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Khaoula Lachguar : « L’USFP est prêt pour être dirigé par une femme, mais je ne serai pas candidate »

Sa dernière élection à l’Internationale Socialiste, sa carrière politique de plus de 30 ans au sein du parti, ses ambitions, la situation de l’USFP et surtout son père… La fille du premier secrétaire et membre du bureau politique passe aisément d’une thématique à l’autre.

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Elle peut parler spontanément de sa famille. Elle peut prendre un air sérieux, à la limite agressif, prête à sortir ses griffes quand il est question de défendre le parti et ses idéaux. Elle peut aussi devenir très émotive quand elle aborde la situation de la femme dans notre pays qu’elle considère, en féministe assumée, très en deçà de celle qu’elle pourrait être. Ses yeux brillent quand elle parle non sans fierté de son parcours scolaire, elle, «la matheuse», produit de l’école publique. Elle est capable de toutes ces émotions, le ton de sa voix change au gré des sujets qu’elle aborde.

Vous venez d’être élue vice-présidente de l’Internationale Socialiste. Quel a été le processus qui a mené à votre désignation ?
C’est un choix du bureau politique et du premier secrétaire. Il faut savoir que c’est d’abord le parti qui se porte candidat et c’est, ensuite, lui qui désigne la personne qui va le représenter. Et le choix de ma personne découle du bon sens. Après tout, je suis en charge des relations internationales du parti depuis cinq ans. Je participe avec mes camarades de l’USFP aux réunions de toutes les instances de l’Internationale Socialiste (IS). Comme en diplomatie il est important de construire des relations, cela est encore plus valable en diplomatie parallèle. Il y a donc un souci de continuité qu’il est nécessaire de préserver et on ne peut pas parachuter des gens du jour au lendemain dans un poste.

Vous traînez cette réputation d’avoir été appuyée et même placée par votre père à ce poste ?
Ce n’est pas une réputation, c’est une accusation. Je ne dirais pas que c’est un délit de faciès, mais dans mon cas c’est un délit d’affiliation et de carnet d’identité. Il y a une dizaine de personnes qui sont là depuis une dizaine d’années qui représentent le parti dans des instances spécifiques et précises. De toutes les manières, que ce soit pour mon élection ou de quelqu’un d’autre, ce n’est pas le premier secrétaire qui décide. In fine, ce sont les membres de l’IS qui votent.

Et au sein même de l’USFP ? N’avez-vous pas gravi rapidement les échelons grâce à un coup de pouce du premier secrétaire ?
Vous savez, je viens d’entamer la quarantaine, et je serai toujours la fille de mon père. Si je suis la personne que je suis aujourd’hui, c’est grâce à mes parents. Pour autant, je ne crois pas avoir bénéficié de plus que ce dont bénéficie n’importe quel enfant de la part de ses parents. Maintenant, pour ce qui est de ma carrière politique, j’ai intégré le parti très jeune. Je ne dis pas que j’ai commencé au bas de l’échelle, mais à la base comme la plupart des militants de l’USFP. Je n’ai pas intégré le parti pour devenir parlementaire ni ministre. J’ai intégré le parti très jeune, je ne suis jamais devenue ministre.

Peut-être que c’est juste une question de temps…
(Rires) En tout cas, cela ne fait pas partie de mes objectifs dans la vie. Je n’ai jamais cherché à être candidate au Parlement sur une liste nationale ou régionale. Je n’ai même pas eu l’ambition de le faire. Par contre, pendant les élections, j’ai toujours été là. Au sein du parti, je fais partie des fourmis ouvrières dans le sens où j’ai été de toutes les campagnes électorales. Cela veut dire que je prenais congé de mon travail pour me consacrer à la campagne. J’ai aussi fait partie de la commission du parti en charge de la définition de notre vision du nouveau modèle de développement, j’ai été dans le secrétariat qui a planché sur la réflexion pour l’après-Covid, j’ai été directrice de campagne plusieurs fois pour le compte de différents candidats,… Et ce n’est qu’il y a un an que je suis devenue membre du bureau politique.

