Pouvoirs
Le PAM dans la région, le PJD à la mairie… Comment vont-ils cohabiter ?
Sur douze Régions, le PAM a remporté la présidence des 5 plus riches. Le PJD a remporté les mairies des grandes villes et le PAM les régions dont elles relèvent.

La logique arithmétique a été respectée. Que le PAM, première force politique à l’échelle locale, rafle la présidence du plus grand nombre de Régions n’est pas vraiment une surprise. Le PJD, dont les voix qu’il a remportées en grand nombre ne se sont finalement pas traduits en sièges (ce sont les lois électorales que le même parti a votées et à l’élaboration desquelles il a contribué), n’a pu s’imposer finalement que dans deux régions. Ce qui n’est pas non plus surprenant. Et encore. Dans la région de Rabat, il n’a pu remporter la présidence que grâce aux 23 voix des autres membres de la majorité (RNI, MP et PPS) contre 26 du PJD sur un total de 75 membres. Dans la Région de Drâa-Tafilalet, le PJD (avec seulement 12 sièges sur 45) était à deux doigts de perdre la présidence si ce n’était l’appui du PPS, du MP et de quelques éléments du RNI. En contrepartie, les cinq régions dans lesquelles le PAM s’est imposé, il les a remportées avec un écart confortable de voix. Il est loin devant le PJD et ses alliés à Tanger-Tétouan-Al Hoceima avec un écart de 22 voix. Il a remporté la Région de l’Oriental avec une différence de 14 voix, celle de Béni-Mellal-Khénifra avec un écart de 15 voix, Marrakech-Safi avec 55 voix sur 75 et enfin Casablanca-Settat avec une légère différence de 6 voix, sachant que le PJD s’est largement imposé dans les différents arrondissements de Casablanca.
Cinq régions pour le PAM, ce n’est pas rien. En plus, ce sont les régions qui produisent la plus grande part de la richesse nationale. Ces cinq régions génèrent, en effet, selon le HCP, plus de 60% du PIB en valeur (chiffres de 2013, publiés au début de ce mois). Pour le reste, le RNI a remporté deux Régions (Souss-Massa et Guelmim-Oued Noun) et autant pour l’Istiqlal (Laâyoune-Sakia Al Hamra et Dakhla-Oued Dahab) alors que le MP s’est contenté de la Région de Fès-Meknès. Au total, les quatre formations de l’opposition ont remporté la présidence de 7 régions sur 12. Cela bien sûr en ne tenant pas compte de la nouvelle «position», non encore confirmée, de l’Istiqlal. Une partie du comité exécutif du parti suggère, en effet, que l’Istiqlal revoit ses alliances dans le sens d’un soutien critique au gouvernement. Pour le moment, ce n’est qu’une proposition qui n’est pas encore entérinée par la majorité des membres du comité exécutif. Et quand bien même elle est adoptée, il faut encore qu’elle soit validée par le Conseil national du parti, seul organe habilité à prendre ce genre de décisions.
Une règle non écrite
Pour revenir aux élections locales et régionales, elles posent, pour la première fois, deux problématiques. Le PJD ayant remporté les mairies des grandes villes (les villes stratégiques selon les termes du HCP), les maires de ces villes devront donc composer avec des présidents de Régions issus du PAM. Se pose ainsi la question si cette situation ne risquerait pas de déboucher sur des blocages entre les deux niveaux, le régional et le communal. L’autre problématique est posée à une échelle plus globale. La majorité conduite par le PJD gère les affaires publiques au niveau national, à travers le gouvernement, et elle est majoritaire au Parlement et à l’échelle locale c’est l’opposition qui est aux affaires. Comment un président de Région, issu de l’opposition pourrait-il composer avec une administration centrale tenue, en partie, par une majorité ?
La question est soulevée par plusieurs observateurs politiques. Ahmed Bouz, professeur de sciences politiques à l’Université Mohammed V de Rabat, affirme que «c’est une règle non écrite. La dominance du PJD dans les villes stratégiques est compensée par une forte présence du PAM dans les Régions leur correspondant. C’est sans doute pour maintenir un équilibre politique entre les grandes villes et les Régions (NDLR : qui détiennent aujourd’hui un pouvoir et des prérogatives importants)». Ce politologue va plus loin en avançant que «les présidences des Régions pourraient ainsi servir pour freiner les ambitions politiques débridées des présidents des Conseils des villes stratégiques et surtout éviter d’éventuels dérapages et écarts de gestion».
