Pouvoirs
Les dessins de la colère
Manifestations, vandalisme, menaces, plus rien ne semble arrêter les protestations contre la publication des caricatures du Prophète
Au Proche-Orient, la récupération politique est évidente
Les multinationales craignent pour leurs produits.

«Nous comprenons tout à fait pourquoi les gens, pourquoi les musulmans trouvent ces caricatures insultantes […] ceux qui ne sont pas d’accord avec les points de vue exprimés ont certainement le droit de les condamner, mais ils devraient le faire de manière pacifique». Qui aurait cru qu’une déclaration aussi «modérée» envers les musulmans pourrait venir du porte-parole de la Maison-Blanche, Scott McClellan ?
Elle n’aura cependant pas eu plus d’effet que les appels au calme de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), du Vatican ou de l’ONU sur les protestations planétaires suscitées par la publication de douze caricatures du Prophète sur les pages du quotidien danois Jyllands-Posten. Désormais, les manifestations s’enchaînent à travers le monde, certaines mortelles. En Irak, les attaques contre les soldats danois se succèdent ; ailleurs dans le monde musulman, plusieurs représentations diplomatiques danoises, mais aussi de pays où des journaux ont choisi de publier les caricatures, ont été attaquées, voire incendiées. Au Danemark où quatre ambassadeurs de pays musulmans ont été rappelés par leurs gouvernements, les autorités invitent leurs ressortissants à ne pas se rendre dans plusieurs pays musulmans, dont le Maroc, pour des raisons de sécurité. Du boycott plus ou moins officiel des produits danois, qui se répand comme une traînée de poudre dans les pays arabes au concours de caricatures sur l’Holocauste lancé par le journal iranien Hamshahri, publié par la municipalité de Téhéran, pour «tester» la liberté d’expression «à l’occidentale», plus rien ne semble contenter l’ire des musulmans, même si le journal mis en cause avait déjà présenté ses excuses à la fin du mois de janvier…
Le ras-le-bol du monde musulman
Tout avait commencé en septembre 2005 lorsque, apprenant qu’un auteur danois d’un livre sur le Prophète n’avait pas réussi à trouver de dessinateur prêt à illustrer son travail, le quotidien Jyllands-Posten avait appelé quarante caricaturistes à lui fournir des dessins représentant le Prophète. Seuls douze d’entre eux accepteront de le faire. Une fois publié les dessins, les protestations commencent mais restent limitées, jusqu’au moment où les caricatures sont reprises par le journal norvégien Magazinet, en soutien à Jyllands-Posten. Tandis que l’affaire prend de l’ampleur, suscitant des protestations de la part des autorités musulmanes à travers le monde, les autorités danoises se refusent à condamner l’action du journal, mettant en avant l’argument de la liberté d’expression puisque les dessins n’enfreignaient pas la législation danoise.
Dans les jours qui suivront, plusieurs journaux en France, mais aussi en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Suisse, en Hongrie, en Nouvelle-Zélande, en Pologne, aux Etats-Unis, au Japon, en Norvège, en Malaisie, en Jordanie ou en Australie – pour ne citer que ceux-là – décideront de publier les dessins à leur tour, faisant enfler davantage la polémique, déclenchant de nombreuses critiques, particulièrement dans les pays anglo-saxons.
Cinq mois après la publication des caricatures, peut-on toujours se permettre de considérer les actions massives de protestation à travers le monde comme spontanées ? Au-delà de l’Iran, qui n’aura pas hésité à se saisir de l’affaire, gelant au passage les relations commerciales et politiques avec le Danemark, les récupérations de l’affaire ne manqueront pas, et ce à des fins diverses, y compris au Proche-Orient. Ainsi, au Liban, certains accuseront l’Etat syrien d’être à l’origine de la manifestation de Beyrouth qui aura entraîné la mort d’une personne dans l’incendie de l’ambassade danoise et la démission du ministre de l’Intérieur libanais, Hassan Sabeh. Argument invoqué : le voisin syrien chercherait à utiliser la crise pour montrer l’importance d’un Etat fort en Syrie, sans quoi même son voisin libanais serait déstabilisé. En Israël, certains journaux dresseront le parallèle entre les caricatures du Prophète et celles des sionistes dans la presse arabe…
Pourtant, au-delà de la récupération, la réaction à la fois brutale et étendue dans le temps des musulmans semble traduire un ras-le-bol général. Après des années de passivité pendant lesquelles il aura été la tête de Turc dans l’imaginaire occidental, le monde musulman se rebiffe. Parviendra-t-il cependant à choisir les stratégies appropriées pour se faire comprendre par ce dernier ?
Après la publication des caricatures, quatre mois de protestations molles… puis le brasier.
