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Pouvoirs

Les partis politiques se mettent à  la compta

Les normes comptables ont été préparées par les ministères de l’intérieur et des finances.

L’application pour l’instant n’est pas obligatoire tant qu’elle n’a pas été publiée au Bulletin officiel.

Les partis recevront chacun
un logiciel et un manuel de procédures comptables.

Des cadres partisans seront formés par l’administration au nouveau plan.

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Glissée entre un dahir de nomination et un arrêté ministériel dans le Bulletin officiel du 29 janvier 2009, l’annonce était discrète. Pourtant, ses cinq lignes promettent d’avoir un impact non négligeable sur la scène partisane. Selon le décret 2.08.625 du 13 janvier 2009, les ministres de l’intérieur et de l’économie et des finances ont désormais le pouvoir de fixer un plan comptable spécifique aux partis politiques, en consultation avec le Conseil national de la comptabilité (CNC). Ils auront aussi pour mission de veiller à son application. Annoncé par la loi 36-04 sur les partis politiques, ce plan comptable aura pour objectif de clarifier la gestion financière des partis qui, jusque-là devaient présenter leurs comptes sur la base de plans comptables inadaptés. Pour le moment, cette nouvelle norme n’a pas encore été publiée au Bulletin officiel, étant encore au stade de la signature chez les ministères concernés. Toutefois, à deux mois du 31 mars, date limite pour la présentation des comptes annuels des partis au titre de l’année 2008 à la Cour des comptes, la publication du décret 2.08.625 ressemble à s’y méprendre à une invitation à appliquer le nouveau plan comptable avant même qu’il ne devienne obligatoire.
Certains partis, à l’instar du PSU, ne se sont d’ailleurs pas fait prier pour le faire, et ils ne devraient pas tarder à faire des émules. «J’ai été peiné de voir présenter un de nos premiers rapports sur le modèle du compte de produit et de charge, normalement destiné aux entreprises, qui n’est pas du tout adapté aux partis politiques», explique Mohamed Soual, membre du bureau politique du PPS. Ahmed Siba, trésorier du PSU, confirme : «Avant, par exemple, si l’un d’entre nous devait se rendre à l’une des sections du parti, il lui fallait signer une décharge pour ses frais de déplacement et de restauration. C’était à difficile de justifier».

Limiter l’influence des individualités au sein des partis
Le nouveau plan devrait, désormais, se caractériser par des rubriques plus adaptées aux partis. Il devrait surtout permettre une gestion financière plus transparente de leurs finances, en particulier les fonds alloués par l’Etat. Enfin, il devrait aussi et surtout «limiter l’influence des individualités dans les partis», comme l’explique Miloud Stoti, expert-comptable et membre du Comité permanent du CNC. En d’autres termes, avec ce nouveau système, il sera difficile pour certains gros bonnets de dominer des partis politiques grâce à leurs portefeuilles. En effet, l’une des spécificités de ce plan consiste en l’obligation pour les partis politiques de préciser l’identité de tous leurs donateurs, ainsi que le montant des donations effectuées, sachant que ces dernières sont limitées sur le plan de la quantité et du temps. De même, poursuit M. Stoti, l’on devrait avoir une plus grande visibilité concernant les subventions distribuées par les partis politiques aux associations et fondations.
Du côté des trésoriers, l’on se frotte déjà les mains à l’idée des applications potentielles du nouveau plan. Pour Thami Soussi, trésorier du RNI, le nouveau document devrait permettre avant tout d’assouplir la passation des comptes entre les directions successives des partis, d’autant plus que le livre-journal et le grand livre doivent être validés par le greffier du tribunal. Les contestations de l’usage du budget par les militants au moment des congrès devraient ainsi en être largement réduites. Et les choses ne s’arrêtent pas là. «Avec ce texte, le parti disposerait d’un tableau de bord qui lui permettrait d’établir des ratios et ainsi informer les décideurs du parti sur son taux de solvabilité, les possibilités et le niveau d’endettement. Un tel plan nous permettrait d’élaborer un certain nombre de critères pour la gestion des finances du parti au présent, mais pour établir des prévisions», explique M. Soussi, émettant l’espoir que le nouveau document permette aux formations de faire des emprunts, et facilite ainsi leurs investissements. Et d’ajouter : «Jusque-là, un grand problème se posait pour les partis dans la mesure où ces derniers n’étaient pas bancables, faute de certains documents. Pour emprunter auprès d’une banque, il fallait présenter un document comptable en bonne et due forme. Or, généralement, on n’a pas recours à une banque pour des dépenses de fonctionnement mais pour investir, construire un siège. J’espère que ce problème ne se posera plus». Bien plus, explique-t-il, le plan pourrait également constituer un outil stratégique dans la mesure où il permettrait aux partis d’apprécier leurs performances en fonction de leurs « investissements » dans différentes régions, par exemple en cas d’achat d’un local…

