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Pouvoirs

Le PJD tend-il à  devenir un parti comme les autres ?

Le retrait de Abdelkrim Khatib rend plus aigu le questionnement sur le devenir
du parti.
Pris entre ses racines idéologico-religieuses et la nécessité
de jouer son rôle politique, le PJD a amorcé une mue forcée.

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Le 21 mars 2004 a marqué un tournant dans la vie du Parti de la justice et du développement (PJD). Ce jour-là, le conseil national du parti a accédé à la demande de Abdelkrim Khatib, figure emblématique, qui souhaitait se désengager de ses responsabilités exécutives à la tête du parti. Abdelkrim Khatib aura désormais le titre de «président-fondateur». Dans l’histoire du PJD, une page est tournée.
Que de chemin parcouru depuis 1996, lorsque Abdelkrim Khatib avait, avec la bénédiction des autorités, ouvert les portes de son parti aux islamistes dits modérés, le MPDC (Mouvement populaire, démocratique et constitutionnelle), créé en 1967, et qui était devenu au fil du temps une coquille vide. Les cadres et les militants de l’association Attawhid wal Islah, présidée par Ahmed Raissouni, avaient alors massivement investi ce parti.
En quelques années, ils ont réussi à en faire la puissante machine électorale et politique que représente aujourd’hui le PJD.
En huit ans, ce parti a pu accéder au rang de troisième force parlementaire du pays : de 9 députés aux élections législatives du 14 novembre 1997, il a pulvérisé tous les records en remportant 42 sièges aux élections du 27 septembre 2002 ! Et encore, il aurait été amené à ne se présenter que dans la moitié des circonscriptions.

Les discours éradicateurs à l’encontre du PJD ont fini par se tasser

Aux communales du 12 septembre 2003, malgré une sévère «autolimitation», il a remporté la présidence des conseils municipaux dans une dizaine de villes comme Meknès, Ksar El Kébir, Oued Zem, Khénifra, Azrou ou Témara. En outre, il a développé une organisation de jeunesse, une centrale syndicale (l’UNTM), une organisation de femmes et un forum de cadres.
Aujourd’hui, il est puissamment implanté dans la plupart des agglomérations urbaines du pays. Tous les locaux du parti dans les provinces et préfectures sont équipés de téléphones, de téléfax et d’ordinateurs.
Cette montée en puissance a été pointée du doigt après le choc des attentats du 16 mai 2003, commis par des kamikazes intégristes. Il n’en fallait pas plus pour que des personnalités connues appellent à l’interdiction pure et simple de ce parti. Le spectre algérien pointait à l’horizon. Les passions, un moment déchaînées, se sont apaisées. Le PJD a fait le dos rond, les discours éradicateurs à son encontre ont fini par se tasser.
Il reste qu’il y a un avant et un après 16 mai. Le PJD et le mouvement islamiste dans son ensemble sont toujours interpellés. Pour les autres, la question récurrente est simple : dans un pays musulman, un parti peut-il se réclamer de la religion comme idéologie politique ? Pour le PJD, la réponse n’est pas évidente.
Les remises en cause, les interrogations se sont succédé. Un exercice obligé pour le PJD. Aujourd’hui, peut-on dire que le traumatisme du 16 mai est derrière nous ? L’économiste en chef de ce parti, Lahcen Daoudi, aime à répéter que «même l’Everest paraît moins haut quand on s’en éloigne. Le temps finit par tout aplanir».
Presque un an après le 16 mai, dans quel sens a évolué le PJD ? Sera-t-il un jour un parti comme les autres, à la limite, une sorte de parti démocrate musulman, comme on dit démocrate chrétien ? Ou bien continuera-t-il à porter les stigmates indélébiles de l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques, dans une société où ce que l’historien Mohamed El Ayadi appelle l’islamisme culturel et hégémonique ? Est-il même sensé de poser la question de la «désislamisation» du PJD ?
En fait, on ne peut pas comprendre la nature du PJD sans appréhender ses liens avec Attawhid wal Islah, une association de daâwa (prédication et prosélytisme) et d’éducation religieuse. Cela d’autant plus que la majorité écrasante des cadres et dirigeants du PJD sont issus de cette association.
Inversement, tous les dirigeants de premier plan du PJD figuraient au bureau exécutif d’Attawhid wal Islah, jusqu’à son dernier congrès tenu en octobre 2003.
Depuis lors, il est vrai, seuls Abdelilah Benkirane, Abdellah Baha et Mohamed Yatim en sont encore membres.

