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Pouvoirs

Législation : Quand les parlementaires prennent l’initiative

Avec une moyenne d’une proposition de loi tous les deux jours, les députés franchissent certainement un nouveau record. Cependant, des 172 propositions des textes déposés en une année, dont près des trois-quarts par l’opposition, quelques-uns à peine pourront voir le bout du tunnel.

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On le sait, les projets de loi, les propositions de loi et, bientôt, les propositions en matière législative sont les principales sources de législation. Certes, la pratique consacre la prééminence de l’Exécutif en termes d’initiative législative, mais cela n’empêche pas les parlementaires de jouer le jeu. Et il n’est pas rare, quoique ce soit laborieux à tous les niveaux, que leurs propositions arrivent jusqu’au bout et trouvent la voie de l’application après leur promulgation. Et, en la matière, les députés et les conseillers ne se privent pas. Les premiers ont déjà déposé, au terme de la première année de l’actuelle législature, pas moins de 172 propositions au compteur de la première Chambre, dont les trois-quarts présentés par l’opposition, ce qui représente une moyenne d’un peu moins de quinze propositions par mois, soit environ une proposition tous les deux jours. Les conseillers, plus raisonnables, en ont déposé en tout et pour tout que 26 propositions. Dans les deux cas, et certainement encore plus valable chez les députés, il ne s’agit pas vraiment de textes de loi à proprement parler, mais d’une simple modification d’un article, ou même d’un des alinéas d’un article, d’une loi déjà en vigueur. Ce qui explique sans doute le nombre total des textes. Cela d’autant qu’un grand nombre de textes revient régulièrement, dans les mêmes termes, depuis au moins dix ans. La deuxième remarque étant qu’un grand nombre de propositions déposées portent sur des domaines qui font, ou vont faire, l’objet d’une réforme. C’est le cas du Code pénal dont un projet d’amendement global est attendu dans les mois à venir ou encore du Code de la procédure pénale, également objet d’un futur projet de réforme. L’une des principales propositions déposées en ce sens porte sur la légalisation de l’avortement ou encore l’abolition de la peine de mort, deux thématiques qui divisent la société. La Moudawana, qui est dans la même situation, est également concernée par plusieurs projets de réforme. Dans ce cadre, on peut citer l’interdiction du mariage des mineurs, une thématique à l’origine d’un clivage social entre ceux qui le pratiquent et l’encouragent et ceux qui veulent l’interdire.
Bien évidemment, un grand nombre, sinon toutes les propositions de ce genre ne vont pas aboutir pour la simple raison que des projets de loi sont en cours d’élaboration, rendant leur contenu caduque. La réglementation est d’ailleurs claire à ce propos: Quand une proposition et un projet de loi ont le même objet, c’est le projet de loi qui est discuté en priorité. Cela vaut aussi pour certaines propositions de loi déposées par le PJD qui portent sur le secteur de la santé. Il en va de même pour certaines propositions de loi relatives au domaine social, plus particulièrement aux aides directes versées aux catégories en situation de vulnérabilité. La réforme globale du système d’aides sociales, un chantier qui sera bouclé avant la fin de l’année prochaine, a justement pour finalité de faire converger tous les dispositifs d’aides directes dans un seul système. Du coup, les propositions touchant à ce domaine n’ont plus lieu d’être.

