Pouvoirs
Pas de sauvetage bis pour Bouazza Ikken
Le leader de l’Union démocratique est débarqué légalement du parti.
Il dénonce une manœuvre du MP et du MNP contre son ex-parti.
Les putchistes annoncent la fusion avec le MP et le MNP pour le 24 mars.

Apeine entamée, l’année 2006 aura décidément été riche en péripéties dans le monde politique et syndical. Après avoir fait des ravages à l’Union générale des travailleurs du Maroc et au Rassemblement national des indépendants, le virus révolutionnaire a touché l’Union démocratique (UD) de Bouazza Ikken. Non seulement le bureau politique du parti a annoncé la chute de son président et son remplacement par un de ses membres, en la personne de Mohamed Fadili, le 29 janvier, mais, dans la foulée, ce dernier annonce que le parti tiendra son congrès non pas le 10 mais le 24 mars prochain, soit le jour de la fusion Mouvement populaire-Mouvement national populaire.
«Ils veulent kidnapper le parti. Nous ne savons pas comment le bureau politique s’est réuni. Normalement il est présidé par le président du parti. Nous avons une procédure selon laquelle le bureau politique doit envoyer une lettre recommandée au président, lequel a 8 jours pour s’exécuter», déclare, amer, Bouazza Ikken.
Accusé, entre autres, de gestion autoritaire de l’UD et de manque de transparence au niveau financier, le sort d’Ikken semble avoir été scellé en l’espace de quelques jours, non sans résistance de la part du concerné.
Le samedi 4 février, le président déchu aura réuni l’instance la plus importante du parti après le congrès : le conseil national. Objectif ? Faire appel contre la décision du bureau politique. Le conseil le confortera dans sa position de président du parti et expulsera quatre personnes : Ahmed Moussaoui, Belhaj Darmoumi, Omar Megder et… Mohamed Fadili.
Ikken n’avait pas la liste des membres du conseil national…
De leur côté, ses adversaires n’ont pas perdu leur temps : ils affirment, eux aussi, avoir réuni le conseil national du parti, le dimanche 5 février, à Rabat ; sauf que, expliquent-ils, sa composition est différente de celui réuni la veille. «M. Ikken n’avait pas la liste des membres, moi je l’avais. S’il me l’avait demandée, je la lui aurais donnée. Au lieu de cela, il a amené des gens de Khémisset pour tenir le conseil national», rétorquera Mohamed Fadili le lendemain de la rencontre. Et d’ajouter que non seulement ils avaient réuni 370 membres du conseil national sur 450, mais en plus les représentants des sections féminine, jeunesse et 44 des 48 parlementaires UD avaient répondu présent à la rencontre. Ce jour-là, les auteurs du putsch contre Ikken seront allés jusqu’à présenter à la presse un dossier démontrant la légalité de leur action.
Le camp anti-Ikken semble avoir une longueur d’avance sur ce dernier puisque non seulement il a fait légaliser les signatures sur le document certifiant le renvoi de leur président, mais en plus il ira très vite déposer le nouvel organigramme du parti auprès du ministère de l’Intérieur. Désormais, explique M. Fadili, «nous comptons lui intenter un procès pour avoir parlé au nom du parti alors qu’il était destitué de ses fonctions. De plus, une lettre officielle de l’avocat du parti a été prévue pour qu’il remette le matériel, les papiers, et les comptes des quatre dernières années».
Coup de colère du bureau politique ? La précision militaire avec laquelle le renversement d’Ikken aura été organisé montre que rien n’a été laissé au hasard dans son organisation. Il faut dire que ce n’est pas la première fois que le bureau politique de l’UD cherche à renverser son président. «Cela a déjà été le cas en 2004, dans les mêmes conditions», explique Bouazza Ikken. «Le 5 juillet 2004, ils avaient pris deux décisions : celle de geler la participation du président du parti et celle de l’exclure de la présidence. Cette fois-ci, ils ont ajouté d’autres éléments : ils ont nommé quelqu’un à sa place, et ils rejoignent la fusion avec le MP et le MNP», ajoute Mohamed Ababouch, membre du bureau politique de l’UD resté fidèle à Ikken.
A l’époque, 17 membres sur les 19 du bureau politique avaient tenté de renverser Ikken pour les mêmes raisons. Bien plus nombreux que les 13 d’aujourd’hui – les autres ayant rejoint les rangs de l’Istiqlal, de l’USFP et de l’Union constitutionnelle – , leur tentative avait été suspendue lorsque Mohand Laenser et Mahjoubi Aherdane, leaders respectifs du Mouvement populaire et du Mouvement national populaire, dont l’Union démocratique est issue, avaient volé à son secours. «Nous avions conclu un accord avec Ikken», explique Mohamed Fadili, «il avait accepté toutes les conditions que nous lui avions posées : la direction conjointe, la transparence des comptes et du travail». Mais, ajoute-t-il, Ikken reviendra à ses anciennes pratiques sitôt la crise passée.
