Pouvoirs
Mauritanie : le nouveau gouvernement en difficulté
Un mois après sa mise en place, le gouvernement de Mohamed Ould Abdelaziz multiplie les gestes de bonne volonté à l’égard de la communauté internationale. Cette dernière n’a pas apprécié un coup d’Etat visant à déchoir un président démocratiquement élu. Le Maroc a amorcé des contacts avec le nouveau régime, mais reste diplomatiquement neutre.

Un mois après le coup d’Etat du 6 août, les jours du nouveau régime mauritanien seraient-ils déjà comptés ? Lundi 1er septembre, à quelques heures d’intervalle, deux communiqués émis par la France et les Etats-Unis indiquaient le refus des deux pays de reconnaître le gouvernement Laghdaf, nommé par décret tard la veille.
Quelques jours plus tôt, la Mauritanie apprenait le gel de son appartenance à l’Union africaine et à l’Organisation internationale de la francophonie. Par ailleurs, l’OUA, l’Union européenne, le Conseil de sécurité de l’ONU, et plusieurs autres pays, dont les Etats-Unis et la France, premier partenaire commercial de la Mauritanie, réclament toujours la libération du président déchu Sidi Ould Cheikh Abdallahi et le retour à l’ordre constitutionnel.
Certains pays sont d’ailleurs allés jusqu’à agiter la menace de sanctions financières en cas de non-exécution de ces mesures. La France et les Etats-Unis, quant à eux, ont déjà suspendu une partie de leur aide non humanitaire au pays. Quant à l’Union européenne, dont l’aide financière à la Mauritanie s’élève à 156 millions d’euros pour la période 2008-2013, elle menace d’en faire autant.
Certaines voix en son sein suggèrent même de suspendre l’accord de pêche euro-mauritanien, soit 86 millions d’euros par an jusqu’en 2012, une somme considérable pour ce pays où plus de 40% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
Des justifications répétées du nouveau pouvoir
Dans le pays, les choses ne vont pas bien mieux : lundi 25 août, le premier parti d’opposition du pays, le Rassemblement des forces démocratiques (RFD) d’Ahmed Ould Daddah, avait refusé d’intégrer le nouveau gouvernement, privant ce dernier de son aura, officiellement faute de garanties concernant la date de retour aux règles de fonctionnement démocratique.
Pourtant, depuis qu’il a pris le pouvoir, il y a un peu moins d’un mois, le nouvel homme fort de Nouakchott, le général Mohamed Ould Abdelaziz, n’a cessé de justifier le coup d’Etat : «Nous n’avons pas voulu prendre [le pouvoir], nous y avons été contraints. La situation économique est terrible.
Les institutions sont bloquées. L’ex-président a essayé de monter les parlementaires les uns contre les autres», a-t-il ainsi déclaré à l’hebdomadaire Jeune Afrique (édition du 10 août), décrivant le président déchu comme «un otage des lobbies affairistes et tribaux qui voulaient le démantèlement du pays». Il affirme que c’est son prédécesseur, «Sidi Ould Cheikh Abdallahi, qui a tenté de faire un coup d’Etat contre la démocratie», et que les militaires, véritables artisans de la démocratisation du pays, avaient seulement cherché à prévenir une dérive, face à un président qui, en limogeant les quatre principaux dirigeants de l’armée, dont lui-même, «allait mettre le pays à feu et à sang».
Pour prouver sa bonne foi, le général – qui occupe désormais le poste de président du «Haut conseil d’Etat» -, a multiplié les gestes de bonne volonté, s’engageant à préserver l’Etat de droit, les libertés et les institutions démocratiques existantes.
Il a annoncé la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire «chargée de faire la lumière sur le blocage des institutions ayant abouti au mouvement de rectification du 6 août dernier», et qui devrait organiser des journées nationales de concertation pour déterminer un nouveau calendrier électoral. Plus encore, le nouveau Premier ministre, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, n’est ni plus ni moins qu’un ancien ambassadeur à Bruxelles. Sa nomination est donc clairement destinée à amadouer ce dernier.
En 2005, des protestations symboliques
Autant de gestes qui rappellent étrangement les mesures prises par l’équipe d’Ely Ould Mohamed Vall, au lendemain du coup d’Etat du 3 août 2005… sauf que le contexte des deux putschs est différent.
Flash-back. C’est à l’occasion d’un voyage du président mauritanien, Mouaouia Ould Taya, qui assistait aux obsèques du roi Fahd d’Arabie Saoudite, qu’Ely Ould Mohamed Vall et le numéro un actuel du gouvernement, Mohamed Ould Abdelaziz, cousins et proches du président – ils occupaient respectivement les postes de directeur de la Sûreté nationale et de responsable de la garde présidentielle – prennent le pouvoir en Mauritanie.
