Pouvoirs
Mairies : le grand bazar des alliances
Les partis tantôt alliés, tantôt ennemis selon les villes et les forces en présence.
Malgré ses déclarations d’intention, le PAM s’est allié au PJD dans plusieurs communes et n’a pas refusé de côtoyer l’USFP.
Le MP a offert Salé au RNI en contrepartie d’un vote pour Bahraoui à Rabat. Il a perdu les deux mairies.

S’il est une chose qu’on ne pourra pas reprocher à Omar Jazouli, maire sortant de Marrakech, c’est d’être mauvais perdant. «Cela fait plaisir de voir une femme à la tête de la mairie de Marrakech. C’est une bonne chose pour l’image du Maroc à l’international, cela va compléter ce que nous y avons fait pendant six ans», déclarait-il, fair-play, lundi 22 juin, quelques heures seulement après le scrutin qui a permis à Fatima Zahra Mansouri (PAM) de remporter la présidence du Conseil de la ville ocre par 54 voix contre 36 pour lui. Désormais, Omar Jazouli se dit disposé à prêter main forte à la maire de la ville, en tant que membre du conseil. «Je suis là pour l’aider, et je mets mon expérience à sa disposition, si elle le souhaite, pour mener à bien la gestion de la ville», ajoute-t-il. Difficile toutefois de dire que les choses se sont passées de manière aussi sereine dans le reste du pays.
Mardi 23 juin. A Rabat, le secrétaire général du PJD se réjouit de l’échec du PAM à faire tomber son parti et ses alliés. «Ils ont voulu nous écarter de toutes les grandes villes, mais jusqu’à aujourd’hui ils n’ont pas réussi», indique Abdelilah Benkirane. «Notre alliance a gagné à Salé, Rabat, Agadir, Fnideq. Le PAM a pu prendre les mairies de Témara et Tanger. Quant à celle de Marrakech, nous avons considéré que la candidate du PAM était une meilleure option que le maire sortant, alors nous l’avons aidée à constituer sa majorité», précise-t-il.
Dans la capitale, le MP et le PAM n’ont pas fait le poids
A Rabat toujours, le Mouvement populaire (MP) affiche sa déception. «Nous aurons bientôt l’occasion d’exprimer notre position, car ce qui s’est passé à Rabat et Salé était plutôt anormal. Nous avons l’impression qu’une coalition contre-nature s’est formée pour exclure le Mouvement populaire, nous analyserons la situation», promet un dirigeant du Mouvement populaire.
C’est que, dans la capitale, le jeu des alliances n’a pas été favorable au parti de l’épi. A Rabat, une alliance RNI- USFP-Istiqlal-PPS s’était formée à l’origine autour du PJD, en la personne de son numéro 3, Lahcen Daoudi. Rassurée dans un premier temps que l’idée d’un maire PJD dans la capitale n’allait pas rencontrer d’obstacle, l’alliance flanchera face au duo MP-PAM, qui s’est prononcé ouvertement contre la participation du PJD à la gestion de la ville. Face à des réserves exprimées par l’Istiqlal et le RNI, les têtes de liste du PJD et de l’USFP ont échangé leurs places. Fathallah Oualalou a pris la tête de la coalition, tandis que Lahcen Daoudi devrait hériter de la présidence du Conseil provincial. Le suspense durera jusqu’à la dernière minute, chaque camp se disant majoritaire. Pour renforcer ses chances de victoire, le MP a même consenti un sacrifice, dans le cadre d’un accord de dernière minute, en offrant Salé au RNI sur un plateau. Ainsi, Driss Sentissi (MP), maire sortant, ne s’est pas présenté contre Nourredine Lazreq (RNI). La faveur ne sera toutefois pas retournée aux harakis à Rabat, où Omar Bahraoui (MP) a perdu par 37 voix contre 49 pour Fathallah Oualalou.
Casablanca : des ennemis d’hier, amis d’une majorité de demain
Lundi 22 juin, à Casablanca, les mêmes partis se retrouvaient autour d’une scène tout à fait différente. Alors qu’il s’attendait à une reconduction de la majorité sortante, le PJD a été pris de court par l’alliance concoctée entre l’ex-maire de la capitale économique, Mohamed Sajid, et le camp adverse, qui regroupe le PAM, l’Istiqlal, le RNI, et le MP. Menacés de se retrouver à l’opposition, les conseillers PJD sont mécontents et le montrent, en criant leur colère dans la salle à quelques mètres d’un Sajid très calme. Au bout de quelques heures de protestations, le maire de la capitale est réélu, sans surprise par 83 voix sur 115, contre seulement 13 pour son seul concurrent, Abdelhak Mabchour (Parti travailliste). 24 heures plus tard, un nouveau retournement de situation vient réconcilier le maire avec ses anciens alliés. En effet, si le premier vice-président de Casablanca, Ahmed Brija, est étiqueté PAM, le deuxième vice-président n’est pas Fihr Fassi Fihri (PI) comme prévu, mais Abderrahim Ouatass (PJD), qui a obtenu plus de voix que le fils du Premier ministre. L’Istiqlal affiche son mécontentement, le PJD, lui, intègre la majorité de facto, et y cohabite désormais avec le PAM, sans complexe.
