Pouvoirs
Les petits partis ont-ils une chance pour 2007 ?
Effritement partisan : le record de 2002 est déjà dépassé.
La transhumance sera favorable
aux petits partis.
La loi sur les partis défavorisera-t-elle les alliances entre grandes
formations ?

L’arrivée de la loi sur les partis aura-t-elle accéléré lacréation de formations politiques? A 18 mois des législatives, le nombre de partis dissous dans les fusions (MNP, UD, GSU) aura été largement compensé par l’arrivée de nouveaux acteurs sur la scène politique marocaine. D’Al Badil Al Hadari, de Mustapha Al Moâtassim, chaînon manquant entre les islamistes et la gauche, en passant par Annahda wal Fadila, le Parti travailliste marocain et bien d’autres, ces formations, dont certaines n’ont pas encore reçu le feu vert du ministère de l’Intérieur, semblent n’être que les premières nées de la génération 2007.
Le Maroc semble en effet parti pour battre le record de 2002, où pas moins de 31 partis formaient le champ politique. Parmi eux, 26 s’étaient présentés aux élections. Aujourd’hui, on approche les 36 partis. Y a-t-il de la place pour tout ce monde sur l’échiquier politique marocain ? «Si j’obtiens moins de 5%, je ferme boutique, du moins en tant que premier responsable du parti», tranche Thami Khyari, secrétaire général du Front des forces démocratiques, qui promet toutefois qu’«il va y avoir des surprises en 2007». Combien seraient prêts à suivre son exemple en cas d’échec ?
Rien n’empêchera la prolifération des petites formations
«C’est une opération chirurgicale qui va se faire sur le champ politique, je ne suis pas sûr que certains partis politiques vont survivre, mais cela dépend énormément de la loi électorale», prévient Ahmed Jazouli, président du Centre de démocratie, autrement dit le fatidique seuil du nombre minimal de suffrages remportés (3% lors des élections précédentes). «Quant au PPS, rajoute M. Jazouli, peut-être qu’il va survivre, parce qu’il a déjà eu plus de 5%, mais pour les partis qui n’ont d’existence que par le nom de leur fondateur, je ne pense pas qu’ils vont résister à ce seuil».
Verra-t-on disparaître des partis comme la vénérable UNFP, retirée de la vie publique depuis bien longtemps déjà ? En sera-t-il de même pour la nuée de «hizbicules» dont on n’a plus entendu parler après 2002 ? Au-delà des données-clés qui devront déterminer les alliances de demain, comme le code électoral, la loi sur les partis va-t-elle enfin permettre la réduction des effectifs actuels ? «La loi sur les partis peut aider, mais ce n’est pas une solution miracle pour réduire la prolifération des petits partis», prévient Rkia Al Mossadeq, professeur à la faculté de droit constitutionnel et sciences politiques à l’université Sidi Mohamed Benabdallah, à Fès. En effet, même si certains se plaignent que les grands partis soient favorisés par la nouvelle loi, cette dernière avantage en fait les petits car elle les amène à s’allier, offrant un petit pactole à ceux qui auront récolté 5% de voix ou plus, un pourcentage pourtant jugé insuffisant par Abdelmajid Bouzoubaâ, secrétaire général du Congrès national ittihadi, qui estime que tous les partis devraient être aidés. «Actuellement, pour qu’un parti puisse s’exprimer, mener une activité normale, il faut qu’il y ait un financement qui soit garanti pour tous les partis. Or, la loi n’avantage pas les partis qui ne sont pas actuellement au gouvernement ou au Parlement», prévient-il. Et d’ajouter : «Quand on fait une course, si on ne donne pas les mêmes chances aux coureurs dès le départ, il se peut qu’il y ait des coureurs de fond qui n’atteignent pas l’arrivée. En revanche, si on donne les mêmes chances à tous, on peut se retrouver avec une carte politique qui, après les élections, révèle la réalité du champ politique marocain».
Pluralisme contre stabilité gouvernementale
Par ailleurs, la nouvelle loi met fin à l’une des plaies de la vie politique marocaine : la transhumance, qui, à plusieurs reprises, a coûté leurs rares élus à ces petites formations, lorsque ces derniers, leur mandat en poche, émigraient ensuite vers les grandes. Un véritable ouf ! de soulagement pour Mohamed El Idrissi, secrétaire général du Parti de l’action, qui explique que son parti, qui disposait d’un groupe de 13 députés, les aura pratiquement tous perdus à cause de ce phénomène. Bien au contraire, la loi devrait établir une migration d’un nouveau type : étant donné qu’elle oblige les partis, dans le cadre d’alliances, à présenter des candidatures communes dans les trois quarts des circonscriptions, ces derniers seraient obligés d’opérer une sélection parmi leurs candidats. Du coup, les élus potentiels écartés, favorisés dans un pays où l’on vote plus pour les individus que pour les programmes, pourront passer aux petits partis, sans pouvoir en changer par la suite, en cas de succès. «Plus il y a de blocs, plus il y a d’alliances, et mieux cela vaudra pour nous, car cela limitera les possibilités d’accréditations», résume Mohamed El Idrissi, secrétaire général du Parti de l’action.
