Pouvoirs
Partis et groupes parlementaires, des rapports ambigus…
Un parti politique ne peut pas saisir le Conseil constitutionnel, son groupe parlementaire si. Un groupe parlementaire ne peut exister indépendamment de son parti. Pour éviter les problèmes, les partis choisissent souvent le chef de leur groupe parmi les membres du bureau politique.

Pendant plus de deux semaines, l’USFP a tenu en haleine le microcosme politique. La première Chambre dont les travaux sont ouverts depuis le 11 avril n’a pu reprendre ses activités normales que deux semaines plus tard. Tout le monde était suspendu à une issue du bras de fer qui opposait le premier secrétaire du parti, Driss Lachgar, et l’ancien chef de son groupe parlementaire, Ahmed Zaidi. Ce dernier a fini par jeter l’éponge et le train-train quotidien des politiques pouvait enfin reprendre. Certaines questions demeurent toutefois posées : et si le chef du groupe refusait de démissionner ? Et si les instances décisionnelles décidaient, comme elles ont menacé de le faire, de le suspendre ainsi que les députés de son camp ? Ces derniers allaient-ils finir leur mandat ou seraient-ils contraints de quitter l’hémicycle ? Auquel cas seraient-ils remplacés par ceux qui les suivent sur leurs listes ou leur mandat serait-il simplement annulé et des élections partielles organisées? Certains politologues et une large tendance de la direction de l’USFP estiment que dès qu’ils ne font plus partie de cette formation, les députés concernés sont déchus de leur mandat et ce serait au Conseil constitutionnel de décider de la suite à donner à ce cas. Cette lecture que d’aucuns trouveraient automatique, voire simpliste, ne résout pas pour autant la problématique des rapports entre un parti politique et son groupe parlementaire.
En fait, la Constitution marocaine, depuis le premier texte fondamental du Maroc moderne, n’a jamais conçu une relation entre les partis politiques et leurs groupes parlementaires, pour reprendre les termes du politologue et député socialiste Hassan Tarik. De même, toujours selon ce dernier, aucun des règlements intérieurs du Parlement n’a jamais mentionné une quelconque réciprocité entre l’appartenance à un groupe parlementaire et l’adhésion à un parti politique. Les deux appartenances ne sont pas automatiques. Les tenants de cette thèse avancent quelques arguments puisés dans la Constitution et l’histoire de la pratique politique et institutionnelle du Maroc. L’exemple le plus cité est celui de l’impossibilité pour les partis politiques de dénoncer des fraudes électorales auprès du Conseil constitutionnel pour absence de qualité. En effet, c’est le candidat de la circonscription concernée qui est le seul habilité à le faire. Et c’est toujours le cas depuis la première tentative, en 1963, de Allal El Fassi, alors patron de l’Istiqlal, de faire invalider l’élection d’un groupe de députés appartenant au Front pour la défense des institutions constitutionnelles (FDIC). L’assemblée constitutionnelle provisoire d’alors a rejeté le recours considérant que le requérant n’avait pas qualité pour la saisir.
Une continuité de la pratique constitutionnelle
Cette décision fera, par la suite, jurisprudence. En atteste cette autre décision du Conseil constitutionnel, cette fois en 1993, lorsque l’OADP, ancêtre de l’actuel PSU, s’est fait éconduire, pour les mêmes motifs que l’Istiqlal trente ans plutôt, alors qu’il tentait de faire annuler le résultat des élections à Tan-Tan. Du coup, et selon cette lecture de la Constitution et la pratique constitutionnelle, il n’existe pas de rapport organique entre groupe parlementaire et parti politique. Une lecture étayée par un autre cas qui remonte à 1995. Le projet de règlement intérieur du Parlement, qui a rang de loi organique, soumis pour examen et approbation au Conseil constitutionnel en décembre 1994, stipulait, dans le premier alinéa de l’article 44, que «les députés peuvent constituer des groupes parlementaires à partir des partis politiques représentés au Parlement». Cette disposition a été invalidée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision (95/52) datée du 3 janvier 1995, en prenant comme argument un autre article (l’art.36) du même texte qui précise que les députés sont les représentants de la nation de laquelle ils détiennent leur mandat. Le texte fondamental a toujours considéré, lui aussi, que les députés, en tant que représentants de la nation dont ils tiennent le mandat, jouissent d’une totale autonomie et d’une liberté de choix. Ils sont donc libres de former un groupe parlementaire et cela indépendamment du fait qu’ils appartiennent à un seul ou à plusieurs partis politiques. La Constitution de 2011 ne déroge pas à cette règle qu’elle vient de renforcer en constitutionnalisant l’interdiction de la transhumance des parlementaires. L’article 60 de l’actuelle Constitution précise que les membres du Parlement «tiennent leur mandat de la nation. Leur droit de vote est personnel et ne peut être délégué». Seulement cette même loi fondamentale prévient, dans l’article 61, que «tout membre de l’une des deux chambres qui renonce à son appartenance politique, au nom de laquelle il s’est porté candidat aux élections ou le groupe ou groupement parlementaire auquel il appartient, est déchu de son mandat». Ce qui soulève une question: qui a le droit de saisir le Conseil constitutionnel en cas d’infraction ? Une chose est sûre, ce ne sont pas les partis politiques. La confirmation a été donnée par les magistrats constitutionnels sous la forme d’une décision (839/12) rendue le 22 février 2012.
