernée.

Une question de compétences

En conséquence, l’établissement d’un budget est «le premier acte de gestion par lequel la commune manifeste son existence et l’autorité communale sa puissance politique». En d’autres termes, comme l’expliquent les manuels de gestion locale, concevoir une activité quelconque dans la commune «revient à admettre l’utilité ou la nécessité d’effectuer certaines dépenses, de les prévoir et de les autoriser». Le budget communal est, pour ainsi dire, l’acte le plus important de la gestion communale puisqu’il contient le programme de l’action communale et tous les éléments de la vie communale. Ce n’est donc pas pour rien que la direction des collectivités territoriales organise régulièrement des sessions de formation au profit des cadres administratifs et techniques des communes dans le domaine de la gestion locale en général et les finances locales en particulier. Lesquelles formations sont animées, explique-t-on auprès de cette direction, par des formateurs relevant du ministère de l’intérieur, disposant de compétences pédagogiques et d’expériences professionnelles avérées, des professeurs universitaires et des experts appartenant aux cabinets d’études et spécialisés dans différents domaines. En d’autres termes, si l’autorité de tutelle rejette le budget d’une commune ce n’est pas à cause de l’incompétence des fonctionnaires et des techniciens de la commune. Cela pourrait plutôt être dû à l’incompétence des nouveaux dirigeants des collectivités territoriales qui en sont pour la plupart à leur première expérience en la matière. Là intervient la responsabilité des partis qui cautionnent, voire poussent, des militants inexpérimentés pour des postes de responsabilité sans leur avoir fait suivre les formations nécessaires. Cela pose également la question de la compétence des élites locales sur lesquelles reposent désormais la gestion locale décentralisée et la mise en œuvre du principe de la démocratie participative.

[tabs][tab title = »Gestion des villes ou la loi du plus fort »]La Commune urbaine de la ville de Fès est dirigée par un bureau composé, en plus du président, de 10 élus PJD sur 13 membres, un conseiller RNI et un conseiller PPS. C’est ce que le PJD appelle dans son jargon «l’association des autres composantes de la majorité dans la gestion locale». Le conseil est dominé par le PJD avec 72 sièges sur 97, l’opposition est formée de l’Istiqlal (19 sièges), le MP et le PAM avec un siège chacun. Son budget au titre de l’année 2016 est estimé à 800,425 MDH. Les recettes du budget de fonctionnement portent sur les taxes relatives à l’habitat, services et autres professions (183,5 MDH), et les impôts et taxes locaux (249,517 MDH) et la taxe sur la valeur ajoutée (367,407 MDH). La ville de Rabat est dirigée par un bureau composé de cinq élus PJD, en plus du président, sur un total de 13 membres et de trois conseillers RNI, deux du MP et un de l’UC ainsi qu’une élue SAP. Le conseil est également composé majoritairement du PJD avec 39 sièges sur 86. L’opposition est formée principalement du PAM avec un total de 21 sièges. La ville de Rabat tourne avec un budget, au titre de l’année 2016, d’un peu plus de 1,15 MMDH. A Casablanca, le PJD détient la majorité dans le Conseil de la ville avec 75 sièges sur 147. Ce qui lui permet de gérer la ville à la tête d’un bureau dans lequel il détient 9 sièges, dont celui du président, sur un total de 13 membres. Le reste des membres du bureau est composé de trois conseillers RNI (parti qui occupe 23 sièges dans le conseil) et un seul du PPS. Là encore, la présence des autres membres de la majorité dans le bureau est, pour le moins, symbolique. L’opposition quant à elle est composée principalement de l’UC (19 sièges) et du PAM (16 sièges). La ville de Casablanca tourne avec un budget global de 3,4 MMDH. Près de 10% du budget, soit un peu plus de 340 MDH pour les 16 arrondissements qui composent la commune de Casablanca. Lesquels arrondissements sont également dirigés dans leur majorité, soit 12 arrondissements, par les élus du PJD.[/tab][/tabs]