Pouvoirs
Mode de scrutin : les exclus organisent la résistance
Les trois quarts des partis politiques actuels risquent de ne pas pouvoir participer
aux élections.
En cause,
les signatures à réunir et le seuil d’éligibilité fixé par
le projet de loi de la majorité.
On parle déjà de boycott des élections et la saisine du
Conseil constitutionnel est envisagée.

«Nous ne baisserons pas les bras. Nous continuerons à sensibiliser et à nous mobiliser pour que ce gouvernement revienne sur sa décision et comprenne qu’il a commis des erreurs impardonnables dans une démocratie moderne». Abderrahim Lahjouji, président du parti Forces citoyennes ne décolère pas ! Il n’est pas le seul. Plusieurs partis menacés par le code électoral de la majorité de ne pouvoir participer aux élections qu’en répondant à certaines conditions, ou même, par la suite, de ne pouvoir accéder à la députation en raison d’un seuil de voix élevé, sont mécontents, et ils sont bien décidés à le faire savoir. Depuis le passage du projet de loi concernant le mode de scrutin en Conseil du gouvernement, les communiqués se succèdent, les meetings aussi, dans les principales villes du pays, parfois en présence d’associations de défense des droits de l’homme. «Nous avons organisé des actions dans toutes les régions du Maroc. Avant-hier, j’étais à Agadir où nous avons organisé une rencontre. Une autre est prévue la semaine prochaine à Témara, et des activités supplémentaires sont en cours», explique Mohamed Moujahid, secrétaire général du Parti socialiste unifié. Ce parti, qui réunit son conseil national dimanche 22 juillet, projette de lancer un plan d’action. Il faut dire que le PSU se sent particulièrement visé. «Nous sommes concernés. Nous pensons que cela a justement été fait pour nous écarter», souligne M. Moujahid.
Les partis promettent d’aller au-delà des rencontres. Si l’idée de pétition a la cote chez les uns et les autres, ce n’est pas la seule. Ainsi, à gauche, le PSU projette déjà d’organiser une manifestation devant le Parlement le jour où la loi y sera discutée, mais des mesures plus radicales ne sont pas exclues. Le PSU n’est pas le seul à brandir des menaces plus poussées. «Il n’est pas impossible que nous envisagions d’appeler au boycott des élections», tonne Ali Belhaj, secrétaire général d’Alliance des Libertés. «C’est une mesure radicale, nous en avons tout à fait conscience, mais si le gouvernement actuel prend des mesures unilatérales, nous en prendrons nous-mêmes», ajoute-t-il.
Tempête dans un verre d’eau ? Le texte incriminé n’est pourtant même pas une loi puisqu’il n’est pas encore passé par le Conseil des ministres. Par ailleurs, il peut toujours faire l’objet d’une intervention du Conseil constitutionnel, prévient le politologue Mohamed Darif (voir page suivante).
Un front national pour «faire tomber le projet de loi»
En attendant, les partis menacés, récents ou anciens, coordonnent leurs actions, même si, jusque-là, ils ont préféré se regrouper en fonction de leurs tendances politiques. Ainsi, douze partis du centre et de la droite, dont l’Alliance des Libertés d’Ali Belhaj, le Parti national démocrate d’Abdallah Kadiri ou encore le Parti de la Réforme et du Développement d’Abderahmane El Kouhen, auront exprimé leur position lors d’une conférence de presse commune au siège des Forces citoyennes, à Casablanca, le 6 juillet dernier. De l’autre côté, les partis de gauche se sont regroupés avec à leur tête le PSU. Parmi eux, certains collaborent de longue date dans le cadre du Rassemblement démocratique de la gauche. Présent aux rencontres des deux groupes, Al Badil al Hadari caresse le projet de mettre en place «un grand front national pour faire tomber ce projet de loi», pour reprendre les termes de Mohamed Motassim, son secrétaire général. Espère-t-il réunir toutes les tendances contre le projet de la majorité ? Rien aujourd’hui ne laisse croire que c’est impossible. «Pour le moment, ce n’est pas prévu, mais je ne m’y opposerai pas, personnellement. Je n’ai rien contre cela», explique M. Lahjouji. Seule ligne rouge pour ce dernier : une campagne contre le PJD dont la présence à la rencontre du 6 juillet a été perçue comme un gage de loyauté, malgré les accusations de récupération politique portées contre le parti de Saâdeddine El Othmani, qui l’auront obligé à renoncer à exploiter trop visiblement le filon de la colère contre l’USFP.