Comment ont été vos débuts dans la politique et à l’USFP ?
J’ai démarré ma carrière politique à l’âge de 16 ans dans une antenne locale de la jeunesse au quartier Youssoufia à Rabat. Au début, en tant que jeunes, on était là pour être formés. On assistait à beaucoup de conférences. J’ai suivi un grand nombre de cycles de formations. Et puis notre travail consistait en l’organisation : on se charge de l’accueil, on range la salle quand c’est fini, on s’assure qu’on a tout éteint avant de quitter le local du parti… Lors des campagnes électorales, on faisait du porte-à-porte, de la permanence dans les QG de campagne. C’était beaucoup de ménage et de travaux d’entretien, à la fois nécessaire et normal de faire, quel que soit son statut au sein du parti.

N’aspiriez-vous pas à devenir dépiuté comme l’a été votre père ?
Mon père est devenu député à l’âge de 37 ans. A l’époque, il faisait partie des plus jeunes, si ce n’est le plus jeune des élus. Il est devenu, ensuite, le plus jeune chef de groupe parlementaire.

Vous n’aviez pas un statut un peu particulier dans le fief électoral de Driss Lachgar ?
En fait, cela ne m’a servi à rien. J’étais une militante parmi d’autres. Je n’ai jamais été secrétaire de l’antenne. Je n’ai jamais eu de responsabilité d’ailleurs. J’ai subi pour ainsi dire de la discrimination négative.
Aujourd’hui, je comprends que des gens pensent que j’ai évolué dans un milieu où j’ai toujours été favorisée. Cela ne me choque pas. Mais ce que je ne comprends pas, c’est cette propagande dont je suis victime et cet acharnement sur ma personne. Ce que je ne comprends pas, c’est qu’après avoir passé plus de 32 ans au sein du parti, des gens se permettent de dire et d’écrire sur moi ce genre de choses.
Bref, je considère que c’est de la mauvaise foi.En plus, je ne comprends toujours pas pourquoi quand les proches d’un homme politique ne s’intéressent pas à la politique, on lui reproche de n’avoir même pas pu convaincre son entourage de ses idées et de vouloir le faire pour tout un peuple. Et, au contraire, quand ses enfants se mettent eux aussi à la politique, on l’accuse de favoritisme !

Et comment vous avez concilié études, carrière et politique ?
Je n’ai pas eu de problèmes à ce niveau. A l’école, cela s’est bien passé, j’ai obtenu mon bac sciences-maths au Lycée Dar Essalam. J’ai fait ensuite les classes prépa HEC et puis j’ai fait l’Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP). Après, j’ai commencé à travailler dès l’âge de 22 ans dans le secteur de l’audit, puis dans le secteur bancaire, ensuite dans le conseil et stratégie et, depuis une dizaine d’années, je suis directrice de l’une des filiales de la CDG qui est CDG Développement. Tout cela en demeurant tout le temps une militante active dans le parti.

Vous n’êtes apparemment pas la seule USFPéiste à travailler à la CDG. Un coup de piston ?
Des membre de l’USFP à la CDG, il y en a beaucoup, en fait. Mais rassurez-vous, notre parti, c’est l’antithèse de l’intervention. Nous avons été pendant moins de temps dans le gouvernement que d’autres formations politiques. Au moment où j’ai intégré cette institution publique, notre parti était dans l’opposition. J’aurai du mal à comprendre comment le fait d’appartenir à une formation de l’opposition aurait servi mes intérêts ou ceux des autres. Et vous savez le niveau d’animosité dont l’USFP faisait l’objet à l’époque.
Vous êtes aussi membre d’un groupe de travail des économistes du parti. Qu’est-ce que fait ce groupe très peu connu ?
Il est vrai que c’est un groupe qui n’est pas médiatisé. D’ailleurs, tous les groupes de réflexion de notre parti ne le sont pas. L’essentiel de notre travail c’est de produire de la littérature pour la formation, des programmes électoraux notamment et au cours de l’année, on travaille beaucoup avec les parlementaires, notamment lors des débats du projet de Loi de finances. C’est une sorte de think tank interne qui travaille en permanence. On fait aussi des conférences et des formations en interne sur les politiques publiques pour que les militants d’abord comprennent puis acquièrent des éléments de langage pour interagir et débattre de nos idées et orientations.