Le groupe, porte-voix du parti au Parlement
Ainsi, le recours adressé par Miloud Chaâbi en tant que chef d’un groupement parlementaire, au Conseil constitutionnel pour invalider le siège d’un membre du PUD qui a rejoint le groupe du progrès démocratique (PPS, FFD et PUD), a été rejeté pour absence de qualité. Mais ce qui est intéressant dans cette décision c’est la deuxième partie de l’argument : seul le président de la Chambre a le droit de saisir le Conseil constitutionnel pour constater un cas de transhumance de député. Les partis politiques n’ont pas ce droit. Néanmoins, la nouvelle loi suprême vient de doter ces mêmes partis d’une nouvelle mission. Ils ne font plus qu’œuvrer à l’encadrement et à la formation politique des citoyens et la promotion de leur participation politique, ils vont au-delà. Comme le stipule l’article 7 de la Constitution, «ils concourent à l’expression de la volonté des électeurs et participent à l’exercice du pouvoir». Ce qui fait dire à certains analystes politiques, dont le politologue Tarik Tlaty, que «le groupe parlementaire tire son existence même de celle de son parti». L’élection d’indépendants au Parlement étant devenue nettement plus compliquée que par le passé, l’appartenance à un parti politique est devenue une règle générale de tous les députés. Aussi, assure ce professeur de sciences politiques à l’Université Hassan II, «est-il impossible pour un député de se défaire de son appartenance partisane sans risquer d’être déchu de son mandat électoral». De même, «l’appartenance du député au parti est un préalable à son appartenance à la Chambre. En conséquence, il est d’abord assujetti aux règles de fonctionnement de son propre parti». Ainsi, et du point de vue politique, il est inconcevable qu’un groupe parlementaire d’un parti défende des positions qui ne sont pas celles de sa formation ou qu’il s’inscrive dans une ligne politique contraire à celle du parti. En définitive, «le groupe parlementaire est bel et bien un organe du parti, c’est un outil d’action du parti, c’est son porte-parole et l’exécutant de sa politique au sein du Parlement», affirme ce politologue.
Même le PJD est passé par là
Bien sûr, pour ne pas tomber dans ce genre de polémique, la plupart des partis politiques optent pour une démarche consensuelle. La direction du parti se réunit avec le groupe parlementaire au début et à la mi-mandat, ce dernier confie généralement au secrétaire général et éventuellement au bureau politique un mandat franc pour désigner le chef du groupe et les représentants du parti dans les autres instances du Parlement (le bureau de la Chambre et les commissions). C’est ainsi qu’à de rares exceptions près, le chef du groupe parlementaire est choisi parmi les députés membres du bureau politique. «Cela nous met à l’abri des conflits d’approches et permet une meilleure traduction de la décision politique de la direction du parti au niveau du Parlement», explique un membre du bureau politique d’une formation de la majorité gouvernementale. Le PAM, dont la discipline partisane est érigée en credo, illustre le mieux ce rapport organique entre le parti et son groupe parlementaire. Lorsqu’il a été question, il y a quelques mois, d’un éventuel changement à la tête du groupe parlementaire du parti à la première Chambre, le chef du groupe d’alors, Abdellatif Ouahbi, avait déclaré se mettre à la disposition de la direction du parti. C’était à elle que revenait le choix de le maintenir ou de le remplacer. En novembre, lorsque le RNI a rejoint le gouvernement, il a été question de changer la présidence de la commission de la justice. Le PAM, auquel revenait le poste, y a aussitôt nommé Abdellatif Ouahbi qui cède son poste de chef du groupe au membre du bureau politique, Milouda Hazeb.
