Pouvoirs
Mohamed Elyazghi : dix partis, c’est déjà beaucoup pour le Maroc
Il considère que le seuil de 7% de voix pour être éligible est un minimum.
En 2007, le premier ministre sera issu des rangs de la majorité. Driss
Jettou n’a pas l’intention d’intégrer la politique.
Alliance avec le PJD ? Une option écartée pour le moment.

Mohamed Elyazghi, premier secrétaire de l’USFP et ministre de l’Aménagement du territoire, de l’eau et de l’environnement, est peu disert. Il faut le pousser dans ses retranchements pour le faire sortir de ses gonds, notamment quand il s’agit de parler des législatives de 2007, de la floraison de partis ou encore du PJD. Dans ses propos, l’arrière-pensée électorale n’est pas absente, mais, il faut lire entre les lignes pour décortiquer le message, souvent reposer la même question pour qu’il livre son sentiment. Calcul politique ? Lassitude ? Pas suffisamment en tout cas pour refuser de se voir comme futur premier ministre. Entretien.
La Vie éco : En septembre 2002, au moment de la formation du gouvernement actuel, l’USFP avait beaucoup critiqué le fait que le premier ministre n’était pas issu des rangs d’une formation politique. Quatre ans après, qu’en est-il ?
Mohamed Elyazghi : La méthodologie démocratique veut que le premier ministre soit choisi parmi les partis de la majorité. Sa Majesté a annoncé sa volonté, à l’issue des élections de septembre 2007, de nommer un premier ministre appartenant à un parti de la majorité, donc le problème ne se pose plus. Toutefois je peux dire qu’avec le gouvernement Jettou, nous avons fait du bon travail.
Elyazghi premier ministre en 2007 ?
Tout dépendra de l’électeur marocain. Si ce dernier donne ses suffrages à la majorité actuelle, dont l’USFP est partie prenante, il appartiendra à ce moment-là à Sa Majesté de désigner le premier ministre.
Le nom de M. Jettou circule à propos du prochain gouvernement. Quelle serait votre position s’il se représentait sous une couleur politique quelconque ?
Je ne crois pas que ce soit l’intention de M. Jettou. Ce qu’il souhaite, c’est partir une fois terminée sa mission.
Quid du mémorandum que prépare la Koutla sur la réforme de la Constitution. Sa parution était annoncée comme imminente, il y a quelques semaines, puis, silence radio.
Nous avons décidé de préparer un mémorandum que nous présenterons à Sa Majesté. C’est un travail en cours, mais je ne me souviens pas qu’on l’ait annoncé pour les semaines suivantes. Nous avions annoncé que nous allions préparer un mémorandum commun, mais nous n’avions pas spécifié la date. Nous avons donné la priorité aux mémoires concernant l’autonomie du Sahara, nous avons travaillé ensemble sur la réforme de la loi électorale.
Des mémorandums conjoints sur le Sahara, la réforme de la Constitution, est-ce à cela que se réduit le travail de la Koutla aujourd’hui ?
Le travail ne se limite pas à cela, nous nous rencontrons très souvent, nous débattons ensemble dans des commissions spécialisées, le secrétariat suit toutes les affaires mais, évidemment, c’est un travail tout à fait régulier qui n’a pas besoin d’annonces spéciales.
Parlons de la loi électorale. La majorité demande un seuil de 7% de voix au niveau local, beaucoup d’autres partis se disent exclus d’office…
Vous estimez que 7% est un seuil qui exclut ? C’est-à-dire que si quelqu’un n’arrive même pas à 7% de représentativité, nous devons lui assurer une présence au Parlement? Aucun député actuellement élu ne l’a été avec moins de 7%, aucun !
Pourquoi un seuil de 7% alors que la loi sur les partis ne prévoit que 5% pour prétendre au financement de l’Etat ?
Nous en avons débattu : cela permettrait d’aider un parti même s’il n’est pas représenté au Parlement.
Par ce seuil de 7%, essayez-vous de ramasser la scène politique à l’instar de ce qui s’est passé en Turquie ?
Pas forcément.
Alors, il faudra chercher l’explication ailleurs. Peut-être trop de partis…
Vous savez, nous étions 28 partis à nous présenter en 2002, nous sommes 22 partis au Parlement actuel. Pensez-vous qu’il puisse y avoir trente projets de société pour le Maroc ? Quel est le nombre optimal de partis à vos yeux ?
Ce n’est pas une question de nombre. Nous sommes pour le pluralisme, mais je pense que l’on ne peut pas imaginer trente projets de société différents. On peut imaginer différentes options, comme nous représentons l’option social-démocrate, d’autres une option libérale, d’autres encore une option conservatrice. On ne peut pas imaginer plus de dix partis, et dix projets de société c’est déjà beaucoup. Soit les gens ne présentent pas de projets de société, soit vous trouvez plusieurs formations politiques qui ont le même projet…
Donc, selon vous, près de 70% des partis existants doivent être écartés.
