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Pouvoirs

Miloud Belcadi : les partis n’étaient pas préparés, leurs propositions ne sont pas convaincantes

Ils sont pour une profonde révision de la Constitution, mais pour l’essentiel leurs propositions se ressemblent. La réforme de la Constitution n’est qu’un préalable, ils doivent s’atteler à  regagner la confiance des citoyens en restructurant leur mode de fonctionnement et leurs organes.

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miloud belcadi 2011 04 11

Les propositions des partis sont-elles satisfaisantes ?

Ils sont, de prime abord, pour une profonde révision de la Constitution. Ils sont d’accord pour le renforcement des pouvoirs de la Primature, pour que le Premier ministre ait de vrais pouvoirs exécutifs. Ils sont pour la régionalisation, pour le renforcement du rôle du Parlement et de ses pouvoirs.  Tous les partis se prononcent pour la séparation des pouvoirs. Certains partis ont toutefois fait mention de monarchie parlementaire, mais à part le PPS aucun parti ne la mentionne clairement. L’UC, par contre, ne veut pas du tout en entendre parler alors que le PJD opte pour la formule «monarchie démocratique». En gros, les partis ne sont pas assez convaincants. Ils donnent, en plus, l’impression qu’ils ne sont pas préparés, pour ne pas dire inaptes à ce genre d’exercice. Leurs propositions ne sont pas aussi fortes que l’on pourrait s’y attendre.  

Pourquoi cette frilosité et ce manque d’audace ?

Les partis politiques n’é-taient pas prêts. L’Etat non plus. Le discours royal les a pris au dépourvu. La note envoyée par le ministère de l’intérieur en janvier dernier leur demandait leur point de vue sur la loi concernant les partis et le code électoral. Cela montre que même le ministère de l’intérieur ne s’attendait pas à une annonce de la réforme constitutionnelle.  
Maintenant que les partis ont plus ou moins répondu à cet exercice, il faut passer à l’étape suivante. Il ne faut pas rester les bras croisés à attendre la suite des événements. Les partis doivent dès à présent s’atteler à organiser leurs congrès régionaux, nouveau cadre de la régionalisation oblige, et nationaux. Il faut que les partis adaptent leurs structures à la nouvelle donne, rajeunissent leurs instances, jettent les bases d’une démocratie interne et préparent des candidats capables de donner corps aux institutions issues de la future Constitution. C’est dire que le plus difficile reste à venir.

32 partis ont été appelés à faire leurs propositions, fallait-il s’attendre à 32 propositions différentes?

Il y a un travail à faire à deux niveaux. Celui de la commission et celui du mécanisme que préside le conseiller royal Mohamed Mouâtassim. Les partis politiques restent certes en contact avec le mécanisme de suivi, mais il est peu probable qu’il y ait un changement dans leurs propositions. Ils ont fait ce qui était en leur pouvoir. Et là se pose une question : Est-ce que les propositions présentées reflètent 32 tendances ? Je ne crois pas, à part quelques partis qui se comptent sur les doigts d’une main. Le reste c’est du «copier-coller». Cela dit, les concertations continuent mais ne portent plus que sur les textes électoraux.

Les partis ont-il écouté les revendications de la rue ?

Aujourd’hui, il est demandé aux partis politiques de jouer pleinement leur rôle d’encadrement et de représentation des citoyens. Les jeunes du 20 Février l’ont montré, il y a un énorme déficit à ce niveau. Beaucoup de jeunes ont désapprouvé les partis politiques. Ils ne s’y retrouvent pas. Le défi auquel font face les partis, c’est celui d’encadrer ces jeunes et de les pousser à participer au processus électoral. Or, ce qu’on peut déjà constater, c’est que, globalement, les propositions des partis politiques sont en deçà des revendications des jeunes du 20 Février. Par ailleurs, si on ne prenait que l’exemple de l’appel à l’éradication de la corruption, on se demande, non sans raison, si les partis peuvent suivre cette revendication. Car les partis sont eux-mêmes un terreau où se développe toute forme de corruption, clientélisme, népotisme et pouvoir de l’argent.  Je ne pense pas non plus que les partis politiques veuillent jouer pleinement la carte de renouvellement des élites.

Comment peuvent-ils à nouveau jouer leur mission d’encadrement ?

Ce qui est grave pour la démocratie c’est quand un Etat se trouve face à la rue, face aux manifestants, quand les intermédiaires se sont effacés, quand ils n’encadrent plus les citoyens. Les intermédiaires que sont les partis politiques doivent jouer leur rôle. Il ne faut pas compter sur la société civile. Il ne faut pas non plus mélanger les registres. Le rôle de la société civile se limite au lobbying. Les associations sont des groupes de pression. Il faut que les partis politiques soient à la hauteur du moment, il faut qu’ils passent du discours aux actes. Il faut aussi se rendre à l’évidence que nos partis sont dans l’incapacité de produire 32 discours, programmes politiques et projets de société différents. Le Maroc ne connaît pas le multipartisme au vrai sens du terme, mais une multitude de partis. Il ne faut pas non plus se leurrer, le changement ne vient pas d’un seul coup, il faut du temps. Le discours du 9 mars est une bonne chose, mais faut-il encore mettre en place des conditions saines pour que le changement soit effectif et sans heurt. Ceci dit, il ne faut pas non plus se focaliser sur la révision de la Constitution, en oubliant d’autres facteurs de changement, à commencer par restaurer la confiance des citoyens dans les institutions. Et cela demande un travail de longue haleine.

Mais ces réformes constitutionnelles jetteront quand même les bases d’une démocratie plus poussée…

Le rôle de la réforme constitutionnelle est important pour le changement, mais la volonté politique des acteurs est aussi déterminante. Seule cette volonté politique permettra de créer un contexte sain pour des élections crédibles et transparentes. La réforme de la Constitution est un moment historique pour la consécration d’un régime démocratique, mais ce n’est pas le seul critère pour ce faire, il faut aussi la contribution des autres acteurs. Cela dit, la prochaine Constitution sera la première à ne pas être imposée par la monarchie. Et c’est déjà un point de départ très important.

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