Pouvoirs
L’Istiqlal survivra-t-il au 23 septembre ?
Une campagne virulente et une lutte acharnée entre Hamid Chabat et Abdelouahed El Fassi. Aucun n’a souhaité se retirer de la course. El Fassi fait du porte-à -porte pour mobiliser les personnalités influentes du parti et les notables.

L’Istiqlal aura tenu en haleine la scène politique pendant plus de deux mois. Il a montré que nos partis politiques sont bel et bien capables de créer du spectacle et de monter un show politique. En un peu plus de deux mois les deux candidats à la succession de Abbas El Fassi, le syndicaliste Hamid Chabat et le fils du fondateur, Abdelouahed El Fassi, ont ainsi mené une véritable campagne électorale : meetings à travers le pays, discours enflammés, campagnes médiatiques savamment orchestrées par presse interposée y compris les médias électroniques et les réseaux sociaux. Il y a eu une guerre médiatique à proprement parler. Une guerre des chiffres également. D’un côté comme de l’autre, on brandit comme un trophée de guerre le nombre de militants ayant répondu présent, ici et là, dans chaque meeting. On met en avant surtout leur qualité, les membres du conseil national et les élus sont plus courtisés. Il y a eu également quelques piques de part et d’autre, mais rien de bien méchant. En tout cas, dans le contexte politique marocain. Une campagne à l’américaine, en somme. Avec bien entendu tout ce que cela suppose comme budget et dépenses.
Une démocratie à haut risque
La direction du parti, que ce soit le conseil de la présidence, le comité exécutif sortant, mais amené à gérer la phase transitoire ou le «comité de réconciliation» créé au lendemain du premier round du congrès (les 13, 14 et 15 juillet), n’a pas seulement laissé faire, elle a contribué, à son niveau, à cet exercice de démocratie interne. Elle a tenu et veillé à ce que la liste des membres du conseil national, la base électorale qui désignera le futur secrétaire général et les membres du futur comité exécutif, soit apurée et publiée par le journal du parti. De même que l’élection qui aura lieu ce 23 septembre au palais des congrès à Skhirat, se fera par carte magnétique pour barrer le chemin à toute velléité de contestation des résultats des élections. Bien plus, elle a poussé cette rigueur démocratique un peu plus loin : les 26 membres du comité exécutif dont au moins six femmes et quatre jeunes de moins de 40 ans, seront désignés par un scrutin de liste à bulletin unique.
C’est, en somme, un exercice de démocratie partisane inédit et, de surcroît, signé par un parti dit conservateur. Mais, pour quel résultat ? Le suspense subsistera jusqu’au bout.
C’est-à-dire jusqu’à ce 23 septembre. Voilà pour le décor. Qu’en est-il pour son envers ? On peut déjà dresser des scénarios de l’après-23 septembre. Il en existe, en effet, trois. Chacun suppose ses propres risques. Dans tous les cas, les quatre prochaines années seront difficiles, pour reprendre les termes d’un dirigeant du parti. Pour ce même responsable, malgré les garanties avancées par chacun des deux côtés et la bonne foi dont ils ont fait montre, l’Istiqlal ne sera certainement plus comme avant. C’est que les militants du parti n’ont pas peur de la démocratie en elle-même, mais de ses conséquences. «Les conséquences de cette démocratie sont-elles maîtrisables ? Sera-t-on capable de diluer les partisans de Hamid Chabat ou d’Abdelouahed El Fassi ou ceux qui ne sont ni pour l’un ni pour l’autre dans les mêmes institutions, dans un même comité exécutif ? Il me semble que c’est difficile. La revanche et la rancune sont humaines, mais surtout marocaines». C’est par ces termes qu’un dirigeant du parti résume la situation actuelle et l’avenir proche de l’Istiqlal. C’est que, explique la même source, en sept mois de campagne acharnée et sans merci, depuis que le comité exécutif a décidé de tenir un congrès extraordinaire, la fissure a atteint les niveaux les plus bas de la formation de Allal El Fassi.