Lorsque l’Espagne a démarré sa transition démocratique, en 1978, il s’est créé 104 partis et personne ne trouve à redire aujourd’hui au fait que le regroupement se soit fait autour de trois pôles : la droite, la gauche et l’extrême gauche. Personne ne pense que l’Espagne a régressé en réduisant le nombre de partis. Cela n’empêche pas que des partis y existent, qui mènent des actions, mais ne sont pas représentés au Parlement. En Espagne, il existe une structure qui fait qu’ils ont des partis nationaux et des sections qui sont des partis régionaux.
Et vous voulez vous inspirer de cet exemple pour mettre en place un pôle de gauche ?
Nous sommes déjà un des pôles de gauche, et, ce que nous souhaitons, c’est précisément qu’il y ait un regroupement de la famille socialiste. C’est l’appel que nous avons lancé lors de notre congrès. A cet appel ont répondu nos camarades de l’ancien Parti social-démocrate (PSD). Ils ont dissous le parti et se sont intégrés à l’USFP. Mais, comme nous l’avons dit, nous n’excluons aucune autre formule de coopération. Par exemple, si les gens ne trouvent pas les 20% d’élus qui doivent signer le papier de candidature, nous sommes prêts, dans le cadre de la famille socialiste, à précisément permettre de respecter ces exigences, qui existaient déjà en 2002 mais qu’on oublie. En 2002, pour les sans-parti, il était nécessaire d’avoir un programme et le soutien de 100 électeurs dans la circonscription, et d’être validé par 20% d’élus dans la région, et trois listes qui ont respecté cette exigence ont été présentées.
Et qui soutiendriez-vous ?
Tout dépend de la volonté des autres.
Parlons gros partis, une alliance avec le PJD est-elle possible ?
Nous ne nous posons pas la question car nous sommes dans une coalition, et nous sommes très bien dans la majorité actuelle. Le PJD, il est vrai, au début du gouvernement d’alternance, pendant deux ans, avait soutenu le gouvernement de M. Abderrahmane El Youssoufi, mais, par la suite, il a décidé d’intégrer l’opposition, et maintenant il est contre tous les programmes que nous défendons et que nous réalisons. Absolument contre, alors je ne vois pas sur quelles bases nous allons pouvoir agir ensemble puisqu’ils sont contre tout ce que nous faisons.
Mais si demain, en 2007, vous êtes dans la majorité, et si cette dernière inclut le PJD, seriez-vous prêts à travailler avec ou passeriez-vous à l’opposition ?
Si la majorité actuelle est reconduite par les électeurs, je ne vois pas pourquoi le PJD irait à la majorité. Si la majorité actuelle a le suffrage des Marocains, je ne vois pas pourquoi elle s’élargirait à d’autres.
Mais si un élément de la majorité se retire, laissant place au PJD…
Pourquoi voulez-vous qu’un parti qui présente un bilan qui donne satisfaction aux gens et qui est réélu se décide comme ça à aller dans l’opposition ?
L’USFP et le PJD ont beau se trouver chacun à un bout du spectre politique, il vous est déjà arrivé de collaborer…
Dans le Parlement, il y a des choses que le PJD vote, et des choses qu’il refuse, et ça, c’est l’action démocratique. Nous ne sommes pas en guerre, c’est un parti de l’opposition et il y a un débat avec lui au Parlement, aussi bien au niveau des lois que des questions orales, des questions écrites, c’est le travail de chacun. Je dis que la question ne se pose pas pour nous, si elle se pose au PJD, eh bien qu’il fasse le pas. Nous, nous sommes dans une majorité, et nous ne voyons pas pourquoi la changer. Et je constate que le PJD s’oppose à cette majorité, et à tout ce qu’elle fait.
Il y a un mois, une dizaine de partis de centre et de droite ainsi que le PJD ont exprimé leur volonté de coopérer pour protester contre la loi électorale telle qu’elle est actuellement soutenue par la majorité.
Je crois que c’est leur droit absolu de protester contre ce qu’ils estiment comme n’allant pas dans leur intérêt. Cependant, nous avons aussi le droit de dire que la majorité actuelle souhaite aller vers des élections qui verront un changement qualitatif dans la carte politique et que le Maroc a intérêt précisément à aller vers la mise en place de pôles et à ne pas consolider ni élargir la mosaïque politique, parce que, évidemment, cela ne permet pas au pays de se mobiliser ni d’avoir des institutions stables. Il reste dans leur droit de protester, de prendre des positions qu’ils souhaitent les meilleures concernant leur statut et leur conception des élections.
