Pouvoirs
Loi électorale : les petits partis font reculer la majorité
La barrière imposée à la participation aux élections devient symbolique : 100 signatures de citoyens par candidat.
6% de voix au niveau local pour accéder au Parlement : un seuil sans
impact réel.
L’accès des femmes à la députation
plus difficile qu’en 2002, les partis indifférents…

La loi électorale a-t-elle enfin atteint sa dernière ligne droite ? Mardi 5 décembre, à la Chambre des représentants, et après des semaines de suspense, la dernière mouture du projet de loi organique complétant la loi 31-97 relative à la Chambre des représentants devrait enfin faire son entrée en séance plénière, à quelques modifications près. Principale retouche : la barrière des 3% à la participation aux élections, désormais réduite au statut de simple formalité. Selon la nouvelle version, les candidats dont les partis ont obtenu moins de 3% des voix aux législatives de 2002 ou ont été créés après cette date n’auront plus besoin de recueillir des signatures de grands électeurs pour se présenter aux élections législatives cette année. Il leur suffira de récolter une centaine de signatures d’individus inscrits sur les listes électorales. Par ailleurs, le seuil d’entrée au Parlement a été ramené de 7 à 6 % au niveau local pour les différents partis et de 7 à 6% au niveau national pour les listes nationales, réservées aux femmes.
«C’est une victoire du dialogue», explique Mohamed Moubdii, président haraki de la commission de l’intérieur à la Chambre des représentants. «Aujourd’hui, ajoute-t-il, il n’y a pas de dictature dans le dialogue, les grands partis ont été très ouverts, très compréhensifs, très coopératifs». «Nous considérons que c’est un bon résultat», souligne de son côté Nabil Benabdallah, membre du bureau politique du PPS. «Ce qui nous importait le plus au PPS, ce n’est pas le seuil imposé tant pour la liste nationale que pour la liste locale, mais la question des 3% avec les conditions sibyllines extrêmement dangereuses et pernicieuses de signatures d’élus, sachant que nous n’étions pas concernés par ce seuil, que nous dépassons largement», tient-il à préciser. Et d’ajouter : «Nous trouvons aujourd’hui que l’accord est un accord viable et positif».
Côté petites formations, au PSU, où les chances de participation aux élections ont augmenté en flèche depuis une semaine, on continue de protester, du bout des lèvres. «Il est vrai qu’à l’origine, l’objectif, c’était l’exclusion de certains partis. A présent, on peut toujours obtenir les 100 signatures, ce qui veut dire que dans les circonscriptions où il y a 5 sièges, il faut en recueillir 500. Ce n’est pas impossible mais ce n’est quand même pas facile», argumente Mohamed Moujahid, secrétaire général du PSU. Selon lui, toujours, si la nouvelle version de la loi devrait exclure moins de partis, elle établit toujours une distinction entre ces derniers, mais après avoir énuméré toutes les choses qui ne vont pas, ce dernier reconnaît à son tour une «victoire relative».
Des tractations jusqu’à la dernière minute
Il faut dire que l’on revient de loin. Après avoir multiplié les protestations depuis l’été, les petites formations, toutes tendances politiques confondues, promettaient, jusqu’il y a peu, d’étendre leurs protestations au niveau national, et l’idée de boycotter les élections commençait à faire son chemin dans les esprits, menaçant de jeter le doute sur la validité des prochaines législatives. En effet, les conditions imposées par la première mouture de la loi étaient telles qu’elles risquaient de les exclure de facto de la participation aux élections : l’ancienne version de la barrière des 3% imposait à leurs candidats de réunir 100 signatures dont 20% d’élus, autrement dit, de bénéficier de l’aval d’un nombre affolant de représentants des grosses formations dont ces dernières ne disposaient pas toujours elles-mêmes. «Pour présenter les 295 listes locales de la première Chambre [NDLR : la Chambre des représentants est composée de 295 élus au niveau local et 30 élues au niveau national], il fallait avoir 20 signatures d’élus par candidat soit 5 900 signatures d’élus pour se présenter au niveau de l’ensemble des circonscriptions», explique la députée PPS Nouzha Skalli, «or, le premier parti au Maroc n’a pas plus de 3 800 élus locaux».
Malgré ces contradictions, ce n’est que le mardi 21 novembre dernier, la veille de la date limite pour le dépôt des amendements à la Commission de l’intérieur, que les principales concessions allaient enfin être apportées. Parallèlement aux discussions entre la majorité et le ministère de l’intérieur, le PPS et l’USFP avaient cherché à trouver un terrain d’entente. Les partis devront s’y prendre deux fois, une première fois en présence de Driss Lachgar, président du groupe parlementaire USFP, puis une deuxième au domicile de Abdelouahed Radi, président USFP de la Chambre des représentants. C’est lors de cette deuxième rencontre, tenue mardi après-midi, que tout allait se dénouer. Par la suite, les autres composantes de la majorité se sont alignées sur la décision des deux alliés.
Le spectre de la balkanisation toujours présent
«Maintenant, il s’agit de tourner cette page, de faire en sorte que la majorité puisse développer une orientation commune par rapport aux législatives de 2007 et s’assurer que le processus de modernisation, de démocratisation et de réforme va se poursuivre au-delà des élections», souligne M. Benabdallah. Désormais, malgré l’annonce, attendue, du PJD de son intention de voter contre, la loi électorale semble bien partie pour être validée très bientôt. Toutefois, est-elle toujours en mesure de satisfaire son objectif initial : réduire la balkanisation de la scène politique marocaine ? En effet, malgré l’injustice que sa première version impliquait envers les petites formations, voire les soupçons de non constitutionnalité qui pesaient sur elle, la barrière des 3% était conçue pour réduire la balkanisation du champ politique, en poussant les petits partis à se regrouper. Cette première barrière vidée de sa substance, les seules restantes sont, d’une part, les 6% de voix au niveau local imposés aux partis pour accéder au Parlement, un chiffre considéré comme purement symbolique dans la mesure où, déjà en 2002, très peu d’élus étaient entrés au parlement sans dépasser ce score. D’autre part, les 6% au niveau national imposés à la liste nationale, et que certains considèrent comme injuste. «Ces 3 % ont été vidés de leur sens, ce qui veut dire que ce n’est plus une barrière, autrement dit la balkanisation va rester intégralement ce qu’elle est, et si on doit résumer la principale mesure actuellement adoptée par ce code, c’est qu’il s’agit d’une mesure anti-femmes», explique Nouzha Skalli, qui prend soin de souligner que sa position est purement personnelle. En effet, cette dernière déduit de la loi telle qu’elle se présente actuellement l’idée suivante : «un candidat masculin peut être élu au niveau des listes locales avec 5 000 voix, mais une femme sur liste nationale, pour être élue, doit obtenir 500 000 voix au niveau national», souligne-t-elle, en se référant au nombre de voix que les partis doivent réunir pour faire entrer leurs candidates au Parlement via la liste nationale. La mesure, telle qu’elle se présente aujourd’hui, pourrait en effet limiter à quatre ou cinq le nombre de partis habilités à profiter des 30 sièges prévus par la liste, des chiffres confirmés par Mohamed Moujahid et qui commencent à susciter l’inquiétude, y compris au niveau du RNI. Etonnamment, après le long débat sur la loi électorale, la présence de ce taux, sans impact conséquent sur la menace de balkanisation, ne semble pas près de susciter la mobilisation des partis… ni de leurs femmes.
