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Pouvoirs

Les Harakis en conclave, presque tout est réglé d’avance !

Secrétaire général depuis 28 ans, Mohand Laenser succède à  lui-même pour un second mandat.
Les 2 500 congressistes attendus à  Rabat devraient prolonger le statu quo pour quatre ans de plus.
Le véritable enjeu pour le MP c’est l’après-congrès, les futures élections locales et régionales.

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politique Harakis 2014 06 20

Comme pour le PPS il y a quelques semaines, le scénario que viennent de vivre l’USFP et l’Istiqlal pèse lourdement sur le XIIe congrès du MP qui se tient au complexe Moulay Abdellah à Rabat, les 21 et 22 juin. La hantise d’une division à l’approche des élections a encore une fois poussé les Harakis à recourir à un artifice qu’ils connaissent bien : le consensus. Cela d’autant que la rivalité entre les deux candidats qui s’étaient proposés initialement avait viré à l’invective et au règlement de comptes entre personnes. Rien à voir avec un débat démocratique où arguments, programmes et idées politiques servent d’armes de confrontation. Donc, point de candidatures multiples pour le poste de secrétaire général. Lahcen Haddad, pourtant bien parti pour donner du fil à retordre au secrétaire général sortant, s’est désisté quelques semaines avant le congrès, avec autant de tapage qu’au moment d’annoncer sa candidature. Mohand Laenser qui, quelques mois auparavant avait plutôt laissé entendre qu’il passerait le témoin, se retrouve candidat unique. Les statuts du parti le permettent certes, mais une telle candidature fait un peu tache dans le Maroc de l’après-2011. En effet, secrétaire général depuis 1986 d’un parti qu’il a intégré 11 ans plutôt, Mohand Laenser a côtoyé trois secrétaires généraux de l’Istiqlal, quatre premiers secrétaires de l’USFP, trois secrétaires généraux du PJD, trois secrétaires généraux du PPS, trois secrétaires généraux du PAM et trois présidents du RNI. Il aura vu défiler, tout en étant au poste, 15 gouvernements et même fait partie de la plupart d’entre eux. Seulement, en cette phase critique que traverse le parti, et dans la perspective de deux années électorales, seule une personnalité fédératrice de la trempe de Laenser peut éviter l’éclatement du MP. Cela d’autant que la formation est déjà passée par deux expériences, qu’elle a néanmoins réussi à surmonter, au moment de ses deux derniers congrès. En 2006, un ancien député et ancien chef du groupe parlementaire, Mohamed Mansouri, a conduit un mouvement de fronde à un moment où la formation déjà fragilisée par une série de scissions tentait, tant bien que mal, de ressouder ses rangs. Le MP s’est engagé, en effet, à cette époque, dans une nouvelle voie, celle de la réunification de ses différentes composantes «pour d’abord concilier le MP avec son histoire et ensuite constituer une force de propositions, à l’heure des grands défis», comme le veut la littérature du parti. Quatre années et un congrès plus tard, c’est au tour de l’ancien ministre Mohamed Mourabit de rééditer l’expérience. Le MP encore fragile, affaibli par l’effort de réunification et miné par un mouvement sans précédent de désistements a pu maintenir le cap.

Le parti n’aura pas un SG adjoint

Entre-temps, les élections de 2009 auront coûté au parti, selon un de ses dirigeants, plusieurs milliers de départs d’élus et de notables locaux dont un nombre important de présidents de communes. La transhumance au niveau local n’étant toujours pas sanctionnée, c’est la crainte d’une nouvelle vague de départs qui a finalement incité les détracteurs du secrétaire général sortant à la retenue et a fait qu’il se retrouve seul candidat à sa propre succession.