Laenser et Aherdane tournent le dos à Ikken
Qu’est-ce qui, à l’époque, pouvait justifier la prise de position des leaders du MP et du MNP en sa faveur ? Pourquoi ne sont-ils pas intervenus une seconde fois aujourd’hui ?
A l’époque, Ikken était favorable à une fusion entre les trois partis qui restent extrêmement proches au niveau de leurs programmes. Aherdan et Laenser pourraient avoir agi en sa faveur pour éviter une nouvelle scission à l’impact négatif sur la fusion imminente entre les trois partis. Depuis, Ikken a changé de position en ce qui concerne la fusion harakie. «Ikken avait demandé une direction collégiale, à trois, qui avait été acceptée par les autres parties. Nous ne sommes pas contre l’idée d’un conseil de la présidence [au sein du parti issu de la fusion]», explique Saïd Ameskane, membre du bureau politique du Mouvement populaire. «Par contre, ajoute-t-il, il voulait aussi la parité», soit un tiers des voix au niveau de chaque organe du nouveau parti, ce qui forcément n’allait pas de soi. «Je pense que le facteur qui détermine le poids de chacun est le nombre de voix récolté par chaque parti [aux élections de 2002]» , ajoute Ameskane. Le leader de l’UD se retirera par conséquent des négociations et, après plusieurs mois d’attente, le MP et le MNP annonceront une fusion à deux. L’on comprend donc qu’à l’annonce d’une nouvelle tentative de putsch au sein de l’UD, ils ne réagiront pas. Ce dernier, par contre, les accuse d’avoir tout manigancé. Argument plausible : au final, ce sont eux qui bénéficient de la situation. «Nous considérons que c’est une véritable OPA agressive, discourtoise pour le moins, qui est lancée contre notre parti car les positions que nous avons avancées pour la fusion ont été rejetées il y a un mois et nous avons pris acte de ce rejet et de la décision de nos partenaires de fusionner à deux», fulmine Mohamed Ababouch.
Saïd Ameskane s’inscrit en faux contre l’assertion : «C’est un problème interne. Le MP et le MNP ont décidé d’organiser leur congrès, il y a même un communiqué du bureau politique selon lequel la fusion se fera à deux. On ne savait même pas que la contestation dégénérerait de la sorte. C’est un événement qui a surpris tout le monde». «M. Ikken refusait la fusion. Maintenant, les gens qui se sont séparés de lui optent pour cette dernière. Ils ont remis un dossier complet avec les statuts qui stipulent que c’est le conseil, à la majorité du bureau politique, qui décide de la destitution ou de la désignation d’un président. Ils nous ont donné une liste des membres qui se sont réunis, avec les signatures légalisées, etc., ils estiment donc qu’ils sont conformes à la loi. M. Ikken soutient le contraire, bien sûr, donc il y a encore un va-et-vient. Mais en tout cas nous étions toujours pour la fusion, et nous ne pouvons fermer la porte aux nouveaux arrivants. De toute façon la date du congrès a déjà été arrêtée».
Tout porte à croire donc que l’UD se passera de Bouazza Ikken et rejoindra la fusion… à moins d’un de ces coups de théâtre dont le champ politique marocain est si friand.
En dépit des arguments avancés par ceux qui l’ont débarqué pour le remplacer par Mohamed Fadili (à dr.), c’est plus probablement sur l’autel de la fusion MP/MNP que Bouazza Ikken (à g.) a été sacrifié.
Nettoyage sélectif
On ne peut s’empêcher d’être frappé par la profonde similarité entre les accusations portées contre Bouazza Ikken, Ahmed Osman ou Abderrazzak Afilal. La nouvelle loi sur les partis politique et l’approche des élections de 2007 sont-elles sur le point de faire disparaître les dinosaures politiques marocains ? A vue de nez seulement, car, si ces derniers mois auront vu la chute, ou du moins la contestation, de leaders en place depuis des lustres, beaucoup d’autres restent fermement vissés à leurs sièges.
Que se passe-t-il alors ?
Au lieu d’un renouvellement des générations, les arguments de l’âge et des méthodes de gestion n’ont été invoqués jusqu’à présent qu’à l’encontre
des leaders qui n’auront pas su protéger l’identité politique de leur organisation. Seuls ceux qui n’auront pas su se protéger de l’uniformisation générée par les scissions successives se voient désormais priés de prendre la retraite.
H.F.-A.