Quelques jours plus tôt, c’étaient les «petits» partis de gauche qui se réunissaient pour les mêmes motifs. Autrement dit, la gauche est en train de s’unir non pas comme vous le vouliez, derrière, mais contre l’USFP…
Nous sommes surpris qu’on veuille nous faire porter le chapeau concernant le mode de scrutin, car les décisions sont des décisions de la majorité qui ont demandé plusieurs semaines de discussion. C’est vrai que nous sommes partis de positions très divergentes avec le MP, le RNI, mais quand nous sommes arrivés à un accord, c’était celui de l’ensemble des cinq partis au gouvernement, et le gouvernement a entériné les textes élaborés par cette coalition. Donc, nous sommes tous responsables et, normalement, nous devrons défendre demain au Parlement ce que nous avons décidé ensemble. C’est la logique démocratique. Les autres partis, dont ceux de la gauche, sont présents au Parlement, à eux de débattre du dossier et présenter leur argumentaire.
Comment expliquez-vous dans ce cas le silence des autres partis de la majorité ? Y avait-il un accord pour que l’USFP soit en première ligne ?
Pas du tout. C’est le premier ministre qui défendra le projet, c’est le ministre de l’Intérieur qui présentera le projet une fois passée l’étape du Conseil des ministres.
L’USFP semble parti pour payer tout cela très cher en termes de popularité…
Pourquoi ? Vous pensez que l’électeur pensera à s’opposer à ce qu’il y ait un assainissement dans la vie politique, à ce qu’il y ait plus de morale? Il ne faut pas oublier que le problème du seuil est que, bien entendu, il va également mettre des bâtons dans les roues à ceux qui vendent les candidatures.
Lorsque l’USFP était dans l’opposition, elle a milité sans relâche pour la mise en place d’un organisme d’observation des élections. Au PJD, on lui reproche d’avoir mis cette requête sous l’éteignoir depuis son arrivée au pouvoir.
Le biais est trop simpliste. L’USFP est arrivé au pouvoir en accord avec le Roi
Hassan II, et nous sommes dans une phase nouvelle. Lorsqu’il y a eu les élections de 2002, ces dernières se sont déroulées dans la transparence, et le ministère de l’Intérieur n’y est pas intervenu. Le Maroc a évolué vers une situation normale, il n’y a donc plus de raison ni d’avoir une commission, ni d’avoir une procédure où l’unanimité est exigée. Nous pensons que, désormais, le cadre du débat, c’est le Parlement, et bien entendu, M. El Othmani peut s’opposer à ces lois au Parlement.
Selon lui, ce genre d’institution existe un peu partout dans le monde…
Pas du tout, cela n’existe que dans les pays où il y a eu une transition. Chez nous, auparavant, le ministère de l’Intérieur se substituait quelquefois aux votants, et cela exigeait des commissions où nous étions partie prenante, et c’est ce qui a été fait. Toutefois, en 2002 déjà, il n’y avait plus de commission parce qu’elle n’avait déjà plus de raison d’être : une nouvelle loi électorale, une nouvelle disposition de l’Etat et bien entendu la volonté de l’ensemble de l’Etat pour que les élections soient transparentes, libres. S’il y a eu fraude, c’est à cause des personnes, des candidats, parce qu’ils utilisaient de l’argent, mais pour cela, les tribunaux peuvent décider d’annuler telle ou telle élection.
Pourquoi finalement les MRE ne pourront-ils pas voter ?
D’abord, Sa Majesté avait annoncé deux choses dans son discours : la création d’un Conseil supérieur des MRE, qui dépend uniquement du Maroc. A ce niveau, l’Etat prépare le dahir. Le Roi avait annoncé également son désir de voir les MRE participer à l’élection de la Chambre des représentants, donc c’est un début. Pour ce qui est de la deuxième décision, qui ne dépend que du Maroc, on a commencé par un premier pas très important, et dont les gens oublient de parler, c’est que la deuxième et la troisième générations de Marocains à l’étranger ont le droit maintenant de s’inscrire sur les listes électorales internes. Parmi les MRE qui sont nés au Maroc beaucoup, sinon la majorité, sont déjà inscrits sur les listes électorales. Pour la deuxième et la troisième générations de MRE, c’est-à-dire ceux qui sont nés à l’étranger et ont la nationalité de leur pays d’accueil, ceux-là vont avoir le droit de s’inscrire.
Mais il ne s’agit pas de leur donner uniquement le droit de s’inscrire…
Quand vous avez le droit de vous inscrire, vous avez également le droit de vous présenter. Rien n’empêche des travailleurs marocains à l’étranger de venir et de se présenter sur les listes de l’un des partis politiques ou même de créer leur propre liste.
