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Pouvoirs

Mouvement populaire : cinquante ans, et toujours des interrogations…

Créé dans un contexte de bras de fer entre la monarchie et le Parti de l’Istiqlal, il est aujourd’hui taxé de premier parti de l’administration.
Misant sur le monde rural et l’amazighité, il a été rattrapé par les autres formations.
Il pèse lourd au Parlement, mais son influence a été limitée par son passage à  l’opposition.

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« Le Mouvement populaire est issu de l’Armée de libération. Ses premiers dirigeants étaient des résistants». Installé dans un bureau du siège du Mouvement populaire, à Rabat, Mahjoubi Aherdan, fondateur du parti, se remémore les évènements qui ont précédé sa création. Parmi eux, des moments difficiles, vécus aux côtés d’un certain Abdelkrim El Khatib, «rencontré par hasard», au domicile de Driss M’hammedi, ancien ministre de l’intérieur. «J’avais toujours dit qu’il fallait un parti politique pour seconder l’Armée de libération. L’idée était dans l’air, et même avant, vers 1955, nous avons failli créer un mouvement nord-africain avec les Algériens et les Tunisiens». Dans ses mémoires, Massar Hayat, son ami de toujours, aujourd’hui décédé,  parle de la naissance du MP : «Avec quelques camarades de l’Armée de libération, qui étaient harcelés par les autorités régies alors par le parti unique, nous pensions à former un mouvement politique qui affronterait la dictature et combattrait le parti unique. C’est à cette époque que Mbarek Bekkay avait été démis de ses fonctions, après avoir présenté, en concertation avec nous, le projet de Dahir des libertés publiques». Réuni au domicile de Mahjoubi Aherdan, à l’époque gouverneur de Rabat ou encore chez Lahcen Lyoussi ou Mbarek Bekkay, le groupe pensait déjà «former un mouvement politique qui unisse la campagne et la ville», poursuit Abdelkrim El Khatib. Toutefois, une semaine après l’annonce de la naissance du parti, il est interdit. Dans la foulée, M. Aherdane sera forcé de quitter son poste. Le groupe fait alors l’objet d’une forte pression de la part de l’Istiqlal. Entre-temps, ajoute celui qu’on appelle aujourd’hui l’Amghar, «plusieurs de nos amis ont été assassinés, comme Abbas El Messaadi ou Berbouchi. A la mort de Abbas, nous avons réuni les chefs de l’Armée de libération, et décidé de ramener son corps dans le Rif. Nous avions alors tout fait dans les règles». L’autorisation officielle ne viendra pas. «A la veille du 1er octobre 1958, des milliers de personnes étaient venues à Fès pour assister à l’événement. Le matin suivant, nous nous sommes rendus au cimetière de Bab Sagma à Fès». Le corps est déterré et transporté dans le Rif où le groupe compte d’ailleurs construire un cimetière des anciens combattants. «Entre-temps, un conseil des ministres avait été réuni à Fès, où il avait été décidé d’interdire toute réunion, toute manifestation», explique M. Aherdan, qui précise que le conseil en question était dominé par l’Istiqlal. Ce n’est qu’une fois arrivés à destination que les concernés se voient ordonner d’interrompre leurs activités. Le bain de sang ne sera évité que de peu. «A notre retour, nous étions décidés à reprendre le maquis», explique M. Aherdan. Ce dernier se rendra quand même à son domicile à Rabat pour la nuit. Il y sera interpellé le lendemain à l’aube. «J’ai été détenu au commissariat de police pendant deux nuits. Le troisième jour, Abdelkrim El Khatib, Abdallah El Ouagouti et moi-même avons été emmenés à Fès, à la prison de Ain El Kadous», poursuit-il, «Nous n’en sommes sortis qu’au moment de la parution du Dahir des libertés publiques(* ): le Mouvement était devenu légal».