Presque toutes passent à la trappe

Les parlementaires et leurs partis ne sont pas sans le savoir, ce qui fait dire à des observateurs que le fait de déposer des propositions de loi rentre dans le cadre de la surenchère politique ou pour des raisons purement électoralistes. On peut particulièrement retenir dans ce sens les toutes premières propositions déposées par des partis de l’opposition qui portent amendement de la loi organique relative au fonctionnement et à la composition du gouvernement. Sous couvert d’un souci d’une bonne gestion à la fois des communes et du gouvernement, les auteurs de ces propositions voulaient interdire le cumul entre le poste de ministre et de président de Commune. En réalité, ces textes visaient, en personne, trois membres de l’Exécutif dans le cadre d’une surenchère post-électorale. Pendant la même période, le MP dépité par la répartition des postes au moment de l’élection des responsables des instances dirigeantes du Parlement a déposé une proposition de réforme du règlement intérieur de la première Chambre et une autre d’amendement de la loi organique relative à la Cour constitutionnelle.
On peut également inscrire dans le même cadre ces propositions déposées, notamment, par le CNI à la première Chambre et la CDT à la deuxième, du même au semblable, en fait, visant le plafonnement des prix de certains produits de grande consommation, à leur tête les carburants. On s’en souvient encore, le PJD, alors au gouvernement, agitait cette carte légale régulièrement sans jamais aller jusqu’au bout, parce que, comme il l’a d’ailleurs reconnu, elle n’a pratiquement pas d’incidence sur les prix, dont le renchérissement est d’origine extérieure. Rentre aussi dans ce cadre cette autre proposition de certains partis de gauche qui vise la nationalisation de la Samir. L’instauration d’une bourse pour rechercher un premier emploi au profit des jeunes récemment diplômés ou encore une allocation chômage, suggérée par le PPS, sonne comme un défi à un gouvernement déterminé à asseoir les fondements de l’Etat social. Dans tous les cas, on retiendra que dans leurs propositions les partis, principalement de l’opposition (le PJD a déposé plus de 23% du total, l’USFP 20%, le MP 14% et le PPS 11%), se contentent d’énoncer les grands principes, laissant au SGG la pénible tâche de mise en forme juridique de ces textes, une fois qu’ils auront abouti, et au gouvernement la délicate mission d’en préparer et adopter les décrets d’application. Ce qui revient, en d’autres termes, à jeter la patate chaude au gouvernement. Bien sûr, cela n’arrive pas très souvent, l’écrasante majorité des propositions à défaut d’être retirées, finissent par être abandonnées à la fin de législature sans même avoir été discutées.

Florilège des propositions les plus farlelues

Pour avoir la nationalité marocaine, il faut parler amazigh
C’est l’objet d’une proposition d’amendement de la loi sur la nationalité qui a été déposée à la première Chambre. En gros, les étrangers qui souhaitent avoir la nationalité marocaine doivent satisfaire un certain nombre de conditions déjà exigées par la loi. La proposition en rajoute une : Le prétendant à la nationalité doit parler l’amazigh ou l’arabe ou les deux langues officielles en même temps. A priori, en la matière, on n’en est pas à ce détail près. Toujours est-il que la proposition provient du parti de l’Istiqlal, ce qui est pour le moins inatendu. Décidément, les temps changent. Dans le même ordre d’idées, le parti a également déposé une proposition dans le sens d’introduire la langue amazighe dans le livret de famille. Ce qui, de facto, implique son intégration, également, dans la carte nationale d’identité et le passeport.

Un congé pour menstruations
«Nulle pudeur en la religion». Les députés du PJD semblent appliquer à la lettre cette maxime si chère aux « Foqaha» (jurisconsultes). Est-ce en lien avec la composition du groupement parlementaire du parti islamiste à la première Chambre, dont 9 des 13 membres sont des femmes ? La nature de la proposition de loi déposée à la Chambre des représentants justifie cette question. En gros, ce texte instaure un congé mensuel de deux jours pour les femmes pendant leur période de menstruations. Le congé est accordé sur une simple déclaration d’honneur des intéressées.

Une police de l’arabe
Il y a quelques années, le groupe de l’Istiqlal avait déposé une proposition de loi pour protéger la langue arabe et en promouvoir l’utilisation. Le parti avait proposé en outre l’instauration d’une amende pour toute pancarte ou affiche publicitaire écrite dans une autre langue que l’arabe. La proposition n’a jamais été programmée pour débat et le parti a fini par l’abandonner. Le parti y a perdu en termes politique plus qu’il n’y a gagné. Ce qui n’a pas empêché le PJD, une fois dans l’opposition, de tenter le même coup. Entre autres clauses que comprend le texte qu’il a déposé à la première Chambre, la création d’une police administrative pour traquer tout écriteaux, pancarte, affiche publicitaire devanture de magasin…, où est utilisée une autre langue que l’arabe. Les fautifs risquent gros. Entre 10 000 et
50 000 DH d’amendes.

