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Pouvoirs

Les parlementaires face à l’adaptation à des circonstances exceptionnelles

• Les députés ont déposé en moins de deux mois une vingtaine de propositions de loi.
• Entre droit du consommateur, bail, difficulté d’entreprises et taxes locales, les textes déposés sont variés.
• Dans le domaine de la santé, les propositions des parlementaires sont loin de répondre à leurs engagements du début de la crise.

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En moins de deux mois, soit depuis la reprises des travaux du Parlement, le 10 avril, les élus de la première Chambre ont présenté près d’une vingtaine de propositions de loi. 19 propositions de loi ont été présentées au total sur un cumul de 206 textes présentés depuis le début de l’actuelle législature. Ce qui représente près de 20% de l’effort parlementaire en la matière depuis janvier 2017, date du démarrage effectif des travaux du Parlement après six mois de blocage qui a paralysé la scène politique au lendemain des législatives de 2016. Et comme il fallait s’y attendre, la situation exceptionnelle consécutive à la pandémie du Covid-19, que traverse le pays, est au cœur de cette production relativement prolifique des élus de la nation. Production à laquelle ont participé pratiquement tous les groupes parlementaires, avec un avantage net pour l’opposition, ce qui est somme toute compréhensif, puisque la majorité peut, théoriquement, agir sur la machine législative à travers le gouvernement par voie de projets de loi.
Bref, l’une des toutes premières propositions porte sur un amendement de la loi, récemment réformée, encadrant les relations entre les bailleurs et les locataires. Paradoxalement, l’USFP, qui en est l’auteur, semble privilégier le locataire, au risque de tomber dans le populisme, en faisant fi des intérêts du bailleur qui, dans bien des cas, est tout aussi affecté par les effets de la crise sanitaire. Concrètement, qu’il s’agisse de locaux à usage d’habitation ou à usage professionnel abritant des activités commerciales, industrielles ou artisanales, le parti a proposé dans ses deux propositions, l’une portant sur la loi 67-12 et l’autre sur la loi 49-16, que le locataire peut suspendre le paiement du loyer pendant la période de l’état d’urgence sanitaire. Et, en aucun cas, ce retard de paiement ne peut être considéré comme motif pour engager une procédure d’expulsion. Bien plus, le loyer en retard sera considéré comme une simple dette, et sera traité, sur le plan légal en tant que tel. En d’autres termes, pour recouvrer son dû, le locataire ne peut pas faire appel aux mesures coercitives prévues dans cette loi. De ce fait, le locataire ne risque pas d’être expulsé s’il n’a pas payé le loyer de ces trois mois de l’état d’urgence sanitaire. C’est d’ailleurs dans les mêmes termes que le PAM a présenté, à son tour, deux propositions de loi portant sur le même sujet.

Propositions et tonalité électorale

Le PJD qui a également présenté des propositions sur le même thème, mais dans des termes moins populistes, suggère, lui, que le locataire doit honorer sa dette dans un délai de 90 jours. Autrement, ce sont les dispositions de la loi 67-12 qui lui seront appliquées avec le risque d’éviction. Notons que la loi n° 49-16 relative aux baux d’immeubles ou de locaux loués à usage commercial, industriel ou artisanal est de date relativement récente, puisqu’elle est entrée en vigueur en février 2016. Elle a considérablement modifié l’environnement juridique dans lequel évoluaient certains propriétaires et locataires de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal, en abrogeant les dispositions du Dahir du 11 mai 1955, relatif au même objet ainsi que les dispositions de l’article 112 du code de commerce. La proposition déposée par le PAM et l’USFP sonne plutôt comme un retour en arrière, estime-t-on. Il n’en demeure pas moins que certaines catégories de professionnels, les tenanciers de cafés ou de restaurants notamment, se disent aujourd’hui incapables d’honorer les charges de leurs loyers.
La même problématique se pose aussi pour l’autre proposition qui porte sur la loi n° 67-12 organisant les rapports contractuels entre les bailleurs et les locataires des locaux à usage d’habitation ou à usage professionnel, promulguée le 19 novembre 2013. Cette loi vise, rappelons-le, la consolidation de la stabilité juridique des rapports contractuels entre bailleurs et locataires, le rétablissement de la confiance entre les parties ainsi que la réduction des affaires contentieuses portées devant les tribunaux. C’est pour dire que c’est une problématique à caractère éminemment social, qui ne saurait être résolue par une simple proposition de loi. En restant dans le domaine social, le PJD semble défoncer une porte déjà ouverte en présentant, le 8 mai, une proposition d’amendement du décret-loi relatif à l’état d’urgence sanitaire, et plus particulièrement l’article 6. En réalité, le groupe parlementaire du parti islamiste propose d’ajouter un article 6 bis, prévoyant le prolongement des délais de paiement jusqu’au 30 juin et la suspension de paiement des crédits, d’effets, des polices d’assurance, des taxes, des pénalités…, jusqu’à la même date. Dans ce même esprit, le PAM a déposé, de son côté, le 23 avril, une proposition d’amendement de l’article 149 de la loi 31-08, relative à la protection des droits du consommateur.