La main tendue de Ben Barka
Décembre 1958, Abdallah Ibrahim succède à Ahmed Balafrej à la tête du gouvernement. Trois ans après l’Indépendance, tout est encore à faire dans le pays, à commencer par la pacification des territoires libérés, car les règlements de compte battent leur plein et des rivalités surgissent entre anciens alliés. L’Istiqlal, accusé de visées hégémoniques, rivalise avec la monarchie pour le pouvoir. Dans ce bras de fer, chacun cherche à attirer les anciens combattants de son côté. C’est dans ce contexte que Abbas Messaadi, chef de l’Armée de libération, est assassiné par des inconnus.
Durant les 58 jours où MM. El Khatib, Ouaggouti et Aherdan étaient derrière les barreaux, des troubles ont éclaté dans les montagnes et à Casablanca. Au sein de l’Istiqlal, les divisions internes deviennent explicites : les futurs ittihadis tendent la main aux futurs harakis. «Alors que nous étions en prison, Abdelkrim El Khatib et moi-même, Mehdi Ben Barka nous avait envoyé des messagers pour essayer de nous rallier à eux, mais nous étions méfiants», confie M. Aherdan (voir entretien en page 37). Ce dernier rapporte aussi la réaction de feu Mohammed V. «A l’époque, il nous avait reproché nos actes, mais il a ajouté une chose : “Si j’avais su que l’arrestation d’El Khatib et Aherdan aurait donné tout cela, il y a longtemps que je l’aurais fait moi-même”». Sortis de prison, les harakis annoncent, en février 1959, la création de leur parti. Le congrès constitutif suivra quelques mois plus tard, le 9 novembre. En 1963, le conseiller de feu Hassan II, Ahmed Réda Guédira fonde le Front pour la défense des institutions constitutionnelles (FDIC). Les harakis en font partie, à contrecœur pour certains : M. El Khatib est résolument pour, mais M. Aherdan s’y oppose, avant de céder, temporairement. La même année, le MP participe aux élections législatives du 17 mai 1963, et remporte une part des 69 sièges obtenus par le FDIC, contre seulement 41 sièges pour l’Istiqlal et 28 pour l’UNFP. Dans la foulée, le MP entre au gouvernement, mais le FDIC s’écroule. Le divorce entre Aherdan et El Khatib ne surviendra que plus tard, en 1965, à propos de l’état d’exception.
«Au lendemain de la proclamation de l’état d’exception, un conflit a éclaté entre Mahjoubi Aherdan, secrétaire général du MP, et des membres du comité central qui étaient opposés à l’état d’exception et qui y voyaient une régression de la démocratie. Nous avons donc procédé à la tenue d’un congrès extraordinaire pour étudier la situation, mais nous avons été surpris d’entendre une annonce d’Aherdan à la radio où ce dernier expulsait plusieurs membres du parti (…). Par la suite, l’Intérieur a tenté de nous interdire d’organiser des rassemblements du parti pour expliquer la situation. Même le journal que je dirigeais, le Maghreb Arabe, avait été saisi», écrit Abdelkrim El Khatib dans ses mémoires. La même année, alors président du Parlement, M. El Khatib sera à son tour expulsé du MP et créera, en 1969, le MPDC. Mahjoub Aherdan, lui, continuera de siéger au sein du parti et de faire, par intermittence, partie du gouvernement jusqu’en 1985, où il cessera de faire partie de l’exécutif. Une année plus tard, il sera éjecté de la direction du parti, et remplacé par Mohand Laenser. Ce n’est qu’en 1991, à l’issue de ce qu’il considérera comme le véritable congrès du MP, que M. Aherdan créera le Mouvement national populaire (MNP). 

Six scissions depuis 1969
MP, MPDC, MNP… La vague des scissions ne s’arrête pas pour autant. En 1996, Mahmoud Archane quitte les rangs du MNP pour créer le Mouvement démocratique et social (MDS). Son parti remportera dès l’année suivante, 32 sièges, avant de décliner brutalement. Plus tard, Bouazza Ikken fondera l’Union démocratique (UD), puis Chakir Achehbar le Parti du renouveau et de l’équité (PRE) en 2001 et Najib El Ouazzani crée Al Ahd en 2002. En 2003, la Haraka reste certes vivace, mais souffre de ses divisions. Le sursaut viendra par la suite. «En fait, nous avons entamé notre fusion non pas en 2006, mais en 2004», explique Mohand Laenser, aujourd’hui secrétaire général du nouveau MP. «M. Aherdan voulait qu’on la fasse immédiatement. J’étais un peu réticent car je me disais qu’il fallait d’abord s’assurer qu’elle allait réussir. Puis, Bouazza Ikken nous a rejoints. Je pressentais que la chose allait être extrêmement difficile à gérer», explique M. Laenser. Deux ans plus tard, en mars 2006, la fusion du MP, du MNP et de l’UD est consacrée par un congrès.
Les blessures du passé sont-elles désormais refermées chez les harakis ? Interrogé sur les divisions passées de son parti, Mahjoubi Aherdan impute la faute à l’administration : «Il n’y a jamais eu de problème avec M. Laenser». «On nous a séparés de force. Moi, j’ai cherché la fusion, ne serait-ce que sur le plan de l’Histoire». Reste à gérer les sensibilités des militants. Pour y arriver, l’Amghar, désormais âgé de 88 ans, dispose d’un conseil de la présidence qu’il définit comme «un noyau de sages, qui participent à l’action», mais aussi une structure qui «me permet de m’éloigner tout en restant dedans». Le fait que la structure ait déjà commencé à agir alors que son existence ne pourra être validée que par le prochain congrès ne semble pas trop déranger.