Le titulaire du poste de secrétaire général, l’un des enjeux majeurs du congrès, étant connu d’avance, il n’en reste pas d’autres. Même certaines propositions d’amendement des statuts du parti ont été avortées, au sein de la commission juridique, pendant les préparatifs du congrès. Il en est ainsi de cette proposition de création d’un poste de secrétaire général adjoint. Les Harakis vont se contenter de la formule actuelle selon laquelle le secrétaire général délègue certaines parties de ses prérogatives, principalement celles liées à la gestion des affaires courantes du parti, à un autre membre du bureau politique. Mohand Laenser a pris cette initiative en délégant une partie de ses pouvoirs au membre du bureau politique, Essaid Ameskane, au lendemain de sa nomination au poste de ministre de l’intérieur. Cela dit, le MP va certainement procéder à la création d’un nouveau poste, celui de président du conseil national, comme le stipulent les nouveaux statuts des partis tels qu’amendés dernièrement pour se conformer à la nouvelle loi organique des partis politiques.
Autre étape importante lors d’un congrès de parti, la formation d’un bureau politique. Là encore et d’après certaines indiscrétions, et toujours pour prémunir le parti contre toute tentative de déstabilisation, une liste fermée de membres devrait être proposée au vote par le conseil national.
Le congrès ne devrait donc pas connaître de surprise. Car une grande partie du travail a déjà été réalisée par la commission préparatoire et d’éventuels différends ont été aplanis au moment de la désignation des congressistes. C’est ainsi que certains mécontentements, notamment au niveau de la région de Casablanca, ont été contournés. Certains édiles locaux avaient en effet menacé non seulement de claquer la porte mais d’emmener avec eux un grand nombre de militants pour aller rejoindre une autre formation politique. De même pour cet épisode qui a secoué le parti il y a quelques mois où la jeunesse harakie a été au centre de rivalités entre plusieurs clans.

Le congrès, une étape de routine

Ainsi, pour reprendre une récente déclaration du secrétaire général sortant, ce XIIe congrès n’est pas un véritable enjeu pour le parti. Ce qui l’est, «c’est ce qui vient après le congrès: les prochaines élections locales au cours desquelles le Maroc va aborder une nouvelle expérience régionale». L’enjeu donc pour les structures qui seront issues du congrès c’est de relever le défi des élections avec ce que cela suppose comme cohésion et organisation locale efficiente. Le parti espère voir ses notables, élites et cadres au niveau local ressouder leurs rangs pour le bien de la formation. C’est que le secrétaire général sortant ne cache pas son ambition de voir le MP occuper la deuxième place au terme de ces échéances. Tout un programme pour un parti arrivé cinquième aux dernières communales de 2009 (8% des voix et 2 213 sièges sur un total de 27 795) et sixième aux législatives de 2011 avec seulement 32 sièges sur 395. Ce qui en fait un parti moyen, mais surtout très discret. Car, à de rares exceptions près, l’on n’entend presque jamais la voix de ce parti, figurant pourtant parmi les piliers de la majorité d’Abdelilah Benkirane. Le secrétaire général sortant a une explication toute prête pour cette attitude : «Il y a aujourd’hui au Maroc deux types de politiques. Une politique responsable, qu’est la nôtre, et qui n’est pas forcément démonstrative parce que nous estimons qu’il y va du sérieux du parti et de l’avenir du pays. Il existe une deuxième politique de démonstration, de déclarations tonitruantes, d’attaques, de faux duels et d’effets d’annonces. Et quand on regarde les choses en face, cette politique peut mener à de grosses erreurs que le pays paiera chèrement. En fait, nous, nous faisons la politique, la première» (www.lavieeco.com). Un constat toujours d’actualité et qui colle parfaitement à la réalité du microcosme politique marocain. Cela dit, le MP, réputé comme étant un parti conciliant, ne manque pas de hausser le ton quand il se sent acculé. Cela est arrivé à plusieurs reprises depuis qu’il est au gouvernement Benkirane. La première fois où le MP s’est vraiment senti trahi par ses alliés, c’était au lendemain des élections partielles du 28 février 2013. D’un côté, le PJD a soutenu le PPS au détriment des autres membres de la majorité ; de l’autre, l’Istiqlal, alors au gouvernement, s’en est directement pris au ministère de l’intérieur que dirigeait alors Mohand Laenser, l’accusant d’avoir soutenu le candidat MP. C’était plus que ne pouvaient supporter les Harakis qui s’estimaient déjà lésés dans la répartition des portefeuilles ministériels au moment de la formation du gouvernement Benkirane I. Le nombre des ministères qu’ils se sont vu proposer ne correspondait pas à leur poids politique (comparé à celui du PPS) et le poste de président de la deuxième Chambre qui devait leur revenir après le renouvellement du bureau de la Chambre ne leur a finalement pas été confié parce qu’il n’y a pas eu renouvellement des instances de cette institution. Le départ de l’Istiqlal a davantage compliqué les choses.