100 signatures d’élus locaux par parti, mais y aura-t-il assez d’élus ?
A l’origine de toute cette mobilisation, la décision des partis de la majorité de relever les barrières à la participation de la trentaine de partis existants au Maroc en imposant à ceux qui ont obtenu moins de 3% des voix en 2002 de recueillir, pour chacun de leurs candidats, 500 signatures dont 100 d’élus. Une barrière rétroactive qui, bien plus que le seuil d’entrée au Parlement de 7% des voix, est considérée comme infranchissable par les concernés, qui constituent les trois quarts des partis marocains…
«C’est dommage car ils étaient censés jouer le jeu, maintenant, on se retrouve dans l’anti-jeu», déplore Mohamed Motassim, qui invoque le scénario palestinien où la majorité menée par le Fatah avait verrouillé le code électoral pour y réduire l’influence du Hamas, pour voir son piège se refermer sur elle à la suite du vote sanction de la population.
Si le projet de loi de la majorité venait à être voté en l’état, la participation des petits partis aux législatives de 2007 serait déterminée par le bon vouloir des grosses formations qui seraient par conséquent libres d’accorder leurs signatures aux élus de leur choix, et selon leurs propres conditions. «Si je m’adresse aux citoyens, je vais obtenir leurs signatures. Mais pour avoir 100 signatures d’élus, imaginez comment moi, qui suis membre du Parti travailliste, je vais m’adresser à un élu dont je ne partage pas les valeurs politiques pour obtenir une signature. Est-ce que je vais lui dire : s’il vous plaît, je voudrais votre signature parce que je veux me présenter avec un projet qui va concurrencer le vôtre et vous prendre votre poste ?», demande, un brin sarcastique, Abdelkrim Benatiq.
De même, beaucoup dénoncent le système prôné par les partis du gouvernement comme visant à mettre en place une ségrégation entre les partis majoritaires et les autres. «Ce qui me semble inacceptable, c’est de mettre une barrière d’entrée à la candidature. C’est-à-dire que vous avez deux catégories de partis maintenant au Maroc, ceux qui ont le droit de présenter des candidats tout à fait librement, et ceux pour lesquels on a mis une barrière», s’insurge Ali Belhaj.
L’obstacle paraît d’autant plus infranchissable que le nombre de signataires est insuffisant. «Si vous faites un calcul, contrairement à ce que disent les partisans de cette loi, si vous voyez le nombre de signatures d’élus locaux qu’il faut pour présenter des candidats dans toutes les circonscriptions à travers le Maroc, vous vous rendrez compte que c’est impossible», explique Ali Belhaj. Mohamed Moujahid va encore plus loin et attaque directement l’USFP. «M. Elyazghi a dit que son parti est prêt à fournir les signatures [ndlr : voir La Vie éco du 14 juillet]. Or, à Rabat, Tanger, Fès, Tétouan, dans toutes les grandes villes, est-ce que l’USFP a les 100 signataires nécessaires ? Par ailleurs, le problème est un problème de principe de la démocratie. La participation aux élections, comme elle est mentionnée dans la Constitution, est un droit pour tous les partis», proteste-t-il. Et d’insister : «Tout cela est fait pour nous viser, nous en particulier. Ils parlent d’unité, mais ce ne sont que des mots. Nous sommes un parti qui a ses idées, son passé, son programme, on ne peut pas écarter toutes les résistances de la continuité et de l’Indépendance. Donc, pour nous, ce que Mohamed Elyazghi a dit relève de la consommation publique. Nous ne sommes pas concernés par ce discours-là».
Les partis de la majorité ont-ils peur de la concurrence ?