L’interpénétration avec Attawhid Wal Islah pose problème

Cette interpénétration entre une structure politique (le PJD) et une structure politico-religieuse (Attawhid wal Islah) atteint son paroxysme dans le domaine de la presse. Ainsi, le journal officiel du parti est un hebdomadaire, Al Asr. Et Attawhid wal Islah qui n’est pas un parti politique possède un quotidien, Attajdid. Or, ce quotidien est plus politique et ses écrits sont plus acerbes que l’hebdomadaire du parti.
Les dirigeants du parti, lorsqu’ils sont interrogés à ce sujet, reconnaissent qu’il faudrait parvenir à «établir une distinction nette entre les responsables des deux structures» et évoluer vers une «spécialisation des tâches». Mais à moins d’une fusion entre les deux structures ou d’une séparation claire entre elles, le problème restera entièrement posé.
Le politologue Mohamed Tozy propose une perspective originale pour capter le sens de l’évolution du PJD. «J’appréhende le PJD en tant que parti politique comme les autres, évacuant ainsi l’aspect islamiste. Il est traité comme tout parti politique procédant d’un mouvement idéologique (à l’image du PCF ou du PC italien), lequel propose une vision globale et totale de la société et se présente comme une alternative au système en place. A partir de là, on peut mesurer l’évolution de ce parti par rapport au système politique.»
Et M. Tozy de tenter une démonstration. Pour lui, la fonction tribunitienne serait la fonction majeure dans ce genre de parti. Elle développe davantage le discours politique que ses capacités d’influer sur le système en place.
Dans ce contexte, la structure du parti en question rappelle plus celle d’une association que d’un parti politique. «Pour le PJD c’est l’idéologue charismatique qui domine dans une relation directe avec la base. La réussite est fondée sur l’exemplarité, la piété et la proximité. Ce qui donne les apparences d’une démocratie directe. Ainsi, la sélection des candidats aux élections se fait dans le cadre d’assemblées générales».
Lorsque ce parti intègre la vie parlementaire, il se crée alors un conflit entre les nouvelles notabilités (élus) et les anciennes (prédicateurs). Pourquoi ? Parce que les exigences changent, qu’elles sont aujourd’hui centrées sur la capacité à influer sur le système. «Les compétences requises à ce niveau sont techniques. Ce sont les capacités de négociation et lobbying qui deviennent sources de performance et d’acceptabilité par le système».

Le sens d’une évolution et les effets de système

A partir de ce moment-là, les règles de la démocratie directe deviennent gênantes. Cela correspond d’ailleurs aux difficultés rencontrées par la direction du PJD à imposer des candidats aux élections législatives et communales répondant à ces critères. «Le parti est forcé de se transformer idéologiquement et organisationnellement dans ce sens. On renforce, à ce stade, les structures du parti et on multiplie les niveaux hiérarchiques. On aménage une position privilégiée pour les élus. On met en place des structures sectorielles (cadres, élus, ingénieurs…). On instaure la cooptation.»
La règle de la cooptation est ainsi affirmée avec force dans les projets de nouveaux statuts du PJD. Ainsi, et seulement à titre d’exemple, le secrétaire général propose une liste de 21 candidats parmi lesquels le conseil national élit 14 membres !
Et M. Tozy de conclure : «Tous les partis qui ont une forte origine idéologique, qu’ils soient islamistes, communistes ou autres suivent ces deux stades d’évolution. C’est le résultat de ce qu’on pourrait appeler un effet de système».
Cela n’entre nullement en contradiction, souligne Mohamed Tozy, avec une ligne politique islamiste. Cette grille d’analyse nous permet de mieux comprendre les changements organisationnels à l’œuvre au sein du PJD.
En conclusion ? Après huit ans dans l’arène politique et surtout après le 16 mai, le PJD vit un véritable conflit. Si au niveau organisationnel (voir page 33) il se démarque des autres formations politiques en étant un modèle de gestion, il lui manque toujours d’être adoubé par le système. Le PJD est appelé à couper son cordon ombilical avec la religion. Le souhaite-t-il ?
En tout cas, ces questions sont plus que jamais à l’ordre du jour. La voie de la modernité passe par la transformation du statut de l’islam dans nos sociétés. La religion devrait redevenir une foi et une éthique personnelle et cesser d’être une idéologie politique. Autrement, le pire a encore un avenir dans les sociétés arabo-musulmanes