Toutefois, les choses se passeront différemment à Meknès. Si samedi 13, le PJD (10 élus) s’est accordé sur une alliance avec le RNI (12), l’UC (10) et PI (5), qui leur a permis de réunir 34 sièges sur 56, les divergences qui apparaîtront au moment de la distribution des postes feront éclater le groupe dès que le PAM (12 élus) fera mine de vouloir l’intégrer. Au final, mardi 23, le parti du tracteur, dirigé par Ahmed Hilal (PAM), un transfuge de l’Istiqlal, a remporté la présidence du conseil avec 43 voix contre 22 pour son concurrent PJD, Abdallah Bouanou.
Agadir et Tétouan, USFP et PJD, main dans la main ?
Pendant ce temps, à Agadir, l’alliance passée par le parti de la lampe avec l’USFP se révélera plus solide. «Nous avons été informés dans la nuit de dimanche à lundi, vers 2 heures du matin, qu’une bande de voyous allaient venir dans la salle pour empêcher le déroulement du vote», affirme Tariq Kabbage, maire sortant. Amenés par la concurrence, selon ce dernier, les concernés bloqueront les travaux dans la salle de 10h30 jusqu’à l’intervention des forces de l’ordre au soir, vers 20h. L’alliance USFP-PJD tiendra bon toutefois, débouchant sur la réélection du maire USFP. Les deux partis feront-ils à nouveau bloc à Tétouan ? Mardi dernier, à la grande surprise des élus du RNI, dirigés par le maire sortant, Rachid Talbi Alami, ni les élus du PJD, ni ceux de l’USFP n’ont répondu présent à la séance qui avait pour objectif l’élection du nouveau maire de la ville. Désormais, la rencontre est reportée au 27 juin. D’ici là, le suspense reste de mise, de même que, à l’heure où nous mettions sous presse, dans les villes de Chefchaouen, Oujda ou Laâyoune.
Quelle sera la carte des mairies au lendemain de ces élections ? En attendant que le puzzle soit complété, une chose est sûre : le contexte dans lequel les présidents des communes ont été élus n’aura pas été bien différent des années précédentes. En effet, les vieilles habitudes sont tenaces : défections, volte-face, suspicions de corruption, pressions diverses ont émaillé les scrutins pour la désignation des nouveaux maires dans les grandes villes. A Tanger, notamment, Najib Boulif (PJD) reproche à la concurrence d’avoir menacé ses alliés de l’UC et du RNI, entre autres, de révision fiscale, ce qui aurait retourné la situation en faveur du candidat du PAM, Samir Abdelmoula. A Meknès, Abdallah Bouanou (PJD) annonçait lundi son intention de déposer une plainte contre le nouveau maire PAM de la ville, avec l’intention de faire annuler son élection du fait d’une condamnation émise par le tribunal contre ce dernier par le passé.
Enfin, ailleurs, les accusations d’«enlèvements d’élus», les concernés étant conduits dans des endroits inaccessibles à la concurrence pour ne réapparaître qu’à l’heure du vote, semblent aussi avoir la peau dure. Idem, dans certains cas, pour le recours à la violence. L’on retiendra ainsi le cas de ces élus marrakchis du PAM, RNI, MP, FFD, PJD et PT qui ont fait l’objet, alors qu’ils se trouvaient dans un hôtel de Casablanca «en vue d’approfondir les concertations, loin de toutes pressions d’ordre moral ou matériel», d’une agression menée par des élus concurrents. L’un de leurs «agresseurs», rapporte l’agence MAP, était même muni d’une carabine, et son nom est plutôt familier : Najib Reffouch, expulsé des rangs du parti du tracteur quelques jours après son élection à Marrakech.
Dans certaines villes comme Agadir, l’on reproche même aux autorités d’avoir été passives face à certains évènements. Alors qu’à Casablanca, les abords de la wilaya où se tenait l’élection du maire de la ville grouillaient d’hommes en uniformes, dont plusieurs gradés, à Agadir, Tariq Kabbage reproche aux autorités locales l’absence de service d’ordre, qui a retardé le vote. Qu’à cela ne tienne, les résultats des élections sont désormais irréversibles. Sans surprise, le PAM reste le principal bénéficiaire de la situation sur le terrain avec Marrakech, Tanger, Meknès et d’autres petites villes et communes. Les résultats sont toutefois décevants pour le MP, qui a perdu Rabat et Salé, et gagné Témara, Béni- Mellal ou Fquih Bensalah. Ils ne valent pas beaucoup mieux pour l’USFP qui a perdu Tanger et gagné Rabat où la coalition partisane promet d’être difficile à gérer.
Quant au PJD, il a perdu Témara, et manqué l’occasion de prendre Tanger. Mais il a peut-être gagné beaucoup plus important : des alliances, en série, y compris avec le PAM, qui affirmait pourtant à qui voulait l’entendre, qu’il allait tout faire pour l’écarter des mairies.
