Pouvoirs
Partis : la jeune garde piaffe
La relève existe mais elle ne peut accéder à un pouvoir qui reste l’apanage des apparatchiks.
L’absence de démocratie interne empêche le renouvellement des élites.
Lorsque nous avons entrepris de réaliser un dossier sur la relève au niveau des partis politiques, nous avons pu mesurer toute l’ampleur de la problématique du renouvellement des directions partisanes, qui est au cœur même du déficit de démocratie interne au sein des formations politiques.
S’il est vrai que les organisations de jeunesse ont réussi à faire peau neuve et ont renouvelé leurs instances dirigeantes, c’est au niveau des directions nationales des partis que sévit encore la gérontocratie. Un exemple significatif ? Au bureau politique du premier parti du pays, l’Union socialiste des forces populaires (USFP), la moyenne d’âge, avant le sixième congrès national (mars 2001) était de… 70 ans ! Un véritable club du troisième âge. Et l’USFP n’est que l’arbre qui cache la forêt.
Quelles sont les raisons de ce vieillissement des élites partisanes et pourquoi les jeunes n’accèdent-ils pas aux instances exécutives des formations politiques ? La réponse réside essentiellement dans l’absence d’institutionnalisation des mécanismes de la démocratie interne au sein des partis politiques : tenue régulière des congrès nationaux, renouvellement des directions en fonction des performances et sur une base programmatique, limitation des mandats, limite d’âge, représentation proportionnelle des courants dans les instances partisanes…
RNI : 18 ans entre deux congrès. Qui dit mieux ?
Le non-respect des délais statutaires, généralement quatre ou cinq ans, dans l’organisation des congrès des partis, est une manifestation primaire de l’absence d’une démocratie interne effective. Et les conséquences en sont malheureuses. Deux partis politiques, idéologiquement aux antipodes, illustrent ce fait. L’USFP avait tenu son Ve congrès national en 1989. Le VIe devait avoir lieu en 1993. Mais de report en ajournement, il n’a pu finalement être organisé qu’en mars 2001, soit douze ans après le congrès précédent. Quant au RNI, il a battu tous les records nationaux en la matière. Son président, Ahmed Osman, n’a finalement concédé la tenue du IIIe congrès (novembre 2001) que 18 ans après le deuxième!
Or c’est justement à l’occasion de telles assises nationales que les directions présentent le bilan de leur action et remettent leur mandat électif entre les mains des congressistes. Les militants renouvellent alors leur confiance dans l’équipe dirigeante sortante ou la sanctionnent en votant pour une autre équipe. Voilà pour l’idéal type de la démocratie interne. La réalité est tout autre.
Le vieillissement des dirigeants et le verrouillage des instances exécutives ont fini par filtrer à doses homéopathiques, ou carrément bloquer, la circulation des cadres de la base vers le sommet. Le drame, donc, est que même lorsque le renouvellement est enfin accepté – à contre-cœur -, il est tellement contrôlé et encadré par le biais des commissions de candidatures, qu’il se transforme en une cooptation sur mesure. Les plus patients tissent leurs réseaux et s’insèrent dans un clan ou l’autre en attendant des jours meilleurs. Quant aux plus impatients, ils claquent la porte du parti à la recherche de structures plus accueillantes où la circulation des élites est plus fluide et l’ascenseur social plus performant.
Un autre facteur est venu aggraver cette situation de blocage. Les partis de gauche, particulièrement, restés dans l’opposition pendant près de quatre décennies, ont souffert jusqu’au gouvernement d’alternance d’un embouteillage monstre de leurs cadres dans les instances partisanes intermédiaires (comité central, commission administrative), qui se transformaient à vue d’œil en immenses salles d’attente.
La participation des partis de gauche au pouvoir à partir du premier gouvernement Youssoufi en mars 1998 allait libérer les énergies et les ambitions longtemps contrariées et alléger considérablement la pression exercée sur les partis. Beaucoup de places sont devenues vacantes dans les structures partisanes, les organisations affiliées, les syndicats professionnels, les associations de la société civile, les fondations culturelles ou de recherche scientifique…
Les dirigeants de premier rang des directions nationales des partis sont partis à la conquête du gouvernement et du Parlement et ont investi les ministères, les offices publics, les cabinets ministériels, l’hémicycle ou même des ambassades et, tout récemment, des postes de gouverneurs…
Embouteillage
à tous les étages
Beaucoup de jeunes cadres se sont rués sur les positions ainsi libérées par leurs aînés. Mais l’euphorie et la fluidité de la circulation n’ont été que de courte durée. Les barons des partis ou leurs fidèles dauphins n’ont finalement pas lâché prise sur les leviers de commande au niveau central. Seuls ceux qui pouvaient s’appuyer, selon les termes de Simon Lévy, sur une «position sociale ou qui avaient une capacité électorale mesurée en capacité financière» ont pu pénétrer les lieux de pouvoir que sont les instances exécutives des partis…
Finalement, malgré la tenue des congrès, le relatif rajeunissement des directions et la participation au pouvoir, la même logique s’est perpétuée, celle du clientélisme, du clanisme, voire le maintien d’une culture d’allégeance personnelle et de servilité, l’écrasement des dissidences et des oppositions internes et l’accélération des processus de scissions et de créations de nouveaux partis.
On est encore loin de cette indispensable révolution culturelle fondée sur la reconnaissance de l’autre, de sa différence et de sa divergence et de l’apprentissage de la gestion des conflits. Certes, les partis regorgent, et de plus en plus, de jeunes cadres de qualité, hautement qualifiés, mais qui restent marginalisés dans leurs partis. Cela montre qu’un véritable accès de la jeunesse aux instances décisionnelles des partis est intimement lié aux avancées de la démocratie interne. Plus ils se démocratiseront, plus les jeunes seront aux commandes