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Diplomatie

Mohammed Loulichki : «Sahara marocain : l’attitude de la France est de plus en plus incompréhensible»

La reconnaissance d’Israël de la souveraineté marocaine sur ses provinces du Sud s’inscrit dans le cheminement naturel du renforcement des relations triangulaires Washington-Rabat-Tel Aviv. Quels seront les implications et les enjeux d’une telle reconnaissance qui isole plus que jamais l’Algérie sur la scène internationale ?

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Mohammed Loulichki est Senior Fellow au think tank Policy Center for the New South (PCNS). Professeur affilié à l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), il a été Ambassadeur du Maroc aux Nations Unies.

Israël a finalement reconnu la marocanité du Sahara. Une reconnaissance historique, mais pas si surprenante ?
Je pense qu’elle était attendue au vu de l’évolution rapide et qualitative des relations entre le Maroc et Israël. Les deux pays sont mus par une volonté réelle d’aller de l’avant dans leurs rapports et de construire une relation solide qui tient compte de leurs intérêts et attentes mutuels. Cette dynamique s’appuie sur un socle affectif entre les deux sociétés, qui en fait son originalité et sa singularité et lui assure les conditions de continuité et d’immunité, au-delà des contingences et des changements de gouvernements. Le gouvernement israélien connaît très bien la centralité de la question du Sahara pour le Maroc, son Souverain et son peuple. Comme il connaît la conditionnalité établie par Sa Majesté entre le renforcement des relations bilatérales du Maroc avec les autres pays et l’appui à la souveraineté du Maroc sur son Sahara. De ce fait, les responsables savaient parfaitement que la dynamique de coopération, quels que soient son élan et son intensité, gardera un goût d’inachevé tant que cette reconnaissance de caractère territorial n’aura pas été actée. Elle rejoint, par ailleurs, dans sa finalité et son esprit, la Déclaration tripartite signée le 22 décembre 2020 entre les États-Unis, Israël et le Maroc, en vertu de laquelle les trois pays se sont engagés à renforcer leur coopération économique dynamique et innovante dans tous les domaines. Elle vient s’ajouter à la reconnaissance américaine, à celle des pays frères du Golfe et aux autres pays appartenant à différents continents qui ont soit appuyé l’initiative d’autonomie comme cadre exclusif ou prééminent de solution, soit traduit cette reconnaissance par l’acte d’ouverture d’un consulat dans les provinces du Sud.

Dans sa lettre adressée au Souverain, Benyamin Netanyahu a indiqué que cette position sera reflétée dans tous les actes et les documents du gouvernement israélien et sera transmise aux Nations unies. Qu’est-ce que cela implique-t-il concrètement ?
La concrétisation de la reconnaissance de la marocanité du Sahara dans tous les actes et les documents pertinents du gouvernement israélien, l’annonce de l’ouverture d’un consulat à Dakhla et la distribution de l’acte de reconnaissance auprès des organisations internationales et régionales ne manqueront pas de faire réfléchir les pays qui tardent encore à sauter le pas et d’embarrasser davantage ceux qui hésitent à reconnaître les évidences de ce différend artificiel. Cette distribution sera ainsi faite systématiquement par le secrétariat des Nations unies à chaque fois que la question du Sahara sera abordée par le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale, la Quatrième commission ou le Comité de décolonisation. Ces nouveaux développements seront dûment reflétés par le secrétaire général des Nations unies dans son prochain Rapport au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale lors de leurs prochaines délibérations. La dissémination de l’acte de reconnaissance interpellera la plupart des membres des Nations unies sur le bien-fondé de l’approche de solution préconisée par le Maroc pour mettre fin à la tension entretenue obstinément par l’Algérie dans la région. Enfin, la distribution par le gouvernement israélien de cet acte de reconnaissance auprès des membres de l’Union africaine, à travers l’ambassade de ce pays à Addis-Abeba, contribuera à relancer les interrogations parmi les États africains sur la présence illégitime et anachronique parmi l’Organisation panafricaine d’une entité dépourvue des attributs d’un État souverain et non reconnue internationalement.

Quel sera son impact sur les relations entre les deux pays ?
Au moment où le Maroc s’apprête à relancer son économie après la crise du Covid-19 et les conséquences de la guerre en Ukraine, cette coopération ne peut être que bénéfique pour renforcer la résilience de l’économie marocaine et contribuer au succès des politiques publiques particulièrement dans les domaines de la santé, l’agriculture, l’emploi, la gestion de l’eau, les énergies renouvelables et l’investissement, y compris au Sahara marocain. Par ailleurs, la coopération en matière de défense et d’armement revêt une importance toute particulière, surtout au vu du contexte difficile qui prévaut dans la région. Elle permet au Maroc de se procurer ou de se doter des moyens de dissuasion nécessaires pour se défendre contre toute menace extérieure et de protéger son territoire et sa population en toutes circonstances et contre tous les dangers.