Cela dit, dans ces procédures de désignation du chef du groupe parlementaire, le PJD fait exception. Le parti islamiste pour lequel tous les postes de responsabilité sont électifs, désigne le chef de son groupe parlementaire par vote. Ce sont les membres du groupe qui désignent, par vote, leur propre chef parmi trois membres qu’ils auront, eux-mêmes, désignés comme candidats. La pratique l’aura montré, ce système n’est toutefois pas infaillible. En 2004, à la mi-mandat, les 42 députés ont élu, à une large majorité, Mustapha Ramid comme chef du groupe. Le secrétariat général, incommodé par ce choix, a fait outre en imposant Abdallah Baha. Une année auparavant, le même Ramid pour lequel s’est porté le choix du groupe pour présider à sa destinée a été contraint de démissionner pour laisser sa place au préféré du secrétariat général Abdellah Baha. Aujourd’hui, le secrétariat général n’a trouvé rien à redire quant au choix, pour la deuxième fois, du trublion Abdellah Bouanou comme chef du groupe. Selon certains analystes, le choix du groupe parlementaire a été entériné, parce qu’il fait l’affaire dans le cadre d’un jeu de rôle global entre le parti, son groupe parlementaire et sa matrice, le MUR. En définitive, les rapports restent ambigus.
Le débat est toujours ouvert
La situation que vient de vivre l’USFP, bien que problématique, est de loin une situation exceptionnelle. Le parti ne pouvait fonctionner avec deux têtes. Sa commission administrative a tranché la question : soit le parti dispose d’un groupe qui mette en œuvre entièrement sa ligne politique au Parlement, soit il y renonce en se contentant d’un simple groupement parlementaire. La démission d’Ahmed Zaidi a pu sortir le parti de cette impasse, mais le débat reste ouvert. Et rien dans l’histoire de la pratique politique et institutionnelle dans notre pays ne peut apporter une réponse tranchée. L’on a vu des partis créés à partir de groupes parlementaires, le RNI en est un exemple. Le premier noyau du parti a été formé par un groupe de députés élus sans étiquette politique en 1978. Bien des années plus tard, le PAM a été formé grâce au regroupement d’élus de plusieurs partis politiques et de la liste indépendante de Rhamna. Le groupe qui a porté, au début, la dénomination Authenticité et modernité a donné son nom au parti. L’on a vu également des regroupements entre groupes de partis pour n’en former qu’un seul. Le Rassemblement constitutionnel, formé à l’initiative de l’UC et du RNI, est un autre exemple de la complexité des rapports entre partis et groupes parlementaires. Ailleurs, en France par exemple, des formations politiques sont nées de la scission de groupes parlementaires d’autres formations politiques. C’est que les dissensions au sein d’un parti, la droite en a donné tellement d’exemples, se répercutent automatiquement sur son groupe parlementaire. Un récent exemple vient d’être donné, fin 2012, par l’ancien Premier ministre UMP, le premier scrutin du 18 novembre est nul et non avenu, François Fillon qui est allé, dans son bras de fer avec Jean-François Copé, jusqu’à annoncer la création d’un nouveau groupe parlementaire, le «Rassemblement-UMP». Quelque 70 députés s’étaient dits disposés à rejoindre le nouveau groupe sur les 196 que comptait l’UMP. Plus proche de nous, géographiquement s’entend, en Espagne qui est une monarchie parlementaire, le problème ne se pose pas, du moins ces dernières années. L’actuel président du gouvernement Mariano Rajoy était, avant les élections générales de 2011, chef du groupe parlementaire du Parti populaire (opposition). Il cumulait le poste avec celui de chef de parti. Quant à l’opposition, elle est incarnée par le groupe socialiste dont le chef n’est autre que le leader du PSOE, Arturo Perez Rubalcaba. Un cas qui réconfortera certainement Driss Lachgar qui cumule désormais les postes de Premier secrétaire de l’USFP et celui de chef de son groupe parlementaire.