Ainsi, loi sur les partis ou pas, 2007 semble devoir confirmer l’explosion partisane de 2002. Cette année-là, les élections, présentées comme les plus transparentes qui aient jamais eu lieu, ont eu une autre signification, plus profonde. «L’importance des élections de 2002 est qu’elles ont légitimé le multipartisme marocain. Après les élections de 2002, on ne peut plus parler des partis de l’Administration», explique Mohamed Darif, politologue (voir entretien en page 38) : «Maintenant, il n’y a plus de partis de l’Administration. Ce sont tous des partis qui sont arrivés à leurs résultats via des élections libres». On remarquera au passage la dégringolade magistrale de certains partis comme l’UC, jusque-là très présents sur la scène politique, malgré les purges effectuées dans leurs rangs pour se débarrasser des proches de l’ancien système. Toutefois, même dans cette nouvelle ère, la fin des partis de l’Administration aura laissé des traces, et l’existence de partis qui n’auront pas grandi en fait partie. Propulsés pour contrer l’influence de l’opposition, ces partis auront «bénéficié d’un appui politique et matériel dont les petits n’auront pas profité», souligne Mohamed El Idrissi. Mustapha Moâtassim, leader d’Al Badil Al Hadari, va plus loin. «Nous sommes conscients que nous sommes un petit parti, explique-t-il, car il y a des contraintes, des problèmes auxquels nous avons été confrontés depuis des années. Un groupe de militants se sont fatigués ou ont eu peur de nous rejoindre, mais c’est une chose que nous allons tenter de réparer à l’avenir car nous apportons une vision, des idées, un programme politique dont nous estimons qu’il peut correspondre à une large part de l’opinion marocaine».
Les partis importants défavorisés ?
Pourtant, l’application de la loi sur les partis politiques soulève déjà des critiques. «Dans le tout premier avant-projet, il était spécifié qu’un parti, s’il ne participe pas aux élections à deux reprises, est dissout. Mais cette disposition n’existe plus», explique M. Darif. «Aujourd’hui, tout est seulement lié au soutien financier. Si un parti n’organise pas son congrès au bon moment, si le parti ne participe pas aux élections, il ne bénéficie pas du soutien financier. Il n’y a plus de risque de dissolution s’il ne participe pas aux élections», ajoute-t-il. Normal, il ne s’agit pas de renforcer les prérogatives de l’Administration sur les partis. Du coup, au-delà de l’impact financier, rien ne force vraiment ces partis à changer leurs habitudes.
Certains pointent déjà du doigt le congrès de fusion des partis harakis (MP, MNP et UD), qui aurait été entaché de plusieurs irrégularités par rapport à la loi en question (désignation des leaders avant le bureau politique, etc.). La loi sur les partis politiques serait-t-elle bien faite mais mal appliquée, à l’instar de la loi sur les libertés de 1958 ?, s’inquiète Mohamed Darif. Il existe cependant déjà un article dans la loi (a.52) qui prévoit la suspension des partis en cas d’inobservation des formalités de la loi.
Au final, la perspective des élections changera-t-elle vraiment les choses ? «On ne va pas avoir un changement radical mais relatif, il ne faut pas croire qu’on va aller loin en ce qui concerne les alliances entre les partis politiques. […] Il se peut qu’il y ait des changements au niveau des alliances politiques, mais après les élections», explique M. Darif. Et de poursuivre : «Les partis puissants vont rester au Parlement, les petits partis en dehors. […] Les partis qui vont obtenir les 5% de voix aux élections vont bénéficier du soutien de l’Etat, ceux qui ne vont pas l’obtenir vont continuer à se dire dans l’opposition, car la seule chose qui va encourager les gens à se présenter en 2007, ce sont les alliances».
Toutefois, d’autres éléments suscitent une inquiétude. «Lorsqu’on a plusieurs partis minoritaires, on risque de balkaniser la scène politique et d’arriver après les élections à une situation telle que la formation d’un gouvernement deviendra plus délicate», prévient Ahmed Jazouli. Selon lui, la gestion de la chose publique sera difficile avec un système trop ouvert.
Par ailleurs, le système des alliances, tel qu’il est établi par la loi, ne risque-t-il pas de défavoriser les partis importants au profit des petits ? En effet, ces derniers sont encouragés à former des alliances, malgré les frictions que cela va entraîner, alors que les grands, qui risqueraient de perdre un nombre notable de militants-clés, en sont dissuadés.
Les libéraux hier, les islamistes aujourd’hui
Ilest normal que les périodes d’élections soient propices à l’émergence de nouveaux partis, explique Rkia Al Mossadeq, auteur de «Mou’ataf al nizahat al intikhabia» (Edition Najah Al Jadida). En fait, cette tendance a toujours été observée au Maroc puisque, dès 1957, Maurice Duverger avait noté, dans une étude commandée par feu Mohammed V, que le Maroc possédait, en plus du parti de l’Istiqlal, pas moins de quatre autres partis. Pourtant, à l’époque, la mode était au parti unique. Toutefois, à partir de 2002, on assistera à une hausse vertigineuse du nombre de partis, parfois à la va-vite : congrès constitutifs de deux heures ou moins (Al Ahd, Initiative citoyenne pour le Développement, Parti libéral réformateur – cf «La Vie éco» du 5/04/2002), programmes flous… bon nombre de ces derniers auront d’ailleurs très vite fait de disparaître des mémoires. Certains parviendront toutefois à s’accrocher tant bien que mal. Ainsi, Forces citoyennes qui, grâce à son numéro 1, Abderrahim Lahjouji, a pu s’imposer comme concurrent idéologique face à l’UC sur la question du libéralisme, et qui, même s’il a perdu ses premiers députés à cause de la transhumance, aura trouvé le moyen de refaire parler de lui en s’amarrant au PJD. On remarquera au passage que, si 2002 a été l’année des partis libéraux, 2007 semble bien partie pour être celle des islamistes.
