Pouvoirs
L’USFP reprise par les vieux démons des courants
Des militants ont soumis à la commission préparatoire du VIIe congrès
un document qui appelle au débat d’idées.
Organisation défaillante, alliances contre-nature, timidité des
revendications,… les contestataires estiment que les dirigeants doivent passer
la main.

Chassez le naturel, il revient au galop. Débarrassée du spectre des courants lors du VIe congrès du parti, voilà l’USFP à nouveau aux prises avec eux, même s’ils ne se déclarent pas en tant que tels. Après cinq ans d’encéphalogramme plat, l’USFP renoue avec les soubresauts organisationnels. En effet, il y a une quinzaine de jours, un document a été présenté par une dizaine de militants casablancais au bureau politique et à la commission préparatoire du congrès. Rien d’extraordinaire, seraient tentés de dire les observateurs, n’était la réaction vigoureuse d’Abdelhadi Khairat, membre du bureau politique et de la commission préparatoire : «Nous n’avons rien reçu de la part de personne». Une réplique qui ne manque pas d’étonner Hamid Bajou, coordinateur du secteur de l’enseignement supérieur de l’USFP, membre de la commission centrale du parti et l’un des promoteurs de ce document : «Nous avons remis des copies au bureau politique, à la commission préparatoire et à plusieurs militants au sein de la base du parti. Nous savons que Mohamed Elyazghi, premier secrétaire, l’a eu entre les mains.»
Des courants autour de programmes et non autour de personnes
Le document, qui se voulait une simple participation au débat avant le septième congrès, prévu en juin prochain, semble soulever des remous, et pour cause. Il jette, selon cet ancien militant socialiste, un pavé dans la marre du bureau politique qui a déployé des trésors d’énergie afin d’arriver à un compromis entre ses membres avant l’échéance de juin.
Salah Sbyea, directeur-adjoint de Libération, organe francophone du parti, et cosignataire du document en question, explique le pourquoi d’une telle démarche : «Notre papier est une simple participation au niveau des débats qui traversent le parti. C’est un plus par rapport à ce qui a été discuté au sein de la commission préparatoire. Ce n’est absolument pas un courant, car les courants ne se décrètent pas. Notre contribution propose justement d’améliorer l’organisation du débat à l’intérieur de l’USFP.» Le propos est prudent voire ambigu. Hamid Bajou, lui, n’y va pas par quatre chemins : «Quelques mois avant la tenue du congrès, nous avons remarqué qu’ une logique prévalait au sein de l’USFP, celle des alliances bâties autour des personnes. Les amis d’untel contre les dévoués d’un autre. Comme militants, nous voulons casser cette logique. Si opposition il doit y avoir, elle doit se faire autour de projets et d’idées.» Si on décode, cela donne ce qui suit: certains jeunes cadres du parti, se sentant en marge du débat ou encore voyant que les cadors se sont mis d’accord sur les rapports de force, se rappellent à leur souvenir. Et de quelle manière ! Ils veulent placer le débat sur le plan des programmes.
Mais quelles sont les idées-forces de ce document ? Tout d’abord, il s’agit de définir clairement l’identité du parti. D’après la contribution de Hamid Bajou et de Salah Sbyea, l’USFP appartient à la famille internationale de la social-démocratie et à ses valeurs universelles. C’est pourquoi, il faut placer ces valeurs universelles avant toute spécificité.
Des structures du parti
en déliquescence
En ce qui concerne les réformes constitutionnelles, le document rejoint les positions exprimées par les membres du bureau politique du parti sur l’article 24 de la Constitution, qui consiste dans le renforcement de l’institution du premier ministre. Cependant, une divergence se fait sentir sur la manière de présenter ces réformes. «Le parti ne doit plus se contenter de donner des signaux au Roi. Nous pensons que des signaux doivent être envoyés également aux citoyens. Nous voulons une monarchie parlementaire. Il faut maintenant se réconcilier avec les citoyens après la réconciliation avec la monarchie», affirme Hamid Bajou.
