Pouvoirs
L’USFP tue la Koutla… l’Istiqlal l’enterre
Si les dirigeants des deux partis continuent à donner le change, les militants, eux, contestent de plus en plus cette alliance.
Le PPS assiste, impuissant, aux coups que se portent les deux protagonistes. La GSU est ignorée depuis deux ans.
Ambitions personnelles, enjeux électoraux…
La Koutla aura fait les frais des luttes de pouvoir.

Samedi 23 avril. Si Rabat s’est, depuis deux jours, vidée de ses habitants, ravis de pouvoir profiter de 4 jours de vacances à l’occasion de Aïd Al Mawlid, le siège du parti de l’Istiqlal, à Bab El Had, est en ébullition, et l’heure n’est pas à la réconciliation. Surtout pas avec l’USFP. Abdelhaq Tazi, membre du comité exécutif, lit «l’exposé politique» de Abbas El Fassi (en voyage au Vatican) devant le conseil national du parti. Dès qu’il arrive au paragraphe concernant les alliances de l’Istiqlal, plusieurs voix s’élèvent dans la salle pour protester. Abdelhaq Tazi, imperturbable, continue sur sa lancée : «En ce qui nous concerne, nous réitérons notre attachement à la Koutla démocratique qui a réalisé pour le pays de nombreux acquis démocratiques et nous espérons en acquérir d’autres grâce à l’action de la Koutla.» C’en est trop pour l’orgueil d’une partie de l’assistance qui se met debout et entonne illico presto l’hymne du parti…
Coup de théâtre. Dans les secondes qui suivent, ce sont les 600 personnes composant le conseil national qui, débout comme un seul homme, chantent fièrement l’hymne istiqlalien. Le geste est-il un défi à l’adresse du comité exécutif du parti ou un simple repli identitaire sur les valeurs de l’Istiqlal en période de crise ? Ce samedi-là, il y avait plus du second que du premier dans l’air de la salle des réunions de Bab El Had. La base du parti nationaliste voulait manifester sa réprobation face à l’attitude du «fidèle» allié socialiste lors de l’élection du président de la Chambre des représentants. L’affront a été durement ressenti par les militants de base. Une véritable humiliation qui ne peut être lavée que dans le sang… Celui de la Koutla, à défaut de faire couler celui de l’USFP.
«Depuis le début, la Koutla a été une affaire d’élites»
«Depuis le début, la Koutla est une affaire d’élites. Elle n’a jamais réellement existé chez les militants de base, assène un Hamid Chabat «furax». Dans les régions, les militants des deux partis s’opposent avec beaucoup de violence. D’ailleurs, si on revient un tant soit peu en arrière, c’est-à-dire lors des élections communales de 2003, les deux partis ont perdu plusieurs grandes villes, notamment Casablanca et Marrakech, à cause des guerres que se livraient les militants.» Difficile d’être plus direct que le maire de Fès. Il est clair que celui-ci exprime les préoccupations des militants qui pratiquent la Koutla sur le terrain à longueur de journée. Rappelons que M. Chabat a enlevé la ville de Fès à l’USFP après une âpre bataille où les coups bas se sont succédé de part et d’autres tout au long de la campagne électorale. Cela, bien sûr, a dû laisser des séquelles dans les deux camps. Cet épisode renseigne également sur le peu de cas que font les militants et les élus locaux des directives provenant de Rabat. Amis à Rabat, ennemis dans les provinces !
«Si la Koutla veut survivre, il faudrait qu’elle réponde aux attentes des militants. Il nous faut une Koutla des militants et non des dirigeants. C’est cette Koutla qui peut avoir la confiance du peuple et forcer les autres, partis et pouvoir, à la respecter», claironne inlassablement M. Chabat. Si le ton est un tantinet populiste, il trouve cependant une oreille attentive y compris parmi les membres du comité exécutif. Ainsi, Khalil Boucetta, membre du comité exécutif de l’Istiqlal et fils de M’hamed Boucetta, principal architecte du «bloc démocratique», pousse néanmoins la logique jusqu’au bout. En égrenant, dans un entretien donné à Rissalat Al Oumma du 25 avril, les conséquences de la candidature de Abdelhamid Aouad à la présidence de la première chambre, Khalil Boucetta passe en revue les tendances politiques que l’on retrouve actuellement sur la scène politique marocaine. «Il semble qu’il y a aujourd’hui trois pôles. Le premier se forme autour du PJD, le deuxième autour de l’Istiqlal et le troisième autour de l’USFP et toute la gauche. Le pôle où se trouve l’Istiqlal est celui de la modération entre l’extrémisme de droite et de gauche», explique-t-il.
