Pouvoirs
PJD : quand l’histoire se répète ou presque…
• A la veille des élections de 2016, le PJD était aussi «divisé» qu’aujourd’hui avec un échange de rôles.
• L’exploit électoral d’il y a 5 ans étant hors d’atteinte, le parti s’en sortira-t-il indemne ?

Le PJD réunit son conseil national ces 20 et 21 mars. Un rendez-vous crucial et décisif certes, mais il ne faut certainement pas s’attendre à un clash. Les tensions internes ont atteint leur paroxysme, les annonces de démissions, de gel d’activités fusent de partout, depuis les militants de base jusqu’aux dirigeants historiques et membres fondateurs. Tout porte à croire que le parti va éclater. Ce serait déjà le cas pour un parti normal, mais certainement pas pour le PJD, estiment certains analystes qui évoquent la prédominance de l’esprit de la confrérie sur celui d’une formation politique moderne. En tout cas, le PJD traverse actuellement une situation similaire à celle qu’il a connue en début de 2015. Comme aujourd’hui, ce n’était pas les scandales qui manquaient à cette époque. Mohamed Yatime, par exemple, était particulièrement malmené pour avoir soutenu que le «poker» était une gymnastique mentale. Son fils venait de gagner un tournoi de ce jeu. Ce qui n’a pas empêché sa liste de gagner deux sièges à Sidi Bernoussi un peu plus d’une année plus tard. Bref, lors de la réunion, début janvier 2015, du conseil national, Saad-Eddine El Othmani, qui présidait alors cette instance, a appelé les membres à ne pas hésiter à s’opposer à la direction du parti et au gouvernement. Cela exprime l’étendue du différend qui opposait alors le président du conseil national et le secrétaire général du parti, également chef du gouvernement.
Ce n’était d’ailleurs pas la première sortie du genre du président du conseil national d’alors. El Othmani avait, en effet, adressé de vives critiques au secrétaire général, notamment pour la manière dont il a conduit les négociations ayant abouti à la formation du deuxième gouvernement, en 2013, comme il avait exprimé son mécontentement quant à la gestion du parti. L’actuel chef du gouvernement avait, en outre, appelé les militants du parti à ne pas cautionner toutes les actions du gouvernement. Pendant la même époque, l’ancien patron du parti déclarait qu’il était «musulman et non islamiste» et qu’il «n’aspirait pas du tout à changer la société marocaine». Une précision qui a fait un ravage parmi les bases du parti qui se voyaient plutôt en sauveurs de la société. Aziz Rebbah, lui, affirmait qu’il n’écartait pas «une possible alliance gouvernementale avec le PAM». Sacrilège. Le PAM était considéré comme ligne rouge. Le secrétaire général du parti était également visé en personne. Plusieurs dirigeants, dont Ahmed Raissouni, ancien patron du Mouvement Unicité et Réforme (MUR), lui reprochaient son ascendant manifeste sur le parti. «Quand un zaïm dirige un parti, il met en péril son devenir et le renouvellement de ses élites», pensait-on. C’est pour dire que le parti bouillonnait au point que le chef du groupe parlementaire d’alors, Abdellah Bouanou, affirmait que le danger qui pourrait menacer le parti et son projet de société ne pouvait venir que de son intérieur et émaner de ses propres rangs. Donc, tous les ingrédients étaient réunis pour que le parti implose. Ça n’a pas été le cas.
L’histoire est-elle en train de se répéter pour le PJD? Probablement, sauf que cette fois la carotte électorale ne pourra plus lui sauver la mise. Le PJD, nous l’avons vu, a raflé, un peu plus d’une année plus tard, les élections. Il a remporté plus de deux sièges dans pas moins de 25 circonscriptions et la liste nationale des jeunes a bénéficié à une dizaine de jeunes. Avec la participation au gouvernement, même ceux qui ont été placés à la troisième et parfois même à la quatrième position, comme c’est le cas à Salé Medina, sur les listes électorales, ont pu accéder au Parlement. Ne parlons même pas des cabinets ministériels, et celui de la Primature, et des groupes parlementaires, autant d’opportunités qui ont permis au PJD de caser un nombre important de jeunes et de mécontents. Ce n’est plus possible aujourd’hui. Les règles du jeu électoral ont changé au moment où celles du parti sont restées figées. C’est sans doute pour cela que, parmi les points à l’ordre du jour de la réunion de ce week-end du conseil national figure le changement de la méthode d’octroi des accréditations (les fameuses tazkiate). Jusque-là, le parti a adopté un mécanisme de sélection des candidats qui transforment la cooptation en choix démocratique. Ce mécanisme a fait que durant les quatre derniers mandats les mêmes personnes sont toujours à la tête du classement des candidats. Quelques fois, quand le choix ne convient pas à la direction, celle-ci impose son propre candidat. Pour comprendre la situation dans laquelle se trouve le parti aujourd’hui, il faut remonter aux premières heures de sa création.
Historiquement, le PJD est composé de trois tendances qui ont chacune une culture politique particulière. La première tendance est constituée d’idéologues issus de la mouvance de l’islam politique. Il s’agit des fondateurs du mouvement, plutôt professionnels de la politique, ont pu conquérir dès 1997 des positions électives, notamment au Parlement, et puis gouvernementales. La deuxième tendance est composée des oulémas et prédicateurs qui ont rejoint le mouvement à partir de 1996 et c’est au sein du MUR qu’on les retrouve aujourd’hui le plus. Ils sont à l’écart de l’action politique directe, mais ils influencent considérablement la prise de décision au sein du PJD. Ce qui fait dire à Aatimad Zahidi, ancienne députée, que l’ascension dans les instances du parti est tributaire de la bénédiction du MUR. Le troisième groupe, composé pour la plupart de cadres formés localement ou d’entrepreneurs et commerçants et d’une certaine manière de la petite bourgeoisie pieuse, a rejoint le parti à la faveur de sa percée aux élections locales de 2003, puis législatives de 2007 et celles d’après à mesure que s’agrandissait l’appétit électoral du parti. Ces élites, après avoir été cooptées par la direction, ont fait leurs preuves dans certaines municipalités et arrondissements dont la gestion leur a permis d’approcher les techniques de gestion des affaires publiques à une échelle réduite. Mais une fois arrivé au pouvoir, au lendemain des législatives de 2011, le parti a dû néanmoins faire face à une dure réalité : il ne possède pas assez de compétences pour gérer un pays. Cela dit, sur le plan interne, le parti a jusque-là réussi à maintenir un certain équilibre entre ces trois composantes. Mais une fois au gouvernement, cet équilibre a été altéré progressivement. Le troisième groupe, les derniers arrivants, a pris de l’ampleur au point que c’est l’un de ses représentants, Driss El Azami, qui préside aujourd’hui le conseil national. Lors de ses deux mandats au gouvernement, sa morphologie a changé, mais pas ses mécanismes de fonctionnement. Plus encore, les divergences du point de vue sur certaines questions fondamentales entre fondateurs ont entaché l’image de marque de la communauté soudée qui était celle du PJD.
Les exigences en démocratie interne se sont accentuées aux moments où l’ascenseur social n’a jamais fonctionné de la même manière pour tout le monde. Les cadres et jeunes militants qui attendaient leur tour paieront les frais du réajustement des règles du jeu électoral. Si les membres de ces deux groupes ont pu accéder au Parlement c’est grâce à la règle du plus grand reste et à la liste nationale, ce ne sera plus le cas dans quelques mois. Et c’est de là que vient le danger pour le parti. Les conditions pour que la «prophétie» du Bouanou se réalise semblent aujourd’hui réunies.
