Pouvoirs
Moudawana : inquiétudes des associations sur la réforme
Les organisations féminines ont adressé un mémorandum au Souverain pour exprimer leurs inquiétudes quant à la tournure conservatrice prise par la réforme de la Moudawana.
Le manque de communication de la part des membres de la Commission de réforme donne lieu à toutes les spéculations.
Aucune date n’est encore fixée pour la remise de la copie.
«Nous n’avons encore fixé aucune date précise pour présenter nos propositions de réforme de la Moudawana à S. M. le Roi. Tout ce que je peux vous dire c’est que nous terminerons notre travail dans les prochaines semaines. La commission avance pour trouver des formules conciliant le respect de la religion et les impératifs du monde moderne». C’est, en substance tout ce que La Vie éco a pu arracher à M’hamed Boucetta, président actuel de la Commission consultative royale chargée de la réforme de la Moudawana.
Or, cinq mois après sa nomination (22 janvier 2003), non seulement aucune date n’est avancée pour la présentation au Souverain du nouveau code de la famille tant attendu mais, de plus, à part quelques sorties médiatiques, force est de constater que le nouveau président n’est pas plus généreux en informations que son prédécesseur sur l’avancement des travaux de la commission.
La formule employée par M’hamed Boucetta est vague et laisse la porte ouverte à toutes les conjectures. A l’inquiétude, même, chez certains. Celle-ci est le sentiment dominant au sein du Printemps de l’égalité, collectif d’une dizaine d’associations féminines constitué en mars 2001. Pour sa présidente, Leïla Rhioui : «Il s’agit de mener un travail de plaidoyer et de lobbying pour une révision globale de la Moudawana et non pour une simple réformette. Une révision qui instaure l’égalité entre l’homme et la femme aussi bien en droits qu’en obligations».
La répudiation, axe focal des revendications
Outre l’égalité, le collectif avait demandé, dans un premier mémorandum envoyé à la Commission consultative, du temps où elle était présidée par Driss Dahhak, que la révision porte sur un principe fondamental de la Moudawana, «l’obéissance de l’épouse en contrepartie de son entretien par l’époux». Principe archaïque qui confine, à vrai dire, la femme dans un statut de mineur à vie.
En tête des mesures préconisées par le mémorandum figurent également le relèvement de l’âge du mariage de la femme à 18 ans, l’abolition de la tutelle matrimoniale et de la polygamie et l’instauration du divorce judiciaire comme moyen de dissolution du mariage en lieu et place de la répudiation, acte éminemment unilatéral et privilège exclusif du mari.
«Une mesure qui serait décisive», soulignent les organisations féminines habituées à recueillir de nombreuses plaintes. Car pour elles, la répudiation est mère de tous les drames : «la violence, la marginalisation de la femme, avec leur cortège d’enfants meurtris par les séparations brutales ou carrément jetés sans protection dans la rue». En somme, le mémorandum avait repris dans ses grandes lignes les quinze mesures du défunt Plan national d’intégration de la femme au développement.
Le collectif est revenu récemment à la charge en adressant, au début du mois de juin courant, cette fois-ci au Roi Mohammed VI, un nouveau mémorandum pour exprimer sa «profonde inquiétude quant à la tournure prise par le texte en gestation de la nouvelle Moudawana». Comment expliquer cette inquiétude alors que les membres du collectif se plaignent eux-mêmes de la rareté des informations ?
Leïla Rhioui estime que «la commission travaille à huis clos et sans volonté aucune de communication. Notre inquiétude est fondée en fait sur les échos qui nous parviennent, faisant état d’une farouche résistance de la frange conservatrice de la commission qui campe sur ses positions et reste hostile à des mesures comme la suppression de la tutelle matrimoniale, de la répudiation ou de la polygamie. Cela dit, les quelques interventions médiatiques de M. Boucetta étaient toutes centrées sur des questions de procédure, alors que la réforme que nous attendons doit s’attaquer aux questions de fond».
Réforme ou réformette
La présentation dudit mémorandum au Roi a coïncidé avec d’autres actions : publication le 13 juin d’un guide reprenant les revendications précitées par le Collectif 95 Maghreb-égalité ; organisation la même semaine d’un colloque sur le même sujet par l’association Jossour et, enfin, tenue, le vendredi 27 juin, d’une conférence de presse par le collectif du Printemps de l’égalité, à l’hôtel Farah à Casablanca.
Il n’en fallait pas plus pour que le quotidien islamiste Attajdid se fende, dans son édition du 16 juin, d’un article accusant «ces courants éradicateurs d’exploiter les attentats terroristes du 16 mai pour exercer des pressions sur la commission royale afin de l’acculer à des concessions de nature à menacer la solidité de la société marocaine bâtie sur les valeurs de l’islam».
«Ce sont des allégations fallacieuses», rétorque Leïla Rhioui, avant d’ajouter : «le mémorandum envoyé au Roi ne date pas du 16 mai. Il a été adopté plusieurs semaines avant cette date par le Printemps de l’égalité. Il intervient comme un simple maillon de notre stratégie de travail, fondée sur le plaidoyer, la communication et le lobbying vis-à-vis de ceux qui détiennent le dossier. Nous avions retardé sa présentation à cause de certains événements comme la guerre contre l’Irak et la naissance du Prince héritier».
Cette polémique rappelle la bataille rangée entre les modernistes et les conservateurs islamistes toutes tendances confondues autour du Plan national d’intégration de la femme au développement en 1999. La polémique, rappelons-le, avait atteint son point culminant le 12 mars 2000, lorsque les deux camps avaient, chacun de son côté, organisé à Rabat et à Casablanca deux gigantesques manifestations pour et contre une révision de la Moudawana telle que présentée par le Plan.
Une chose est sûre. La naissance de la nouvelle Moudawana se fait désirer et l’inquiétude est de plus en plus de mise dans les rangs des modernistes et des démocrates qui redoutent que la montagne n’accouche finalement d’une souris et qu’au lieu d’une refonte de la Moudawana, nous ayons droit à une réformette.