Fini le mérite et la compétence, place aux alliances
«Aujourd’hui on retrouve les trois clans dans pratiquement toutes les instances, les antennes locales, les organes parallèles, … Bref, à tous les échelons du parti. L’Istiqlal est-il suffisamment mûr et armé d’outils nécessaires pour pouvoir colmater ses fissures ? Les militants pourront-ils se remettre au travail avec le vainqueur, au lendemain du 23 septembre, et faire comme si de rien n’était ? J’en doute», s’inquiète ce responsable du parti. Pour preuve, et c’est une annonce faite par le candidat Abdelouahed El Fassi, en personne, s’il perd, les membres de son clan, la famille El Fassi et ses alliés vont se retirer. Ils ne vont pas quitter le parti, mais ils n’ont pas non plus l’intention de se présenter au comité exécutif et donc de participer à la gestion du parti. Ce qui laisse entendre que, dans ce cas, le comité exécutif serait formé sinon entièrement du moins majoritairement des partisans de Hamid Chabat. Le résultat sera similaire dans le scénario opposé. Si Abdelouahed El Fassi venait à être élu secrétaire général, et ses alliés sont majoritaires au sein du comité exécutif, quelle sera la réaction de Hamid Chabat ? Le comité exécutif continuera-t-il à représenter le parti si la moitié des militants (les partisans de Hamid Chabat) en étaient évincés ? C’est certain, «nous allons certainement déboucher sur une situation des plus dangereuses», affirme ce dirigeant.
Une chose est sûre : ce dimanche 23 septembre, les 998 membres du conseil national ne vont pas voter selon les compétences, l’ancienneté, la valeur ajoutée que pourra apporter chacun des candidats au comité exécutif. Les futurs membres de la plus haute instance exécutive du parti seront choisis selon leur appartenance à l’un ou l’autre clan. Et ce sera l’un des côtés obscurs de cette démocratie interne, version Istiqlal.
De même, «nous avons certes été témoins d’une campagne électorale à l’américaine, mais avons-nous la maturité politique américaine ? Si nous étions démocrates dans le sang le risque serait négligeable sinon nul. Mais la réalité est tout autre. Un parti aussi traditionnel et conservateur comme l’Istiqlal pourra-t-il sortir indemne d’un tel exercice ? C’est tout ce que nous souhaitons», ajoute ce responsable du parti.
Deux hommes politiques, deux styles opposés
L’Istiqlal présente une autre réalité : depuis la scission, en 1959, de l’UNFP, les mécontents ne quittent plus le parti. «Ils se retranchent chez eux et commencent à rouspéter et objecter contre tout et rien», observe cette source du parti. En d’autres termes, ce sera une guerre d’usure avec lavage régulier de linge sale dans la presse. Et ce n’est pas le seul danger auquel s’expose le parti. «Il faut s’attendre dans l’immédiat à une vague de vengeances contre le clan vaincu», affirme cette source. Bien sûr, dans l’un comme dans l’autre clan on rejette avec énergie cette éventualité. Dans celui d’Abdelouahed El Fassi on assure que rien de cela ne va se passer, alors que les proches de Hamid Chabat s’engagent pour qu’«aucun responsable ne risque de perdre sa place». C’est que Hamid Chabat est déjà, en quelque sorte, passé par là. «Rappelez-vous lorsque Abderrazak Afilal a été évincé de la tête de l’UGTM (NDLR, en janvier 2006), il n’y a pas eu de vindicte et tous les responsables qui l’avaient soutenu sont restés à leur poste», affirme Abdelkader El Kihel, député et secrétaire général de la jeunesse, qui ne fait plus mystère de sa proximité avec le maire de Fès.