Enfin, les partis visés mettent en avant leur crainte de voir se développer la vente des signatures. «Chaque région a un tarif. Et on nous demande d’aller réunir les signatures de ces gens-là !» proteste Mohamed Moujahid.
En fin de compte, le Maroc devra-t-il choisir entre un système démocratique et la rationalisation de sa scène politique, réclamée à cor et à cri ? «Exclure des partis tout simplement parce que [la majorité] a pris comme repère les élections de 2002, ce n’est pas comme ça qu’on va créer des pôles», prévient Abderrahim Lahjouji. «Les pôles, c’est un cycle de maturation qui doit se faire de manière tout à fait normale, naturelle, par des contacts, par un travail de fond et non pas par des subterfuges administratifs», poursuit-il. Pour certains, le mode de scrutin choisi n’est pas approprié pour atteindre un tel objectif.
«Les pôles, ce sont les urnes qui en décident», explique M. Benatiq qui est en faveur d’un scrutin à deux tours. «Si je suis de gauche, poursuit-il, et si je n’arrive pas à avoir le minimum pour passer au deuxième tour, je vais forcément voter pour le programme le plus proche». Etd’ajouter : «La dynamique politique ne doit pas se faire par en haut mais par en bas». Pour lui, le choix du code électoral de la majorité a été déterminé par la peur de la concurrence des nouveaux partis. Et il n’est pas le seul à le penser, même si Mohamed Motassim reste persuadé des bonnes intentions de l’USFP. «Je pens, plaide-t-il, que l’USFP a essayé de donner un peu de sens, de moralisation et d’organisation». Pour Ali Belhaj, en revanche, la barrière des 3% est un signe de fragilité et de faiblesse dans les partis de la majorité en général. «Quand on n’est pas sûr de soi, on fait des lois pour empêcher les autres. Quand on se sent plus vieux, moins fort, et lorsqu’il y a un dynamisme dans la société, qu’on voit des partis qui bougent, qui prennent des voix, on fait des lois pour les limiter», explique-t-il.
En attendant, les projets de la majorité ont-ils entraîné un rapprochement au niveau de la gauche contre l’USFP ? Une chose est sûre, Mohamed Moujahid se dit prêt à considérer la création d’un parti de gauche regroupant les mécontents, peut-être pas pour 2007, mais pour l’horizon 2012. Interrogés, Mohamed Motassim et Abdelkrim Benatik se disent favorables à l’idée. Pour Mohamed Darif, la pression de la conjoncture n’y est pour rien, il s’agit plutôt de l’approche d’une nouvelle fusion, à l’instar de celles de 2002 et 2005 qui ont donné naissance au PSU actuel.
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L’orientation royale a toujours prôné la formation de pôles politiques, mais les partis de la majorité gouvernementale ont interprété cet appel comme une nécessité de réduire le nombre de partis, alors que le Roi n’a jamais parlé de cela. Bien sûr, il y a le problème selon lequel tant que l’on a un scrutin de liste à la proportionnelle, c’est surtout la tête de liste qui va être désignée. Sachant cela, les mécontents peuvent se présenter sous les couleurs d’un autre parti, qui peut être petit ou nouveau, et, étant donné la loi sur les partis politiques, n’auront pas le droit de changer de couleur partisane par la suite. Du coup, les partis du gouvernement ont voulu continuer de constituer cette majorité, ce qui, effectivement, est un signe de faiblesse car cela indique un certain manque de confiance en soi. Les conditions ainsi imposées aux candidats des «petits» partis ou à ceux qui ont obtenu moins de 3% des voix en 2002 sont, primo, des dispositions inconstitutionnelles. Secundo, aucune démocratie au monde ne limite le champ de la représentation à l’avance. Normalement, ce sont les urnes qui incarnent cette représentation politique et non pas le code électoral. Car quand on exclut tous ces partis sur la base du scrutin du 24 septembre 2002, juridiquement cela viole le principe de non rétroactivité des lois. Il est toutefois possible de faire en sorte que le code électoral spécifie qu’à partir de 2007 tout parti qui participera aux élections et qui obtiendra moins de 3% verra ses candidats soumis à des conditions par la suite. |