Quand les députés sont dépassés par les faits

Le parti propose un nouvel article 149 bis, ajoutant la situation d’état d’urgence aux deux cas prévus par la loi qui peuvent engendrer la suspension de paiement des crédits bancaires, à savoir la licenciement ou une situation sociale imprévisible. «Durant le délai de grâce, les sommes dues ne produiront point intérêt», précise l’article 149. Dans la pratique, cette mesure figure parmi les premières prévues par le Comité de veille économique. Les banques, interpellées sur la question, ont vite fait de préciser que ce délai de suspension de paiement des traites ne donne pas lieu au paiement d’intérêts intercalaires pour les clients ayant demandé la suspension de règlement de leurs traites. Sur un autre volet, une autre problématique, soulevée cette fois au niveau de la législation du travail, tente de répondre à une problématique. Faut-il considérer l’infection, en milieu du travail par le Coronavirus comme une maladie professionnelle? A proprement parler, il semble que non. En tout cas, la législation actuelle ne prévoit pas ce genre de situation. C’est sans doute pour cette raison que le groupement parlementaire du PPS a pris l’initiative de combler ce vide juridique en déposant, le 6 mai, une proposition de loi qui vient à peine d’être programmée en commission, le 22 mai, et qui considère que ce cas de figure pourrait effectivement être classé comme un accident de travail, et devrait donc donner lieu à la réparation et au traitement juridique y afférents. Cette proposition d’amendement de l’article 4 de la loi 18-12 relative à la réparation des accidents du travail, énonce qu’ils sont également considérés comme des accidents de travail, les dommages consécutifs à la contamination du bénéficiaire, de manière directe ou par transmission, par une maladie sur le lieu du travail ou pendant le trajet aller et retour, entre le lieu du travail et son domicile, ou encore là où il prend habituellement ses repas et entre le lieu du travail et le lieu de sa résidence. En restant dans le milieu de l’entreprise, deux propositions de loi déposées par l’opposition tentent de régler certains problèmes d’ordre organisationnel. L’une a été déposée par le PAM, et l’autre par la FGD, elles concernent la loi 5-96, plus particulièrement l’article 71, sur la société en nom collectif, en commandite simple, en commandite par actions, la société à responsabilité limitée et la société en participation. En gros, le texte du PAM, par exemple, déposé au Parlement le 7 mai et programmé pour débat en commission le 22 mai, propose d’élargir la liste des décisions qui peuvent être prises par consultation écrite des associés à toutes les décisions, y compris celles exclues en vertu de l’article 70. Et ce pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire. Notons que selon les dispositions de ce dernier article, «le rapport de gestion, l’inventaire et les états de synthèse établis par les gérants, sont soumis à l’approbation des associés réunis en assemblée, dans le délai de six mois à compter de la clôture de l’exercice».

L’entreprise, également concernée

Un projet, faut-il le rappeler, a été adopté par le Parlement autorisant les SA, cette fois, à réunir leurs organes de délibération en visioconférence. Dans le détail, la loi 27-20, ainsi adoptée, introduit les mesures d’assouplissement nécessaires permettant notamment la tenue à distance, par visioconférence, des réunions des organes délibérants, particulièrement en ce qui concerne les arrêtés des comptes. Le projet ouvre, entre autres, la possibilité du vote par correspondance en ce qui concerne les assemblées générales. Tenant compte de l’évolution des choses, il n’est pas exclu que ces mesures deviennent permanentes.
Dans le même ordre d’idées, une série de propositions de loi portant amendements des lois organiques, 111-14, 112-14 et 113-14, également présentées par le PAM, le 7 mai, entend faciliter la tâche aux collectivités territoriales (Communes, Conseils préfectoraux et provinciaux et Conseils régionaux) leur permettant de tenir leur session ordinaire dans les mêmes conditions, c’est-à-dire en recourant aux possibilités offertes par les nouvelles technologie de communication, notamment en ce qui concerne le vote à distance. En restant dans le domaine des collectivités territoriales, le PAM, encore une fois, s’est intéressé à la fiscalité locale. Il a déposé, en ce sens, une proposition d’amendement de la loi 47-06. L’article 8 de cette loi dispose : «En cas de cessation totale en cours d’année de l’exercice d’une profession, la taxe est due pour l’année entière, à moins que la fermeture des établissements, magasins, boutiques ou ateliers ne résulte de décès, de liquidation judiciaire, d’expropriation ou d’expulsion. Dans ce cas, les droits sont dus pour la période antérieure et le mois courant». En plus de ces conditions, le PAM suggère de prévoir également la fermeture pour cause de déclaration d’état d’urgence parmi les cas concernés par le dernier alinéa de cet article. De quoi aggraver davantage les finances des collectivités territoriales déjà très entamées par les faibles perspectives de rentrées de la TVA. Dans cette même logique et en restant dans le domaine de l’entreprise, le RNI, a été l’auteur d’une proposition de loi déposée le 13 mai, concernant le livre V de la loi 15-95 sur les difficultés de l’entreprise, tel qu’il a été abrogé par la loi 73-17. Partant du constat qu’un grand nombre d’entreprises va certainement pâtir des retombées de la crise sanitaire, le texte présenté par le RNI propose de recourir aux leviers prévus par cette loi pour justement sauver ces entreprises, bien que ne répondant pas aux conditions prévues par l’article 561.
Etant donné que nous sommes en situation exceptionnelle, les dispositions légales relatives à l’état de cessation de paiement pourraient être revues de manière à ce que les sociétés se trouvant en difficulté suite au Covid-19, puissent bénéficier des dispositions prévues par cette loi. Cela dit, le fait est que tout cet effort risque finalement de ne pas servir à grand-chose, puisque, c’est connu, rares sont les propositions de loi qui arrivent à accomplir la totalité du circuit législatif. Mais c’est un autre débat.

La santé, des propositions pour améliorer la situation

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