Allergie aux gros salaires
Ce n’est pas une proposition nouvelle. Le PJD avait déjà demandé par le passé, via une proposition de loi, que les salaires soient plafonnés dans la fonction publique et les entreprises et établissements de l’Etat. Il revient donc à la charge en tenant sans doute compte de l’inflation pour demander à ce que la totalité des émoluments (salaire, indemnités diverses et avantages en nature) soient plafonnés à 100 000 DH par mois. Le parti vise bien évidemment les hauts fonctionnaires de l’Etat et surtout les patrons des entreprises publiques.
Paradoxalement, le même parti suggère, cette fois dans une proposition déposée à la deuxième Chambre, d’ouvrir la possibilité aux fonctionnaires d’exercer des activités lucratives pour arrondir leurs fins de mois. On le sait, à de rares exceptions près, les médecins avec le TPA, la loi interdit aux fonctionnaires d’exercer une quelconque activité rémunérée.

ADN ? Reconnais pas !
Nous entamons la troisième décade du troisième millénaire. A cette ère, ce genre de propositions de loi ne devrait même pas être envisagé. Ce n’est pas à cause de son contenu, mais de la situation qu’elle propose de régulariser. Normalement, dans tous les pays qui se respectent, et 70 ans après sa découverte et l’étendue des champs de son utilisation, l’établissement de la filiation par l’ADN découle de soi. Dans notre pays, une jurisprudence aurait pu suffire à régler le problème. Sauf que la justice de famille, réputée par son conservatisme, ne l’entend pas de cette oreille. D’où la nécessité d’un texte de loi que le groupe socialiste à la première Chambre a d’ailleurs présenté sous forme d’une proposition de loi déposée au bureau de la première Chambre, en attendant une réforme projetée de la Moudawana.

Prolongement de mandat pour les zaïms
Apparemment, huit ans à la tête d’un parti, soit deux mandats de quatre ans, ne suffisent pas. Beaucoup de nos dirigeants partisans dépassent d’ailleurs allègrement cette durée pourtant fixée par la loi organique des partis et dûment inscrite dans les statuts de la plupart des formations politiques. Voulant sans doute lever la gêne, des députés de l’USFP entendent légaliser une petite rallonge d’une année pour chaque mandat des patrons de partis. Le texte remis aux soins des services de la première Chambre en juillet dernier propose, en effet, de caler le mandat des chefs de partis sur celui de l’institution législative et du gouvernement, soit cinq ans. Cela devrait contribuer à la stabilité de la scène politique d’après les auteurs de la proposition de loi. Auquel cas, et pour respecter cette logique, il faudrait peut-être que tous les partis organisent leurs congrès à la veille des élections.

Quand les députés font la course au gouvernement
Les élus du PJD le savaient sans doute. Le gouvernement allait proposer une réforme globale du système de santé. C’est inscrit noir sur blanc dans le programme électoral qui a été présenté et soutenu par le Chef du gouvernement au début de la législature. Cela ne les a pas empêchés de s’empresser de déposer une série de propositions de loi portant justement sur la création d’un Conseil national de la santé, d’une Agence nationale du sang, d’une Agence nationale du Ramed…, le tout déposé en janvier. Évidemment ces textes n’ont aucune chance de passer, d’abord parce que le gouvernement a préparé une réforme globale avec un projet de loi-cadre et une série de cinq projets de loi, en plus des textes d’application avec en sus les ressources financières nécessaires. Ensuite, pour le Ramed, c’est désormais du passé.