Cela étant, observe un responsable du parti, «les deux rivaux peuvent très bien mettre fin à leur différend par une accolade, cela ne va pas pour autant mettre fin aux hostilités entre leurs partisans à tous les niveaux du parti». C’est pour dire que la cohabitation entre les deux clans est quasiment impossible. Ce sont deux styles différents, deux manières de voir diamétralement opposées. On l’aura vu, même dans leurs campagnes, les deux hommes se sont distingués chacun par sa méthode, ses outils et ses appuis. Hamid Chabat, en syndicaliste aguerri, a axé sa campagne sur la mobilisation des masses : toutes ses rencontres (8 au total) ont eu lieu dans des lieux publics et dans des locaux appartenant au parti ou au syndicat. Et comme dans toutes les campagnes de mobilisation de masse, Hamid Chabat a même élaboré un programme d’action qu’il promet de déployer une fois secrétaire général et qu’il a même pris soin de traduire en tamazight avant de le diffuser largement.
A l’opposé, Abdelouahed El Fassi, très fort en organisation, a centré sa campagne sur les individus et les personnalités influentes. Pendant toute sa campagne, la notion de famille, comme il se plaît à présenter le parti, a été très présente. Toutes ses rencontres ont été organisées dans les domiciles des notables et grandes familles du parti. Dans ce genre de démarche, il n’est pas besoin de disposer ou d’exposer un programme.
Il va sans dire que pendant cette campagne d’un peu plus de deux mois, les deux hommes ont échangé bien d’amabilités. La presse, les médias électroniques, les réseaux sociaux ont été largement exploités dans ce duel sans précédent dans un parti où le consensus a été le maître mot dans tous les moments forts par lesquels il est passé. Et ce duel se poursuivra jusqu’au dernier jour. Car tout porte à croire que personne ne viendra s’interposer entre les deux candidats rivaux. La tentative, il y a quelques jours, de M’Hammed El Khalifa de se proposer comme alternative a été un échec.
Qu’en est-il donc pour cette fameuse troisième voie ? Le comité de réconciliation formé, à l’initiative des parlementaires, avait suggéré le désistement des deux candidats rivaux au profit d’une troisième personnalité qui fera objet de consensus. La proposition a été rejetée. Le conseil de la présidence a laissé ouverte la porte des candidatures, mais sans pour autant contraindre les deux candidats déclarés à se retirer. A priori, tous ceux qui répondent aux conditions exigées (avoir été élu au dernier comité exécutif) peuvent se présenter. Sauf que les choses ne sont pas aussi simples. Toufiq Hejira, présenté par nombreux observateur comme le candidat salvateur, en sait quelque chose. Il a été accusé à tort, dans la presse, de détournement de fonds. Depuis, par peur d’être «massacré», aucun des candidats pressentis ne s’est finalement manifesté. Il faut dire également qu’aucun des prétendants postulants ne dispose d’assez de moyens pour mener une campagne électorale. On cite pour exemple le dernier meeting organisé, dimanche 16 septembre, par Hamid Chabat : plus de 10 000 participants transportés depuis les quatre coins du pays à bord de 190 bus. «Il faut compter au moins 10 000 DH par bus, en plus de la nourriture des participants. Combien de militants peuvent mobiliser un budget pareil ?», s’interroge ce dirigeant du parti. On pourrait dire de même des nombreux banquets organisés par Abdelouahed El Fassi et ses alliés à travers le pays.
Pour les proches de Chabat, l’essentiel c’est que ce «mega-meeting» aura donné des résultats. La preuve : «634 membre du conseil national (sur 998), 75 parlementaires dont 30 conseillers de la deuxième Chambre, 12 secrétaires régionaux, des ministres, des responsables du syndicat ont été présents lors de cette manifestation», affirme-t-on dans l’entourage de Hamid Chabat. Aujourd’hui le maire de Fès dit compter sur 550 membres du conseil national dont les votes lui sont acquis à 100% . Il va sans dire que ces chiffres ont été contestés par l’autre camp qui revendique pour sa part la majorité des votants. En attendant le verdict des urnes, l’Istiqlal aura montré la voie à des partis qui se disent progressistes. L’USFP entre autres.