Un plafond de dépenses de 50 000 DH par candidat aux communales
Ainsi, la publication du plan n’est plus qu’une affaire de semaines. Toutefois, le document en lui-même est prêt depuis plus d’un an. «La loi sur les partis politiques de 2006 a prévu que ces derniers soient dotés d’une comptabilité normalisée, et que leurs comptes soient certifiés par des commissaires aux comptes, à l’instar des sociétés. Une demande avait dès cette époque-là été adressée au Conseil national de la comptabilité (CNC), le normalisateur comptable national», explique Mehdi El Youssfi, chef de la division de la normalisation comptable à la direction des entreprises publiques et des privatisations (DEPP)  et membre du CNC. Après un passage par les commissions techniques, une validation par le comité permanent, le plan comptable a été adopté par l’assemblée plénière du CNC le 23 mars 2007. Ce n’est que récemment qu’il a repris son chemin dans les rouages de l’Etat : le 19 novembre 2008, il était adopté par le conseil de gouvernement (décret 2-08-625) avant d’être validé le 26 novembre, par le Conseil des ministres.
Désormais, conformément aux recommandations du CNC, le plan comptable unifié devrait être accompagné d’un logiciel spécifique à la comptabilité partisane et d’un manuel de procédures comptables, qui devraient bientôt faire l’objet d’un appel d’offres. Il est également questions de former des militants de partis politiques à la gestion des comptes, conformément à la nouvelle norme.
Décidément, les partis marocains reviennent de loin. Avant la loi sur les partis politiques, ils dépendaient du code des associations de 1958 et ne pouvaient même pas détenir de biens immobiliers ou de comptes bancaires en leurs propres noms. Depuis trois ans, on a vu l’apparition d’une série de règles destinées à clarifier et renforcer leur organisation interne, notamment sur le plan financier. Promulguée en février 2006, la loi sur les partis politiques les a non seulement obligés à déposer leurs fonds en leur nom propre auprès d’un établissement bancaire, mais aussi à tenir une comptabilité, et présenter des comptes certifiés tous les ans. De même, les sources de financement des partis ont été précisées et les aides provenant des organismes dépendants de l’Etat, autres que les aides officielles aux partis politiques, annuelles ou spécifiques aux périodes électorales, interdites. Enfin, le reste des fonds reçus par les partis – cotisations des membres, dons, legs et libéralités, en numéraire ou en nature -se sont vus imposer un plafond de 100 000 DH par an et par donateur. Plus tard, les réformes du code électoral effectuées en 2007 et plus récemment en 2009 sont venues apporter des précisions supplémentaires. L’on notera ainsi, entre autres, que si pour les élections législatives de 2007 les candidats n’avaient pas le droit de dépenser plus de 250 000 DH, pour les élections communales de 2009, ils ne devront pas dépasser les 50 000 DH. Enfin, en plus de présenter des justificatifs pour leurs dépenses (frais d’impression d’affiches, tenue de réunions électorales, etc. ), les candidats se doivent, à partir de cette année, de donner un descriptif détaillé des sources de financement de leurs campagnes.
Malgré l’introduction de toutes ces nouvelles règles, jusqu’à présent, aucun des partis politiques n’a encore connu de sanction notable en relation avec sa gestion interne, bien que leurs situations financières ne soient pas toujours des meilleures. Certes, l’absence d’un plan comptable unifié a jusqu’à présent limité la visibilité des autorités en ce qui concerne des abus éventuels. La véritable raison est toutefois que l’application de ces lois en est encore à une étape didactique, destinée à encourager les formations à se mettre à niveau, régulariser leur situation, et démarrer sur des bases claires, quitte à faire table rase du passé. Les formations politiques devraient ainsi disposer de deux ans pour s’adapter, en douceur, mais définitivement.

Une question de volonté
Avant d’y parvenir, les défis ne manquent pas, à commencer par la formation, au sein des partis, des militants qui seront à même à appliquer les nouvelles règles comptables des partis. Tout aussi important, les partis devront dresser un état des lieux fidèle de leurs patrimoines, ce qui s’annonce difficile. Ainsi, après avoir été placés pendant des années au nom des militants, des biens appartenant aux partis politiques devront être désormais transmis au nom de ces derniers, par des dons, legs ou autres contrats, dans le respect de la barrière des 100 000 DH par an. Le hic : les partis ne disposent pas d’outils légaux pour récupérer les biens restés au nom de militants indélicats ou encore d’héritiers, qui se sont appropriés les biens des partis.
Malgré les difficultés liées à son application, les nouvelles dispositions légales, désormais renforcées par le plan comptable unifié, permettront-ils d’éliminer définitivement les pratiques douteuses, et re-crédibiliser le politique ? Une chose est sûre, le texte pose un sérieux défi à certaines habitudes, et pourrait même menacer l’existence de certaines formations politiques constituées autour d’individus aux poches bien remplies, mais donc l’activité hors périodes électorales frise le zéro absolu.  
Pour le moment, ce nouveau bagage légal semble être davantage un outil mis à la disposition des formations désireuses de s’améliorer qu’une barrière contre les abus comme les achats d’accréditations ou autre. Reste que sa valeur ajoutée est visible et que d’ici 2012, la période de grâce sera terminée…