Une reconnaissance qui ne fait pourtant pas fléchir la position du Maroc en faveur de la cause palestinienne…
Le Maroc reçoit la reconnaissance israélienne non seulement comme un facteur de développement et d’approfondissement de la coopération bilatérale entre les deux pays, mais aussi comme une incitation à œuvrer pour la paix dans la région du Moyen-Orient. En effet, tout en exprimant son appréciation pour cette reconnaissance, Sa Majesté a tenu à rappeler dans le message de réponse au Premier ministre israélien l’attachement du Maroc à la paix dans la région, symbolisée par la Présidence royale du Comité Al Qods et la constance de son engagement en faveur de la solution à deux États, palestinien et israélien, vivant côte à côte, en paix, avec Jérusalem-Est comme capitale palestinienne et ce conformément à la légalité internationale.

De plus en plus de grandes puissances se rangent du côté du Maroc dans le conflit autour du Sahara marocain. L’Algérie est-elle plus que jamais isolée sur la scène internationale ?
En effet, ces dernières années, plusieurs pays et non des moindres ont déclaré officiellement et publiquement leur appui à la souveraineté du Maroc sur ses provinces du Sud et à l’initiative marocaine d’autonomie comme le cadre le plus approprié, le plus réaliste et le plus prometteur pour mettre fin au différend régional autour du Sahara marocain. Tous les pays qui comptent sur la scène internationale se sont prononcés, à des nuances près, en faveur de la proposition d’autonomie marocaine pour trois raisons principales : sa conformité avec les standards internationaux en matière d’autonomie, la dimension des droits de l’Homme comme élément central et la consultation des populations du Sahara sur l’autonomie négociée comme expression de leur droit à l’autodétermination.
Aujourd’hui, nous nous trouvons dans une dynamique positive favorable au Maroc. Quant à l’Algérie, elle s’est mise hors de la légalité internationale parce qu’elle rejette même les tables rondes comme prémices à une reprise des pourparlers entre les parties sans distinction. L’Algérie et avec elle le polisario continuent à s’accrocher à la logique de la Guerre froide qui leur permet d’exister et se trouvent aux bancs des accusés. Or, ce pays est appelé à siéger au Conseil de sécurité de l’ONU à partir du 1er janvier 2024. Il sera de ce fait mis devant ses responsabilités régionale et internationale. Le monde aura l’occasion de juger si le comportement de ce pays durant les deux années à venir sera à la hauteur des exigences d’un membre du Conseil, appelé à agir au nom de l’ensemble des membres de l’ONU et particulièrement dans l’intérêt de la sécurité et la stabilité de l’Afrique, ou s’il s’évertuera à contrarier la volonté de la Communauté internationale à mettre fin à ce différend.

Un différend qui n’a que trop duré face à un dialogue des sourds du côté du voisin de l’Est…
C’est vrai que ce différend dure depuis presque un demi-siècle et la première chose qui vient à l’esprit ce sont ses conséquences humaines pénibles et intolérables pour les populations des camps de Tindouf qui vivent dans des conditions de privation et de séparation de leurs familles restées au Sahara marocain. Le Maroc appelle de ses vœux la réussite des efforts de l’ONU pour régler définitivement ce différend dans le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du Royaume. Il fait tout pour aider l’Organisation à avancer dans la mise en œuvre de la solution politique préconisée par le Conseil de sécurité. A contrario, c’est l’Algérie qui entrave ces efforts et condamne le processus au statu quo. C’est l’Algérie qui dépense des milliards de dollars pour appuyer le séparatisme, lui fournit les armes et le finance pour entretenir l’instabilité dans la sous-région du Maghreb.
C’est elle qui a consacré un budget mirobolant de 23 milliards de dollars en 2023 pour se procurer des armements sophistiqués, qui dépassent de loin ses besoins réels de défense nationale. Enfin, c’est l’Algérie qui s’obstine à faire régresser les efforts onusiens en continuant à s’accrocher au référendum, auquel l’ONU a complètement renoncé depuis bientôt un quart de siècle et qui ne trouve plus droit de cité dans les résolutions du Conseil de sécurité depuis 2001.

