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Pouvoirs

Les différentes facettes de la «bei’a»

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La bei’a est le procédé essentiel de légitimation du pouvoir des rois du Maroc. Paradoxalement, les textes constitutionnels passent sous silence ce rituel, malgré l’importance qu’il revêt dans la théorie politique officielle depuis 1956.

Ainsi, selon l’acception officielle, la bei’a est un pacte qui ne saurait souffrir ni limites ni restrictions, exigeant obéissance et discipline aussi bien dans les circonstances heureuses que malheureuses. Exit donc l’approche des partis dits nationalistes et de certains théoriciens islamistes, qui voient dans la bei’a un contrat politique basé sur la réciprocité, conférant au peuple le pouvoir de dénoncer ce contrat si le roi n’assume pas dignement sa charge. Cette interprétation à la Rousseau (cf. Le Contrat social) assimile la communauté des croyants à une société civile prenant ses intérêts en main et traitant d’égal à égal avec un prince qu’elle a elle-même librement investi.

Notons que de tout temps la bei’a est intervenue a posteriori, c’est-à-dire après que le pouvoir ait été installé par succession héréditaire ou par la force, par consensus ou choix de la khassa (notables et corps constitués de l’Etat). Elle justifie toutes les situations concrètes comme le dit Abdallah Laroui, dans son ouvrage la naissance du nationalisme marocain, qui estime qu’elle consolide, à travers l’histoire, n’importe quel pouvoir, bien qu’elle n’en consolidât aucun.

Les tribus accordaient la bei’a aux sultans, leur reconnaissant un pouvoir spirituel, ce qui ne les empêchait pas de leur renier la chefferie temporelle en se constituant en bled siba. La bei’a ne pouvait non plus garantir aux sultans un imamat continu. A l’opposé, elle les astreignait à certaines obligations précises, telle la sauvegarde des frontières du pays ou la guerre sainte contre les mécréants, sans quoi elle devenait caduque. Il n’empêche qu’avec la bei’a, le peuple doit au sultan une soumission absolue en échange de la paix interne et externe. C’est une allégeance rituelle que le peuple, à travers ses oulémas, chorfas,… exprime en faveur du prince.

L’adhésion par la bei’a aujourd’hui se fait à la fois à un pouvoir personnel (le roi) et à un symbole sacralisé (Amir Al mouminine). Cet enchevêtrement entre le séculier et le religieux fait passer la valeur contractuelle de la bei’a sous silence, et insiste essentiellement sur la portée du modèle religieux qu’elle recrée.

Ce symbole de légitimation, renouvelé au lendemain de chaque fête du Trône par les membres du gouvernement, les élus locaux, ainsi que les officiers supérieurs, les directeurs d’administrations et les agents d’autorité, confère au roi une double légitimité, d’une part, religieuse, transcendant l’ordre juridique mis en place par l’institution monarchique elle-même, et, d’autre part, traditionnelle, devenant norme coutumière donc connue et reconnue par tous.