Je vous repose la question, vous trouvez assez de temps pour tout cela, vous qui êtes aussi maman ?
Oui, comme toutes les personnes qui font de la politique, du sport ou qui sont dans des associations. Le temps, c’est nous qui le définissons. Il faut sacrifier certaines choses. A côté de la politique, je suis aussi une maman et j’ai une famille, je fais des journées de 17 heures. C’est donc un choix. Ce sont des journées bien fournies et en même temps gratifiantes. La politique, c’est gratifiant pour moi parce que je ne la fais pas pour exercer le pouvoir. Je fais de la politique pour faire aboutir un projet social.

Quel regard portez-vous sur l’action gouvernementale ?
Aujourd’hui, je suis critique à l’égard de ce gouvernement qui se dit libéral, sur le plan idéologique, qui a une chance inouïe de porter des projets socio-démocrates dans le cadre d’un Etat social, parce que ce sont des orientations royales. Et qui a surtout l’occasion de se positionner sur la question des droits des femmes. Nous avons un code de la famille qui défavorise et dénigre les mamans et les femmes en général. Que le gouvernement lance et accélère ce chantier. En féministe assumée, j’en exhorte l’Exécutif : Cette révision du code de la famille est une urgence absolue. Il en va de même pour le code pénal.

Vous en tant que femme et féministe, vous voyez-vous justement à la tête du parti ?
Est-ce que c’est possible déjà ?
Bien sûr que c’est possible. A l’USFP, il y a des dizaines de femmes capables de le gérer notre parti dans l’avenir. Elles sont actuellement au bureau politique, au conseil national… Parce que qu’est-ce qu’il faut pour devenir leader ? Il faut avoir une vision claire, une intégrité et une probité morale et il faut être fédérateur. Il y a beaucoup de femmes qui ont toutes ces qualités. Peut-être que c’est une question de temps, pour mûrir, ou alors une question de confiance en soi.

Mais l’USFP est-il prêt pour avoir une femme leader ?
Pourquoi ne le serait-il pas ? Nous sommes représentatifs de la société marocaine dans sa diversité. Et les Marocains sont très ouverts à l’exercice du pouvoir par les femmes. Je ne parle pas uniquement de pouvoir politique. Au fait, c’est en politique que la femme est la plus représentée. C’est aussi la politique qui a donné le plus de chances aux femmes. Ce n’est pas le cas de l’entreprise par exemple, des syndicats, des associations, et même des syndics d’immeubles. Bref, la politique c’est le milieu le plus féministe au Maroc. C’est là où il y a le plus de femmes grâce au quota. A la jeunesse USFP, on a fait une petite révolution. Après le dernier congrès, l’organisation est paritaire à 100%. On est donc prêt pour une femme leader.

Vous voyez-vous justement à ce poste ?
Non. C’est un travail à plein temps. Personnellement, je n’en ai pas cette ambition. Et je ne me sens pas avoir l’étoffe pour ce travail qui est très contraignant. Il y a les trois qualités que j’ai citées plus haut, certes, mais il y a aussi beaucoup de contraintes. C’est un don de soi.

A votre avis, qu’est ce qui a changé dans l’USFP avec Driss Lachgar ?
Celui d’abord du premier secrétaire. J’aurais préféré que ce soit un autre militant qui en parle, mais si vous voulez mon avis, c’est comparer le jour à la nuit. A l’époque où Driss Lachgar a pris les commandes, l’USFP était au bord de l’arrêt cardiaque. Aujourd’hui, nous avons organisé tous nos congrès à temps. Je ne parle même pas des résultats électoraux, nous sommes passés de la 6e à la 4e place.

Mais on continue à penser que le parti a été vidé de sa substance et de ses cadres…
Quels sont ces cadres qui ont quitté ? Vous avez tout un bureau politique, un conseil national au complet. Des cadres, j’en croise à tout moment dans nos locaux. Beaucoup parmi eux occupent justement des postes de responsabilité dans des institutions publiques. L’USFP continue d’être un pourvoyeur de personnel de haut niveau pour l’administration. Non, le parti est toujours aussi riche de ses cadres et de ses militants. J’en suis moi-même un exemple parlant.

PROFIL

La vice-présidente de l’IS est lauréate de l’Ecole supérieure de commerce de Paris, elle est cadre de la CDG après un passage d’un peu plus de deux ans à Bank Al-Maghrib. Elle est coordinatrice des relations internationnales à l’USFP. Khaoula est également membre du bureau politique du même parti.