Ces 10 dernières années, l’Algérie a dépensé 103 milliards de dollars en armement. Est-ce la priorité pour le peuple algérien ?
Les besoins et les aspirations du peuple frère algérien sont communs à tous les peuples du continent africain. IIs ont pour nom la santé, l’éducation, l’emploi, le logement et la stabilité. Ils sont aussi ceux d’une vie paisible dans la liberté et la dignité, dans un voisinage apaisé qui permet aux deux peuples de renouer avec leur histoire commune et libérer leurs énergies pour construire un Maghreb uni et solidaire. Pour ce qui le concerne, le Maroc continuera sa politique de la main tendue réitérée dans le discours du Trône.

La diplomatie marocaine, devenue plus agissante collectionne les victoires géopolitiques ces dernières années…
La vision royale pragmatique clairement exprimée et fidèlement mise en œuvre en matière de politique étrangère a permis au Maroc de naviguer aisément entre les contraintes, les défis et les crises de tout genre qui secouent le monde. L’adhésion des Marocains à la vision royale renforce et consolide sa légitimité. Les bouleversements que connaît le monde et les incertitudes qui entourent l’évolution future du contexte international ont amené le Maroc à adapter ses méthodes d’action, ses stratégies et ses instruments aux nouvelles réalités internationales. Le recul du multilatéralisme, la priorisation des intérêts nationaux et la reconfiguration des alliances ont incité le Maroc à accompagner ces transformations, en diversifiant ses partenaires sans pour autant affaiblir ses partenariats stratégiques traditionnels. La gestion par le Maroc de la crise sanitaire du Covid-19 a démontré la pertinence des choix qui ont été faits pour assurer l’approvisionnement national en vaccins pour mettre le peuple marocain à l’abri du besoin, grâce au Fonds spécial créé sur hautes instructions royales. De même, la position équilibrée et fondée sur les principes de la Charte des Nations unies que le Maroc a adoptée concernant la guerre en Ukraine lui a valu la compréhension des parties et le respect des autres États.

Est-il temps pour que la France revoit sa position ambiguë sur ce conflit ?
Avec la multiplication des déclarations d’appui de la position marocaine, la pression va devenir de plus en plus forte sur les pays hésitants comme la France et sur les pays hostiles à l’intégrité du Royaume qui restent, d’ailleurs, très minoritaires. L’attitude de la France est de plus en plus incompréhensible, car elle a une responsabilité qui remonte à la période coloniale lorsque les autorités coloniales ont amputé le Maroc de parties importantes de son territoire pour élargir celui de l’Algérie, placé alors sous le régime des Départements d’Outre-Mer.
Certes, la France a appuyé dans le passé la proposition d’autonomie comme l’ont fait les autres membres du Conseil, mais la France est l’un des premiers partenaires économique du Maroc, sa présence culturelle n’a pas d’égale à l’étranger, elle est membre des «Amis du secrétaire général des Nations unies» pour la gestion de ce dossier, elle est membre de l’Union européenne, principal partenaire économique du Maroc et avec lequel le Royaume veut construire un partenariat avancé plus ambitieux et plus engageant. Par conséquent et au vu de l’évolution du dossier à l’international avec le nombre d’appuis, particulièrement européens, à l’initiative d’autonomie, le Maroc est en droit d’attendre de la France qu’elle fasse évoluer sa position dans le sens d’un appui franc et clair en faveur de l’autonomie comme «unique solution» à ce différend.

Sur un autre registre, quelle lecture faites-vous du soft power marocain en Afrique et comment s’adapte-t-il aux nouveaux enjeux du continent ?
Les rapports du Maroc avec l’Afrique ne datent pas d’hier ou de ce siècle. Ils sont une sédimentation de plusieurs siècles. C’est ce qui fait leur pérennité et leur grand potentiel pour l’avenir. Depuis deux décennies, le Maroc n’est plus concentré uniquement dans la partie occidentale du continent, il se déploie diplomatiquement et économiquement dans les autres régions. L’exemple du groupe OCP symbolise cette ambition et cette vision qui est en train d’être concrétisée presque partout dans le continent. Le groupe est aujourd’hui un fournisseur pionnier des solutions de fertilisants adaptés aux conditions et aux besoins des sols et des cultures locales, grâce à l’optimisation de l’utilisation des nouvelles technologies et des solutions innovantes. Les expériences développées en Éthiopie, Kenya, Ghana et Tanzanie sont un exemple concret de cette solidarité africaine et de la coopération Sud-Sud prônée par le Souverain.