Un autre volet concerne les alliances politiques de l’USFP. D’après Salah Sbyea, «il ne peut y avoir d’alliance avec les intégristes de tout bord. Ceci, pour nous, est très clair. Nos alliés naturels sont le PPS et le PSD, suivi par les partis de la gauche non gouvernementale (Fidélité à la démocratie, GSU et le Congrès national). D’ailleurs, l’USFP doit prendre l’initiative de renouer le dialogue avec ces partis. En troisième position, il y a l’alliance avec l’Istiqlal qui est une alliance tactique et non stratégique.» Le désamour de la base de l’USFP avec le vieux parti nationaliste est consacré. Ce n’est pas surprenant tant les positions de Abbès El Fassi et des membres du comité exécutif de l’Istiqlal exaspèrent les militants socialistes, depuis un certain temps déjà . Le fait que l’Istiqlal présente un candidat contre Abdelwahed Radi pour lui disputer la présidence de la Chambre des représentants n’arrange rien. Au contraire, elle ne fait qu’accréditer l’analyse incorporée dans le document des cadres de l’USFP.
Sur le plan organisationnel, les propositions tournent autour de «la bonne gouvernance» au sein des instances du parti. Une position que partage d’ailleurs Soufiane Khairat, ex-secrétaire général de la Jeunesse ittihadia, qu’on ne peut suspecter de velléités agressives contre le bureau politique. Dans une contribution publiée par Libération le 30 mars dernier, celui-ci pointe du doigt les structures organisationnelles du parti : «Il faut le reconnaà®tre, l’USFP a toujours eu une structure organisationnelle de type léniniste. Si le principe du centralisme démocratique a disparu des textes de l’USFP, il reste, néanmoins, toujours le régulateur de la vie organisationnelle de ce parti… Ce que n’ont pas compris les dirigeants de l’USFP, c’est que les problèmes qui minent les structures organisationnelles, dans la majorité des provinces, sont le résultat de l’inadéquation de ces structures avec les nouveaux choix politiques et idéologiques du parti. Aujourd’hui, il faut en finir avec ce mode d’organisation.»
Le constat est sans appel. D’ailleurs, un membre du bureau national de la jeunesse dira même sur un ton ironique: «Un programme social-démocrate appliqué avec les instances provinciales actuelles, c’est comme mettre un moteur de BMW dans une carrosserie de 2 CV, c’est-à -dire un véritable gâchis.»
Pour revenir au document présenté par certains cadres de Casablanca, force est de constater qu’il prend le contre-pied des positions officielles du parti sur plusieurs points. Cela veut-il dire qu’il constitue un projet de plate-forme concurrente à celle de la commission préparatoire du congrès ? Serait-t-il la genèse d’un nouveau courant au sein de l’USFP ? «Pas nécessairement un projet concurrent, répond Hamid Bajou. S’il est prématuré de parler aujourd’hui d’un courant sur le plan organisationnel, on peut parler d’un courant de pensée qui en train de voir le jour.»
Assiste-t-on à l’émergence d’un nouveau courant au sein de l’USFP ?
Du côté du bureau politique, on semble serein face à l’initiative de ce groupe de jeunes cadres. «Pour qu’un courant se matérialise au sein du parti, il faut qu’il rassemble plusieurs conditions. Ses promoteurs doivent bénéficier d’une réelle implantation dans l’USFP», précise Abdelhadi Khairat. Est-ce à dire que les initiateurs du document remis il y a une quinzaine de jours à la direction du parti ne représentent qu’eux-mêmes ? La nature de la réponse de Khairat le laisse supposer. Mais c’est sans compter avec le panache de Hamid Bajou qui, réponse du berger à la bergère, pousse la logique jusqu’au bout. «Je crois que, pour les membres de la direction actuelle, le VIIe congrès est la dernière étape d’une longue carrière et qu’ils doivent ensuite passer le flambeau à la relève. Nous nous considérons comme la nouvelle génération du parti», assène-t-il.
Jusqu’à présent, les dirigeants de l’USFP n’ont donné aucune suite au document qui leur a été remis. L’ouverture de la session de printemps du Parlement et les échéances qui en découlent accaparent pour le moment toute leur attention. Mais d’ici le congrès de juin, la commission préparatoire devrait normalement prendre en compte les contributions des jeunes cadres du parti. La seule façon, selon un observateur averti, pour l’USFP, d’éviter que son «radar anti-crises» se remette à clignoter.
Selon ses signataires, le document vise à «améliorer l’organisation du débat au sein de l’USFP» et non à créer un quelconque courant. Le secrétaire général du parti, qui l’a reçu, tiendra-t-il compte des remarques qu’il contient.