Et faire le voyage au Maroc juste pour voter… Pourquoi ne pas instituer des bureaux de vote via les consulats et les ambassades comme le font déjà l’Algérie, la Tunisie ?
Nous sommes toujours à la recherche de la formule idéale. Il faut d’abord savoir que certains pays, comme l’Allemagne, n’acceptent pas de voir les Marocains chez eux élire un député qui va siéger dans une capitale étrangère. Cela veut dire que 300 000 Marocains d’Allemagne, quelle que soit la décision de leur pays, ne peuvent pas participer au vote. Par ailleurs, le Maroc a déjà eu une expérience en la matière, en 1984, et on oublie qu’elle a été un fiasco total. Quand vous avez un député qui représente le continent américain, dont la circonscription va de la pointe sud de l’Argentine au Pôle Nord, comment voulez-vous, s’il n’a pas des moyens énormes, qu’il puisse rendre visite à ses électeurs ? Tout cela, ce sont des problèmes que nous sommes en train d’étudier, sinon on court le risque d’élire des députés qui n’ont aucun lien avec la communauté qui les a désignés.
N’empêche que la déception des MRE est énorme.
Je comprends la déception, mais il faut également qu’ils aident le gouvernement à réfléchir sur les conditions qui permettent une représentation valable et durable.
N’est-ce pas un coup dur pour l’USFP aussi, étant donné le nombre de ses militants à l’étranger ?
Oui, nous en avons, mais nous sommes aussi le parti qui a réclamé pendant des années un Conseil supérieur des MRE.
Des promesses ont été faites lors du VIIè congrès de l’USFP, mais des militants se sont ensuite plaints qu’elles n’aient pas été tenues. Il y a eu aussi ces problèmes en interne avec Mohamed El Gahs…
Je n’ai aucun problème avec M. El Gahs. Il est membre du bureau politique, il assume ses responsabilités au bureau politique, il est solidaire de ses camarades dans le bureau politique, il est au gouvernement dans l’équipe USFP. La presse pose parfois de faux problèmes.
C’est aussi une des étoiles montantes du parti, qui a le soutien de la jeunesse USFP, laquelle a été confrontée à plusieurs reprises à la vieille garde du parti. Peut-on parler d’une guerre des générations au sein de l’USFP ?
Ce n’est pas une guerre des générations. Les problèmes avec la jeunesse ont été réglés par le Congrès de l’espoir, et les gens de la Chabiba, qui d’ailleurs n’étaient plus des jeunes, ont constitué une formation politique qui fait partie intégrante du parti.
Autrement dit, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes à l’USFP ?
Nous avons des problèmes comme tous les partis dynamiques mais l’une des caractéristiques les plus importantes de l’USFP, c’est que nous sommes un parti qui arrive à régler ses problèmes. Pour un parti, le fait d’avoir des problèmes est un signe de vitalité. Bien entendu, il existe des mécanismes pour les régler, dans les statuts. Le plus important, et c’est une chose que l’on ne relève pas, c’est que le VIIè congrès a décidé la mise en place, en plus du quota des femmes, d’un quota de jeunes de moins de trente ans et nous sommes le seul parti dans le monde qui exige d’avoir des jeunes de moins de trente ans dans ses instances. Depuis, chaque fois qu’il y a élection d’une instance dirigeante,10% de ses nouveaux membres sont des jeunes de moins de trente ans.
Une dernière remarque ?
Ce qu’il y a d’important c’est que notre pays maintenant est sur la bonne voie pour la résolution de ses problèmes économiques et sociaux. Pour ce qui est du niveau politique, l’essentiel est qu’il faut que les jeunes agissent, l’avenir est entre leurs mains.
A condition que les anciens veuillent bien leur laisser la place. Le cas Afilal est symptomatique de cet état de fait…
Oui, si les anciens ne sont pas présentés comme un repoussoir. Si on dit à ces jeunes qu’il n’y a pas de direction démocratique, comment voulez-vous qu’ils s’intéressent [à la politique] ? Pourtant, nous sommes l’un des rares pays où le mouvement démocratique était présent dès le début de l’Indépendance, où des dirigeants démocratiques comme Mehdi Benbarka et Omar Benjelloun ont été assassinés. Les changements, aussi bien sur la scène partisane que syndicale, ne peuvent se faire que par les membres. Si un jeune reste à l’extérieur en prétextant que tel dirigeant syndical est indéboulonnable, je ne vois pas comment les choses peuvent changer. S’attend-il à ce qu’une autorité vienne, enlève les gens, et lui dise que le champ est désormais libre ? Les jeunes doivent agir pour bâtir le Maroc de demain, et pour cela, il faut qu’ils s’engagent. Il faut que les jeunes qui ont maintenant le droit de voter, qui ont 18 ans, sachent que c’est eux qui choisissent le gouvernement.