Survenu sans effusion de sang, le coup d’Etat commence par susciter des protestations de la part de la communauté internationale. Tout comme aujourd’hui, l’Union Africaine suspend l’adhésion de la Mauritanie, et, à l’instar de l’Union Européenne, des Etats-Unis et de l’ONU, condamne le putsch et réclame le retour du gouvernement précédent. Pourtant, le Conseil militaire pour la justice et la démocratie ne tardera pas à les amadouer.
Soutenu par la population, auprès de laquelle Mouaouia Ould Taya était particulièrement impopulaire, le conseil s’engage à rendre le pouvoir au peuple, agenda électoral et concertation avec les forces vives du pays à l’appui. Certains prisonniers politiques sont libérés, et des alliés comme Israël ou les Etats-Unis se voient signifier que le pays est bien décidé à rester en bons termes avec eux. Dans les mois qui suivent, les nouveaux dirigeants du pays tiennent leurs promesses : la constitution est réformée de manière à limiter les risques de retour de la dictature, et les élections promises sont tenues, dans la transparence.
Un coup d’Etat de trop ?
Le 25 mars 2007, ces dernières aboutiront d’ailleurs à l’arrivée au pouvoir du premier président démocratiquement élu au pays depuis son indépendance : Sidi Ould Cheikh Abdallahi, un modéré qui rassure tout le monde. Ayant réussi à gagner la confiance de ses partenaires, désormais cité en exemple, le pays ne tarde pas à cueillir les fruits de cette politique nouvelle.
Toutefois, les choses se compliquent. Passé ses 100 premiers jours à la tête du pays, Sidi Ould Cheikh Abdallahi connaît des difficultés, à commencer par la flambée des prix à l’international, qui touche le pays de plein fouet. Le prix de l’électricité grimpe de 21%, celui du carburant de 10% environ. Quant aux produits alimentaires, leurs prix connaissent une hausse qui atteint jusqu’à 15%. Autant d’éléments qui ne tardent pas à déclencher les premières émeutes.
Par ailleurs, les découvertes dans le sous-sol mauritanien, qui auraient pu avoir un impact positif, s’avèrent moins importantes que prévu : des difficultés techniques font que l’extraction porte sur 21 000 barils par jour seulement, là où l’on en attendait 75 000.
Sur le plan politique, le président se voit reprocher son manque de communication. Technocrate lui-même, et entouré d’une équipe composée essentiellement de ministres non partisans, il souffre de l’absence d’un soutien politique stable au niveau du Parlement. Près d’un an après sa nomination, le 6 mai 2008, le Premier ministre, Zeine Ould Zeidane, et son cabinet présente sa démission.
Une nouvelle équipe gouvernementale est formée sous la direction de Yahya Ould Ahmed Waghf, qui suscite une véritable levée de boucliers du fait de la présence dans ses rangs de membres de l’ancien gouvernement Ould Taya.
Menacé d’un vote de défiance, le gouvernement démissionne fin juillet. Le 4 août 2008, deux jours avant le coup d’Etat, 25 députés et 24 sénateurs du parti du Pacte pour la démocratie et le développement, l’un des principaux soutiens de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, quittent la formation, privant ainsi le président de sa majorité parlementaire.
Cet acte a-t-il été encouragé par le général Mohamed Ould Abdelaziz, resté à son poste malgré le changement de président, et aujourd’hui accusé d’avoir cherché à renverser le président de manière «constitutionnelle» après que ce dernier ait tenté de l’écarter du pouvoir ? Sur le moment, la menace du vote de défiance plane sur le président, mais la session extraordinaire du Parlement, qui aurait pu permettre de le démettre, est annulée pour vice de forme.
Outrés, plusieurs partis appellent à l’organisation, le 10 août, d’une marche de protestation contre la gestion du pays . Toutefois, dès le 6 août à 7 h du matin, un décret présidentiel est lu à la radio, qui limoge les principaux chefs militaires du pays, dont Mohamed Ould Abdelaziz, responsable de la garde présidentielle, ainsi que les dirigeants de l’Armée nationale, de la Garde nationale et de la gendarmerie. Deux heures plus tard, les concernés prennent le pouvoir par la force.
Et maintenant ? Confrontés à leurs premières difficultés, les dirigeants mauritaniens ont vite repris leurs vieilles habitudes. Toutefois, dans un pays où les changements de régime se sont traditionnellement produits à la suite de coups d’Etat, s’agit-il vraiment d’une surprise ?
Bien évidemment, la nouvelle direction du pays a beau montrer patte blanche, la communauté internationale sera nettement moins disposée à fermer l’œil. Après tout, cette fois-ci, le dirigeant déchu du pays n’était pas un dictateur mais un président démocratiquement élu, et sa chute implique un regain d’instabilité dans une région depuis longtemps en proie aux turbulences. Reste à savoir si la situation est encore réversible.