Démocratie interne, un vœu pieux ?

Avec le gouvernement Benkirane II, même si le parti a gagné en nombre de portefeuilles -il est passé de quatre à six ministères-, au fond la perte du ministère de l’intérieur l’a desservi, surtout sur le plan électoral. Tout le monde le sait, le département de l’intérieur a un effet d’attraction sur les notables et les édiles locaux.
Bref, ce malaise, même s’il est escamoté, refait surface de temps en temps. Le MP est même allé jusqu’à menacer de quitter le gouvernement «dès qu’il se sentira marginalisé», pour reprendre, encore une fois, les termes de son SG sortant. Ce qui ne l’empêche pas de rester au poste et tenter tant bien que mal de faire entendre sa voix quand l’humeur du chef du gouvernement le décide à réunir l’instance de la majorité. Le congrès décidera-t-il d’en finir avec cette situation ? La nouvelle direction sera-t-elle plus ferme ? Les jours à venir seront édifiants sur ce point.

Cependant, c’est sur le plan interne que le défi de la nouvelle direction est encore plus grand. Au lendemain de son élection au dernier congrès, en 2010, la direction sortante a pu déclencher une opération de réorganisation des instances dans les régions pour partir sur des bases plus solides. Cela en partant d’un recensement et réenregistrement des militants, ensuite l’organisation des instances élues. Ce qui a demandé, certes, un peu de temps et, surtout, beaucoup de pédagogie. «Car il s’agit d’expliquer les nouveaux statuts et la nouvelle vision à des gens qui étaient habitués, depuis 50 ans, à un autre genre de pratiques. Cela étant, il ne s’agit pas d’un bouleversement dans nos pratiques, mais d’une normalisation du fonctionnement du parti. Nous voulons passer d’un parti de personnes à un parti d’institutions. Et cela, il faut le faire non seulement au niveau central, mais aussi au niveau des régions», pour reprendre les termes de Mohand Laenser. Dans une récente déclaration de Lahcen Haddad, ce pari est loin d’être gagné. En effet, explique-t-il en substance, «la démocratie interne ne s’est pas encore enracinée en tant que culture au sein du parti». Il avance comme argument qu’«il suffit que quelqu’un se porte candidat pour la direction du parti pour que l’on voie en lui un rebelle et un opposant. Cette situation ne pourra changer que lorsque les principes d’un parti d’institutions seront bien enracinés». Cela étant, sur le plan idéologique, il ne faut pas s’attendre à une révolution. Le congrès reconduira certainement comme credo plus d’équité sociale et régionale en plus des ses deux leitmotivs dont il ne s’est jamais séparé depuis sa création en 1958 : la défense de la culture et de la langue amazighes en tant que composantes de l’identité marocaine et la défense du monde rural.
Sur un tout autre registre, le MP continuera à rappeler nos partis de la gauche avec ce vœu pieux, jamais concrétisé, de rassemblement de toutes les composantes de la mouvance populaire. Quatre partis (cinq si l’on compte le parti islamiste du PRV) continuent à faire cavalier seul. Pourtant, ce ne sont pas les initiatives de rassembler tout ce beau monde dans une même entité qui manquent. Les quatre formations (MP, MDS, PRE et Al Ahd) ont déjà tenté une approche en mai 2011. La dynamique lancée par le discours du 9 Mars et la perspective d’une victoire éclatante dans les fiefs des quatre partis lors des législatives de novembre 2011 ont été refroidies par la loi sur les partis politiques publiée peu après cette initiative. Plus récemment, et c’est de loin le projet le plus ambitieux, une union du Mouvement populaire (UMP) regroupant les quatre formations a bien failli aboutir.