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Maroc-Brésil : Partenariat Sud-Sud et alliance win-win

Le retour de la gauche au pouvoir ne devrait pas inquiéter le Royaume. La géopolitique mondiale change. Le Maroc se positionne en tant qu’allié stratégique et le Brésil en tant que modèle.

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Ils étaient six chefs d’État et de gouvernement africains à avoir fait le déplacement le 1er janvier à Brasilia, à l’investiture du nouveau (ex) président. Et la présence d’Aziz Akhannouch n’est certainement pas passée inaperçue. Surtout si l’on retient ce détail que les relations entre le Brésil et la république fantoche du Polisario n’ont jamais été aussi étroites que sous les deux premiers mandats de Lula da Silva, mais pas au point de reconnaître officiellement cette entité. En 2014, à l’époque de la présidente Dilma Roussef, du même parti, le Parlement brésilien a appelé la présidente à sauter le pas. La motion n’a pas eu de suite. N’empêche, au lendemain de l’accession à nouveau du parti socialiste et de son leader à la magistrature suprême, un scénario similaire à celui du Pérou a effleuré les esprits.
Pourquoi, contrairement au Pérou ou la Colombie, le Brésil n’ira pas au-delà de cette position de neutralité négative. Certes, le président représente non pas une tendance sociodémocrate, mais une gauche qui rappelle celle de la Guerre froide. C’est un fait, mais cela ne doit inquiéter nullement le Maroc. Il est vrai, relève Abderrazzak Zraidi, président de la Chambre de commerce maroco-brésilienne, tout juste inaugurée à Dakhla, que le président nouvellement élu fait partie d’une gauche qui n’a rien à voir avec la social-démocratie en vogue en Europe, l’idéologie du parti des travailleurs qu’il dirige renvoie plutôt à une gauche d’avant la chute du Mur de Berlin. Il est tout aussi vrai que depuis le début des années 1980, la gauche a commencé à dominer progressivement l’intelligentsia brésilienne au point qu’aujourd’hui les universités, les think tanks et les élites intellectuelles sont toujours imprégnés des idées de gauche. Mais pour ce spécialiste, également membre du think tank CRBI, les paradigmes ont changé et la droite a gagné du terrain au sein de la société. La preuve, le président sortant Jair Bolsonaro a recueilli presque 50% des votes. Ce qui veut dire que près de la moitié des Brésiliens ont voté pour son parti. Cela, au moment où le président élu a pu accéder à la magistrature suprême grâce à l’appui d’une alliance de plusieurs formations. Plus encore, explique ce même connaisseur des arcanes politiques de ce pays d’Amérique latine, le Maroc dispose d’amis et d’appuis au sein de la majorité du Sénat fédéral et du Parlement fédéral ainsi que des relais un peu partout, y compris des amis parmi les gouverneurs des grands États. Aucune crainte à se faire donc quant à un éventuel retournement de situation.

Bien plus que le commerce
Il faut dire qu’en dix ans les choses ont changé et les rapports entre le Royaume et la première puissance économique latino-américaine ont même gagné en importance. La preuve, le même Parlement brésilien vient de ratifier un accord de coopération en matière de défense, signé en 2019. Cet accord (actuellement en instance d’adoption par le Sénat) porte, entre autres, sur la coopération dans les domaines de la recherche et du développement, du soutien logistique et de l’acquisition de produits et services de défense. Il permettra également le partage des connaissances et de l’expérience acquises dans les opérations des forces armées, y compris les missions internationales de maintien de la paix, et dans les domaines de la science et de la technologie. Le Brésil, faut-il le souligner, est un acteur régional et même international dans l’industrie de défense et de l’aéronautique. C’est un détail qui prend tout son poids, sachant que le Maroc est justement en train de mettre en place, avec plusieurs partenaires, sa propre base de l’industrie de défense. Mais les deux pays n’en sont pas à cet accord près. Lors d’une visite inédite du ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, à Brasilia en juin 2019, ce sont au total sept accords portant sur les domaines allant de l’investissement à la défense, en passant par l’entraide judiciaire et la non double imposition pour le transport maritime et aérien qui ont été signés. Le Maroc sait ce qu’il veut. Ce qu’il ne veut surtout pas c’est que ses rapports avec ce géant de l’Amérique latine, au demeurant membre du BRICS qui pèse un peu plus de 1.600 milliards de dollars de PIB, ce qui en fait la 10e puissance économique mondiale (2022), soient réduits à de simples échanges commerciaux. Ce pays étant pourtant l’un des grands clients de l’OCP où il est présent depuis 2009 à travers OCP do Brasil Ltda. À partir de cette date, la diversification de la présence du Groupe dans ce pays a été actée par plusieurs autres participations et joint-ventures. Le groupe OCP a d’ailleurs décidé d’ouvrir sa première unité de transformation au Brésil pour fabriquer des produits phosphatés. L’annonce a été faite en mai de l’année dernière. Bref, trois ans après la visite de Bourita à Brasilia, l’ambassadeur du Maroc au Brésil annonce la couleur, en juillet de l’année dernière. «Le Maroc souhaite hausser ses relations avec le Brésil au niveau d’un partenariat stratégique», a-t-il affirmé. En d’autres termes, le Royaume ne veut pas réduire les relations bilatérales au commerce, «il veut les élargir aux investissements et aux grands enjeux de l’agenda sécuritaire international». Cela ne veut pas dire que le commerce ne compte pas. Au contraire. Le Maroc pourrait être une plateforme économique pour un plus grand accès du Brésil non seulement en Afrique et dans le Moyen-Orient mais même en Europe. Le Brésil pourrait être une plateforme économique pour le Maroc en Amérique du Sud avec ses 13 pays, et même en Amérique latine dans sa globalité. Pour avoir une idée de ce marché, le Mercosur, constitué par le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay, avec lequel le Maroc a signé un accord-cadre en 2014, compte pas moins de 295 millions de consommateurs et plus de 80% du PIB de l’Amérique du Sud. Mais c’est surtout un Brésil en tant que modèle qui intéresse le Maroc. Un modèle surtout dans le développement social et l’industrie de défense.

Un geste salutaire

Le Brésil est le premier pays exportateur mondial de produits agricoles et il est le troisième producteur après les États-Unis et la Chine. Et c’est là qu’intervient le rôle de l’OCP dans les relations entre les deux pays. Notons au passage que plus de 80% des exportations du Maroc vers le Brésil sont constituées des phosphates. Jusqu’à très récemment, le Brésil se fournissait principalement auprès du Canada et de la Russie et en troisième position auprès du Maroc. Avec la guerre en Ukraine, le pays s’est retrouvé quasiment à court d’engrais, si ce n’est ce geste du Maroc que ce pays n’est pas près d’oublier. Le Royaume a en effet compensé, et largement, la défaillance des exportateurs russes. Le Maroc a pour ainsi dire contribué significativement au maintien du niveau de croissance économique de ce pays, qui dépend en grande partie de l’agriculture et de l’agroalimentaire, et également à sa souveraineté alimentaire. Les chiffres le confirment. En 2022, la part de l’agriculture dans le PIB du pays s’élève à 7%. L’agroalimentaire représente 47,6% des exportations brésiliennes en 2022 et contribue à plus de 25% au PIB. On mesure combien le «geste» de l’OCP a été salutaire pour ce pays. Malgré la crise et la guerre en Ukraine, le pays a pu réaliser une croissance de 2,9% en 2022.