Du «socialisme islamique» au libéralisme modéré
Cinquante ans après sa création, le Mouvement populaire s’apprête à fêter l’événement. A quelques mois des élections, c’est l’occasion rêvée de se faire un brin de publicité liée à son histoire. «Nous allons essayer de recueillir des témoignages au cours de rassemblements régionaux et nationaux», se réjouit Mohand Laenser. «On nous colle l’étiquette de parti de l’administration, mais on oublie que des gens ont été jetés en prison, au seul motif qu’ils appartenaient au Mouvement populaire», indique-t-il. Sur un autre plan, la fusion semble avoir donné un coup de jeune aux organisations parallèles des harakis : dès 2006, le MP se dotait d’une organisation féminine. En décembre, c’est une nouvelle Jeunesse harakie qui prend le relais des Chabiba du MP, de l’UC et de l’UD, laissées à l’abandon depuis des années. Sur le terrain, le MP est aujourd’hui bien installé dans le Nord, l’Oriental, le Moyen Atlas, ainsi que des villes comme Rabat, Casablanca ou Marrakech. Au niveau des communes, depuis la fusion, il dispose théoriquement de plus de 5000 élus. De source interne, on affirme également que le MP préside plus de 300 communes, dont de grandes villes comme Rabat ou Salé. Enfin, côté Parlement, le MP a subi des pertes prévisibles, du fait de la fusion, et de l’apparition du Parti authenticité et modernité (PAM) sur la scène politique. Les effectifs harakis restent toutefois solides. Pour un ancien parti de l’administration, le MP a su sortir son épingle du jeu, y compris en adaptant son discours.
«Le mouvement populaire a été créé sur trois principes : le socialisme islamique, l’unification de l’Afrique du Nord, quant au troisième principe, c’était d’asseoir les fondements d’une monarchie constitutionnelle», note Abdelkrim Khatib dans ses mémoires. Aujourd’hui, le «socialisme islamique» des harakis, qui n’a rien à voir avec celui de la gauche, a laissé placé au libéralisme soft d’une formation de centre droit.
Par ailleurs, alors qu’il était à l’origine associé au monde rural, par opposition à l’Istiqlal et à l’UNFP, des partis urbains par excellence, le MP  a su se faire une place dans les villes. Bien plus, il s’y est adapté : aux dernières législatives, il aura même recours aux services d’une agence de communication  pour ses campagnes en milieu urbain, tout en gardant ses méthodes traditionnelles dans le milieu rural.
Enfin, par définition associé à la culture amazighe, le MP a eu la chance de la voir érigée en priorité nationale. «Je pense qu’à l’époque, la cause amazighe n’intéressait pas en tant que telle, car l’Istiqlal l’avait associée au colonialisme et à la siba, et que la majeure partie du pays vivait en vase clos, dans des régions où l’identité amazighe n’était pas concurrencée. En revanche, à Rabat et dans les grandes villes, l’arabo-islamisme constituait l’âme du discours nationaliste», explique l’historien Pierre Vermeren, qui souligne toutefois que «le parti haraki aura beaucoup de travail à faire pour bénéficier réellement de ces acquis, d’autant plus qu’entre temps, des causes comme celle de l’amazighité ont été reprises par l’ensemble de la politique marocaine, et que la campagne n’est plus l’apanage du seul Mouvement populaire».

Une restructuration encore hésitante
Autre difficulté à laquelle doit faire face le parti : la cohésion. Un peu moins de trois ans après la fusion, l’opération de restructuration n’est toujours pas achevée : le recensement des militants par la distribution de cartes à travers le pays n’a touché que 50% des provinces où, selon des chiffres temporaires, 80 000 cartes auraient été distribuées. A l’origine de ces retards, explique Mohand Laenser, la fréquence des rendez-vous électoraux, qui a relégué la restructuration du parti au second plan. Sur un autre plan, la fusion a eu beau permettre au parti d’élargir sa couverture territoriale en additionnant les anciens bureaux des ex-formations, le MP souffre quand même de retards, du fait que les sections locales sont considérées comme des associations à part entière, avec les lourdeurs administratives que cela implique. Enfin, alors que le passage du MP à l’opposition aurait pu lui permettre de renforcer son image vis-à-vis des électeurs, le parti n’en n’a pas vraiment profité pour sortir du lot au niveau de l’hémicycle. Bien plus, certaines voix en son sein s’inquiètent même que, au lendemain de sa fusion, mais surtout à la veille des élections, le parti ignore l’état exact de ses effectifs dans les communes. Ces dernières appellent même à la tenue d’un congrès extraordinaire en mars prochain, pour renouveler ses structures, mais aussi et surtout voir combien de conseillers communaux sont toujours avec le MP.
Si les voix favorables à un congrès avant les élections communales de juin prochain semblent relativement isolées, le parti devra quand même le réunir au plus tard le 24 mars 2010, conformément à ses statuts. D’ici cette date, le parti aura-t-il réussi à achever sa fusion ? Procédera-t-il à un véritable renouvellement de ses instances, ou se contentera-t-il d’organiser un simple congrès de confirmation de la direction, quitte à organiser un congrès extraordinaire en 2012, l’année des prochaines élections législatives ? Enfin, saura-t-il revoir ses alliances au sein de la scène politique, de manière à pouvoir revenir sur le devant de la scène ? Sur ce plan-là, M. Vermeren laisse entendre que l’avenir  du MP pourrait bien être en partie lié à celui du PAM. Toujours selon lui, la concurrence au détriment du MP ayant été peu vigoureuse, et les deux partis n’occuppant pas le même créneau, le parti peut profiter du départ de certains élus pour «présenter des candidats plus jeunes, moins notabilisés, et plus en prise avec les questions qui taraudent la population des régions où il est implanté».  Tout dépendra en fait de l’avenir du PAM, de sa capacité à s’associer à la mouvance culturelle amazighe, mais aussi de son leadership.