Le ressentiment contre l’USFP est à son comble
M. Boucetta serait-il en train de dire tout haut ce que l’Istiqlal pense tout bas ? Pas forcément. A en croire un autre membre du comité exécutif, qui a préféré garder l’anonymat, «le ressentiment contre l’USFP est à son comble au sein du parti mais cela ne veut pas dire que nous allons sacrifier la Koutla. Celle-ci reste un choix stratégique pour nous et plusieurs membres du comité exécutif le pensent d’ailleurs. En dehors de l’USFP, il est difficile de trouver d’autres partis qui jouissent d’une autonomie de décision». Pourquoi alors toute cette agitation et ces menaces de rupture distillées ici et là ? Le parti de Abbas El Fassi chercherait-il à culpabiliser son partenaire tout en calmant sa base mécontente ?
Du côté de l’USFP, on continue à préparer le VIIe congrès dans une apparente sérénité. Rien ne paraît perturber les préparatifs pour la grand-messe usfpéiste de juin prochain… Ni les gesticulations des militants de l’Istiqlal ni les piques de ses dirigeants. «La question des alliances demeure un problème interne à chacun des partis, qui décide en interne de la politique à suivre en la matière», explique, un brin cynique, Abdelhadi Khairat, membre du bureau politique du parti de la rose et l’un des socialistes dont les déclarations violentissimes, la veille de l’élection du président de la Chambre des représentants, ont laissé un goût amer aux militants istiqlaliens.
Mais cette indifférence feinte ou réelle des socialistes face aux états d’âme de l’Istiqlal n’est pas partagée par tout le monde. Mohamed Lahbabi, figure de proue de l’USFP pendant de longues années et fidèle compagnon de Abderrahim Bouabid, épingle la stratégie de son parti : «El Yazghi est resté sourd à tous ces arguments (ceux de l’Istiqlal). Que la Koutla agonise, ce qui importe, c’est l’élection de Radi à la présidence du Parlement, la seule perspective prometteuse de sa confirmation en tant que premier secrétaire de l’USFP au VIIe congrès», analyse-t-il De là à dire que l’USFP a sacrifié son allié stratégique sur l’autel de l’ambition personnelle de son leader, il n’y a qu’un pas, que beaucoup d’autres militants n’hésitent pas à franchir.
Le PPS entre le marteau et l’enclume
Mais la crise actuelle que traverse la Koutla peut-elle se réduire à un «mano a mano» entre ces deux plus grandes composantes ? Ne faut-il pas rappeler que d’autres sensibilités politiques font également partie de ce bloc ? Quid du PPS et de la GSU ?
Pour Ismaïl Alaoui, secrétaire général du PPS, il ne fait aucun doute que la Koutla passe actuellement par une période de turbulences. «La Koutla ne se porte pas très bien. Mais il ne faut pas désespérer», ajoute-t-il, comme une incantation. Il faut dire que le PPS se trouve dans une position délicate entre les deux ténors de la Koutla. Faute de prendre l’initiative afin de réconcilier ces deux alliés, il se contente, impuissant, d’observer leur combat et de compter les points. «Il n’y a pas eu de rencontre formelle entre nous depuis l’épisode du Parlement, mais je crois que la tendance est à l’apaisement si l’on se fie au discours de Abbas El Fassi», considère Ismaïl Alaoui. Tout le monde ou presque semble attendre la tenue du congrès de l’USFP pour y voir plus clair.
La Gauche socialiste unifiée semble, quant à elle, engagée dans un autre processus. Elle lorgne les autres composantes de la gauche dans un effort de réunification qui commence à donner ses fruits. La dernière fois que la GSU a été conviée à une réunion de la Koutla remonte en effet au lendemain des attentats de mai 2003 ! Et depuis ? Silence radio, selon les dirigeants de la GSU. Mohamed Moujahid, son secrétaire général, n’y va d’ailleurs pas par quatre chemins : «Les autres partis nous ont écartés de la Koutla.» Dans quel objectif ? Serait-ce un simple oubli de la part des autres ? «Il ne s’agit certainement pas d’un oubli, mais d’un manque de savoir-faire concernant la gestion des divergences. Les autres partis qui composent la Koutla ne connaissent pas la culture de la différence», s’indigne M. Moujahid, avant d’enfoncer le clou. «Le rôle de la Koutla se résume aujourd’hui à un simple soutien au gouvernement. Si déliquescence il y a, c’est parce que ses composantes se laissent aller à des petits calculs partisans et oublient l’intérêt général». Si l’USFP a tué la Koutla et si l’Istiqlal l’a enterrée, la GSU s’est, elle, chargée de l’oraison funèbre.
Malgré leurs profondes divergences, les partis qui composent la Koutla semblent au moins d’accord sur une chose : celle-ci ne peut plus répondre aux ambitions des uns et des autres. Les convulsions qu’elle connaît sont celles d’un moribond qui attend qu’on lui assène le coup de grâce. Qui osera le lui porter ? La réponse ne saurait tarder, à moins que l’on décide de la laisser mourir de vieillesse… Et d’indifférence.
Le ressentiment de l’Istiqlal à l’égard de son allié est vif, mais Abbès El Fassi confirme le choix stratégique de l’alliance. El Yazghi et l’USFP, eux, restent zen, occupés qu’ils sont par les préparatifs du congrès.
