Pouvoirs
Les quatre faits nouveaux
L’Onu change de ton envers le Maroc et l’idée du référendum
est définitivement enterrée.
Le Maroc accepte les «mesures de confiance» et poursuit ses discussions
avec James Baker.
Les discussions Maroc-Algérie auront probablement lieu après la
tenue des présidentielles chez nos voisins.

«Plus qu’un glissement sémantique». Notre confrère Naïm Kamal a trouvé le mot juste (L’opinion du 27 janvier) pour qualifier le changement de ton dans le discours onusien vis-à-vis du Maroc. Le style aux relents d’ultimatums et les sommations à peine voilées contenues dans la résolution 1 495 du 30 juillet 2003 ne sont plus de mise. Mais l’atteinte est encore vive.
Toutes les forces vives de la Nation s’étaient mobilisées pour défendre l’intégrité territoriale du pays mise en danger par le Plan Baker II. La volonté d’imposer ce plan comme solution définitive au conflit du Sahara a finalement fait long feu.
Quels sont les faits nouveaux intervenus dans ce dossier durant les trois derniers mois ? Citons-en au moins quatre : prorogation du mandat de la Minurso jusqu’au 30 avril 2004 ; départ de la Commission d’identification de la Minurso du Sahara ; acceptation par le Maroc des mesures de confiance ; poursuite des discussions entre James Baker et le Maroc, sans parler de la persistance de l’attitude anti-marocaine de l’Algérie officielle.
Le Conseil de sécurité, comme il le fait tous les trois mois, a planché de nouveau sur l’affaire du Sahara. La teneur du rapport du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, sur cette question confirme ce changement de ton, comme on peut le vérifier à la lecture de la conclusion de ce rapport. «Suite aux entretiens qu’il a eus avec la délégation marocaine, le 23 décembre 2003, mon envoyé spécial est d’avis que le mandat de la Minurso devrait être prorogé jusqu’au 30 avril 2004 afin de lui donner le temps de tenir de nouvelles consultations avec le Maroc au sujet de la réponse finale de ce pays concernant le plan de paix. Je me range à son avis et espère qu’il recevra la réponse finale du Maroc d’ici à la fin du mois d’avril 2004».
En effet, James Baker, chargé de l’affaire par M. Annan, demande un répit de trois mois pour mener de front les discussions avec le Maroc et l’épineux dossier de la restructuration de la dette irakienne, dont il a été chargé par Georges W. Bush.
Ni indépendance, ni intégration totale… Tout le reste se discute
Un répit, pourquoi faire ? Tout simplement pour poursuivre les discussions ouvertes le 23 décembre 2003 avec la délégation marocaine afin de parvenir à un plan de paix. Lequel ? Ce qui est sûr, c’est que le Maroc refuse toujours, aussi catégoriquement qu’auparavant, le Plan Baker II. Un plan qui ouvre la voie à l’indépendance, via le référendum d’autodétermination. Mais, notre pays ne peut s’offrir le luxe de se réfugier dans une attitude de refus et attendre des jours meilleurs. Alors que propose-t-il ?
La réponse du ministre délégué aux Affaires étrangères et à la Coopération, Taïeb Fassi Fihri, n’a pas varié depuis des mois. Sa réponse est claire et concise : «Le Maroc avait accepté le principe d’une solution politique. C’est-à-dire l’autonomie du Sahara dans le cadre de la souveraineté marocaine. Le statut futur du Sahara doit être une formule intermédiaire entre l’intégration pure et simple au Maroc et l’indépendance totale. Tout en restant ouvert sur les modalités d’application et l’étendue de cette autonomie, nous n’avons jamais transigé sur la souveraineté marocaine sur le Sahara». Sur les contours prévisibles de ce statut, motus et bouche cousue. Personne n’ose encore s’aventurer sur ce terrain. Il en va de la confidentialité des négociations.
En d’autres termes, le Maroc rejette toute idée de référendum d’autodétermination pouvant déboucher sur l’indépendance du Sahara. Et il va de soi que toute solution devra être négociée et avoir l’accord préalable du Maroc et des autres parties concernées, dont l’Algérie principalement.
A-t-on avancé sur la voie de la prise en compte de la position marocaine ? Assurément, mais de manière indirecte, pourrait-on dire. Le départ de la composante civile (les experts) de la Commission d’identification de la Minurso, le 31 décembre 2003, confirmé par le rapport de M. Annan, est passé pratiquement inaperçu. Et pourtant, ce départ revêt une importance cruciale.
Retour sur les bases du plan Baker I
La fin de la mission de ces experts de la Commission est l’aveu onusien d’un échec. Celui du processus d’identification des Sahraouis qui a conduit à l’abandon du Plan de règlement, fondé sur le référendum d’autodétermination. C’est bien parce que ce Plan de règlement a débouché sur une impasse que l’on a emprunté la voie d’une solution politique : le Plan Baker I, accepté par le Maroc, mais rejeté par l’Algérie et le Polisario. Le départ de la Commission de la Minurso est donc bien l’enterrement, dans la discrétion, du Plan de règlement.
Cela signifie que tout le monde se mobilise, les Nations Unies en premier, pour la recherche d’une nouvelle solution politique, qui prend le relais du Plan de règlement initial, puisque la ressource humaine chargée de le mettre en œuvre a plié bagage. Mieux encore, le Plan de règlement a désormais disparu de tout le référentiel onusien pour la solution du conflit du Sahara.
