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Politique Migratoire : Comment le Maroc est passé d’un pays d’émigration à une terre d’accueil

Porté par le Maroc dès le départ, le Processus de Rabat sur la migration et le développement offre une feuille de route euro-africaine opérationnelle dans l’optique d’une migration équitable et à visage humain.

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Le Maroc a toujours été un pays d’émigration. Depuis l’indépendance, et même bien avant, des vagues d’émigrés sont partis s’installer en France, en Belgique, en Hollande, entre autres pays de l’Europe de l’Ouest, dans le cadre d’accords sur la main-d’œuvre signés entre le Maroc et ces pays. On n’a commencé à parler d’émigration clandestine qu’après l’instauration d’un système de visas par ces pays et surtout avec les vagues de régularisations massives des années 80 en France et, bien plus tard, en Espagne et en Italie. La pression du chômage conséquent à un long cycle de sécheresse et la mise en œuvre du Programme d’ajustement structurel (PAS), au début des années 80, ont fait que le nombre des émigrés irrégulier «herragas» a augmenté de manière exponentielle. On a commencé à parler de «patteras», de «barques de la mort» à tel point que le Détroit de Gibraltar est devenu peu à peu un cimetière marin avec la multiplication des naufrages de ces «boat-people». Des mafias de passeurs sont apparus, profitant d’un marché parallèle et juteux où l’on vend des chimères et des illusions aux «rêveurs de l’Eldorado».

Jusqu’au début de la décennie 90, il n’était question que d’émigrés clandestins marocains. Depuis, on a assisté à l’amorce significative de ce nouveau mouvement de «clandestins» subsahariens à travers le Maroc au moment où les derniers pays européens (l’Italie puis l’Espagne) instauraient le visa. Lors de la réunion du groupe TREVI qui regroupait les ministres de la justice et de l’intérieur des Etats de la Communauté européenne (les Douze) qui s’occupaient de la lutte contre la drogue, le terrorisme, le blanchiment d’argent et l’immigration clandestine, en juin 1991, la délégation marocaine a remis un mémorandum sur l’immigration irrégulière. Il y était question, notamment, de la nécessité de mettre en place un dispositif de coordination des politiques migratoires, aussi bien dans les pays d’origine que dans les pays d’accueil. Statistiques à l’appui, le Maroc mettait ses partenaires européens devant la gravité de la situation.

Le Maroc alertait ses partenaires dès 1991 de la gravité de la situation

Ainsi, les services de sécurité marocains annonçaient, en 1997, l’interpellation de 13 184 personnes en situation irrégulière, appréhendées au cours de leurs tentatives d’émigrer clandestinement par divers procédés vers l’Europe, à travers les premiers réseaux structurés. En 1998, le nombre de personnes arrêtées dans les mêmes conditions est passé à 17 178, soit une augmentation de 30%. En 1999, leur nombre était de 25 613 personnes, et en l’an 2000 les forces de sécurité ont interpellé 20 998 candidats à l’émigration clandestine. Pour les huit premiers mois de 2001, la police marocaine a arrêté 20 995 candidats, dont 9282 étrangers. La piste marocaine, deux pistes en réalité, de l’émigration clandestine d’origine subsaharienne venait de voir le jour. L’augmentation fulgurante du nombre d’interceptés subsahariens entre 1995 et 2000 a permis de saisir sa percée. De 444 en 1995, le chiffre est passé à 1 500 en 1997 pour approcher les 10 000 en l’an 2000 et 9282 pour les premiers mois de 2001. Depuis 2002, une évolution significative a eu lieu de telle manière que le nombre des Subsahariens interpellés dépassait celui des Marocains. Ce qui a incité les Maroc et l’Espagne, les premiers concernés, mais également l’Union européenne à mettre en place une politique commune pour endiguer ce phénomène. Un système de surveillance des frontières, y compris par un dispositif électronique, comme le SIVE espagnol, a été mis en place conjointement entre les deux pays. Cela en parallèle à un tour de vis légal pour lutter contre les réseaux de passeurs. Le piste du détroit perdait progressivement de son attrait, les passagers s’en sont détournés au profit de celle des côtes sahariennes qui, elle-même ne les attirait plus. Reste les présides occupés, Sebta et Melilia, dont les frontières connaissent régulièrement, aujourd’hui encore, des tentatives de franchissement en masse.

Quand l’approche sécuritaire ne suffisait plus…

Cette politique sécuritaire a eu pour conséquence l’installation progressive des «clandestins au Maroc». La suite est connue, le Maroc devient progressivement un pays d’immigration. C’est là que la politique sécuritaire n’a plus lieu d’être. Il fallait penser à une nouvelle approche. Une approche qui trouve sa genèse dans le «Processus de Rabat». Cette initiative, portée par le Maroc et lancée lors de la conférence ministérielle sur les migrations et le développement tenue en juillet 2006 à Rabat, regroupe 57 pays africains et européens ainsi que la Commission européenne et la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ses promoteurs prônent une gestion cohérente et efficace des flux migratoires, selon une approche durable qui privilégie la dimension humaine, et l’instauration d’un dialogue politique permanent entre les divers acteurs et parties prenantes. La déclaration et le plan d’action adoptés lors de la conférence de Rabat témoignent de ce partenariat novateur qui a jeté les bases d’un partenariat étroit entre les pays concernés par la «route migratoire ouest-africaine», comprenant les flux migratoires vers le Vieux continent en provenance du nord, du centre et de l’ouest de l’Afrique.

Deux ans plus tard, la deuxième conférence euro-africaine sur la migration et le développement, organisée à Paris en 2008, a confirmé la vitalité du processus et débouché sur un ambitieux programme triennal axé sur la migration légale, la migration irrégulière, la migration et le développement. Ce plan a été formellement mis en œuvre dans le cadre du projet de plan d’action de la conférence de Rabat, financé par l’UE et l’agence espagnole de coopération internationale, lequel projet a été finalisé début 2011. La 3e conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement, tenue en novembre de la même année à Dakar, a permis d’adopter une nouvelle stratégie pour la période 2012-2014 prévoyant une série d’initiatives bilatérales, régionales et multilatérales. La mutation des flux migratoires, le changement et évolution qu’a connus le Maroc avec l’adoption de la nouvelle Constitution en 2011, les changements économiques, ses partenariats avec l’Union européennes, sa nouvelle politique africaine ont fait que le Maroc a pris ses responsabilités dans le traitement des questions de la migration de manière intégrée et humaniste. C’est dans ce cadre que le Maroc a décidé d’élaborer une stratégie de l’immigration et de l’asile qui devra apporter des réponses de manière intégrée et humaniste à l’ensemble des enjeux posés.