Par ailleurs, l’un des points forts du rapport de Kofi Annan réside dans l’encouragement à la mise en œuvre de «mesures de confiance réciproques» entre le Maroc et le Polisario. En quoi consistent-elles ? Il s’agit d’un package d’échanges de courrier, de conversations téléphoniques, de visites familiales de part et d’autre de la frontière maroco-algérienne. «Le Maroc a dit oui à ces mesures de confiance par le passé et vient de le confirmer tout récemment», a affirmé Taïeb Fassi Fihri dans une déclaration diffusée sur 2M, lundi 26 janvier.
«Ces mesures sont destinées à faciliter les contacts individuels entre les réfugiés des camps de Tindouf en Algérie et leurs communautés d’origine au Sahara occidental», affirme M. Annan dans son rapport devant le Conseil de sécurité.
Nous sommes bien dans une logique de réfugiés installés et retenus en Algérie
Pour l’échange de courrier, cela ne pose pas de problème particulier. Si ce n’est que la partie marocaine insiste pour que la collecte et la diffusion du courrier se fassent par les services de la Poste marocaine, Barid Al Maghrib en l’occurrence, et non par le HCR (Haut commissariat aux réfugiés)
Pour l’échange de communications téléphoniques, les problèmes se posent du côté algérien. Si nos concitoyens des provinces du Sud peuvent librement téléphoner à partir de leurs téléphones fixes ou mobiles, du côté algérien, le flux des communications est acheminé vers des cabines téléphoniques du HCR à Tindouf. Le flux est tellement intense qu’il est difficilement gérable par le HCR.
De plus, ces lignes téléphoniques avaient déjà fonctionné le 16 avril 2003, pour s’interrompre le lendemain, faute de soutien algérien. Depuis, elles ont repris avec Tindouf, mais au profit d’un seul camp, celui du «27 Février», connu pour abriter les officiels et privilégiés du Polisario. Pour ce qui est de l’échange de visites familiales, le Maroc a notifié son accord à condition qu’elles bénéficient à tous les Marocains qui auraient de la famille sur le territoire algérien et pas seulement à ceux qui seraient déjà inscrits sur les listes d’identification de la Minurso. Ces échanges concerneraient une vingtaine à une trentaine de personnes à la fois et pendant une semaine.
Cependant, l’Algérie et le Polisario n’ont pas encore donné de réponse au HCR. Enfin, les experts du ministère des Affaires étrangères estiment que, s’il y a accord du côté algérien, il faudra au moins deux semaines de préparation avant le démarrage effectif de ces visites familiales. Sur cette question des échanges de visites familiales, deux remarques peuvent être faites, au passage. La première concerne la reconnaissance de fait que nous sommes bien dans une logique de réfugiés installés et retenus en Algérie. La seconde concerne l’insistance marocaine pour que ces échanges ne soient pas limités aux seules personnes inscrites sur les listes provisoires de la Commission d’identification de la Minurso. En insistant de la sorte, notre diplomatie fait en sorte que les résultats du processus d’identification ne s’imposent pas à toutes les opérations onusiennes dans ce conflit.
L’Algérie pousse le bouchon trop loin
Cela dit, le Maroc est favorable à une solution politique. Est-ce le cas de l’Algérie ? Difficile de le dire quand on voit les gestes, les actes ou les déclarations de son président ou de son représentant à l’ONU. Commençons par le chef d’Etat algérien. Abdelaziz Bouteflika a choisi le 11 janvier 2004 pour se rendre en visite à Tindouf où sont situés les camps du Polisario. La presse algérienne, elle-même, n’a pas manqué de relever la portée symbolique d’une telle visite.
Ainsi, Le Quotidien d’Oran, daté du 11 janvier, écrivait : «En visitant Tindouf le jour de la célébration du 60e anniversaire du Manifeste de l’indépendance du Maroc, le Président Bouteflika envoie un message clair au roi Mohammed VI à propos des velléités marocaines sur le Sahara Occidental».
M. Bouteflika n’en est pas à son coup d’essai. Rappelons que le 27 février 2002, sa visite à Tindouf a été officiellement qualifiée par le gouvernement algérien de «visite d’Etat» à la RASD. Ce qui constituait une réponse à la tournée royale dans les provinces du Sud du Royaume qui avait eu lieu quelques jours auparavant. Une RASD qui a vu près de 70 pays lui retirer leur reconnaissance, celle d’une république fantomatique.
Le représentant permanent de l’Algérie auprès des Nations Unies, Abdellah Baâli, dont le pays est entré pour deux ans au Conseil de sécurité depuis le 1er janvier 2004, a, lui, cru bon de déclarer dans un entretien accordé au quotidien espagnol ABC, le 21 janvier, que «le conflit du Sahara est un problème de décolonisation qui doit être résolu à travers un référendum d’autodétermination».
En guise de conclusion, nous dirons que le Maroc ne cherche nullement à gagner du temps. Il est prêt pour avancer vers une solution politique négociée et, pour cela, il est prêt à prendre des risques. Le statu quo n’arrange pas notre pays parce qu’il crée des problèmes au Maroc, entrave le développement de bonnes relations avec l’Algérie et handicape sérieusement l’édification du Maghreb. Espérons qu’au lendemain des élections présidentielles en Algérie, en avril prochain, l’état d’esprit sera tout autre et permettra aux deux pays de trouver une solution négociée conforme à leurs intérêts mutuels