En résumé, les villes stratégiques qui, selon le HCP, créent le plus de richesses sont dirigées par le PJD et les Régions leur correspondant par le PAM ou éventuellement le RNI. L’équilibre est ainsi installé. C’est une règle non écrite pour un équilibre entre les forces politiques. C’est le cas notamment de Casablanca, Tanger, Tétouan, Agadir, Marrakech… Le cas de Rabat étant bien particulier. Le statut de la ville où l’ordonnateur de paiement est le wali ne pose pas cette problématique même si la ville et la Région sont dominées par la même force politique. Ahmed Bouz estime que «le PJD est lui-même conscient de cette réalité. Sa direction, si elle n’a pas trop insisté sur certaines Régions c’est qu’elle s’est imposée cette conduite, dans son éternelle recherche d’un compromis avec les autres acteurs et forces en présence. Une telle attitude peut être expliquée par un désir de renvoyer des signaux d’apaisement et de tranquillisation.
C’est pour cela qu’il a accepté de se conformer à cette règle de jeu. Car, même après quatre ans au pouvoir, le PJD est toujours en quête de la confiance de l’Etat et des décideurs».
Le PJD de nouveau dans le rôle de victime
Bien sûr, le discours servi à ses bases et ses sympathisants est tout autre. Il se résume en cette litanie répétée en rengaine, le PJD est premier aux élections régionales, et s’il dirige si peu de Régions «c’est parce que le vote des citoyens a été détourné». Alors, le PJD a-t-il vraiment été victime d’un complot ? Pas sûr. Au terme des élections du 4 septembre, la logique arithmétique voulait que huit Régions reviennent à l’opposition, c’est-à-dire au PAM et ses alliés et quatre à la majorité (le PJD et sa coalition). On voit qu’au final le jeu des alliances, décrié par le parti islamiste, a bien été favorable à la coalition gouvernementale. Le PJD n’en a cure, il exige déjà des électeurs un vote en masse lors des futures législatives de 2016 pour lui donner la majorité absolue au Parlement.
Pour revenir à la question des blocages, le politologue avance qu’il «se peut qu’il y ait blocage à l’avenir, mais tout le monde sait qu’il faut un minimum d’harmonie pour réussir cette expérience (NDLR : de la régionalisation avancée et de la gestion de l’affaire locale). Cela dit, le risque de blocage subsiste tant que le degré de polarisation de la scène politique reste encore très élevé». Un bémol toutefois, les deux adversaires politiques ne sont pas pour autant antinomiques au point de s’interdire des arrangements à l’échelle locale. Dans certaines communes, elles sont nombreuses d’ailleurs, les deux formations ont bien été amenées à faire bloc uni. La plus remarquée de ces alliances inattendues étant celle conclue à Tétouan. En plus, «nous ne savons pas encore que seront, demain, les relations entre les différentes composantes de la scène politique. Peut-être que certains partis vont bien arriver à réviser certaines de leurs positions. On ne peut pas non plus prédire à moyen, ou même à court terme, comment seront les rapports entre les partis», estime-t-il. Une chose est sûre, et les partis ont eu l’occasion de le confirmer à plusieurs reprises, «la gestion locale n’obéit pas toujours aux mêmes calculs que ceux des coalitions à caractère national. Il faut souvent prendre en considération la nature des élites locales. Leurs intérêts ne correspondent pas souvent à ceux de leurs partis. Leurs actions ne sont pas non plus toujours dictées par des considérations politiques». De même que «les élites locales ne sont pas toujours concernées par les batailles politiques entre leurs partis. La donne nationale n’est toujours pas présente dans la gestion locale. On ne peut être catégorique», conclut ce politologue.
L’agent d’autorité, facilitateur d’accords
C’est pour dire que les divergences politiques entre le PAM et le PJD ne risquent pas forcément de déteindre sur la gestion des villes et des régions et sur les rapports entre les deux. Tarik Tlaty, professeur de sciences politiques, verse dans ce sens. «Il peut y avoir un tiraillement si la gestion de la Région obéit à une approche politique. Si le souci de la gestion est purement économique et de développement local (NDLR : ce qui est certainement le cas, vu le profil des nouveaux présidents), il ne risque pas d’y avoir de blocage», explique-t-il. Ainsi, poursuit M. Tlaty, «le président de la Région peut construire une relation saine avec les maires des grandes villes dans le cadre de développement local en mettant de côté toutes les considérations politiques. Dans ce cas les divergences politiques ne poseront pas de problème». Cependant, si c’est la dimension politique qui est privilégiée dans les actions des présidents des Conseils des villes et des Régions, «c’est l’intérêt de la Nation qui est mis en péril». Et, affirme-t-il, «je ne pense pas que les divergences entre le PAM et le PJD pourraient nous conduire à cette situation car il s’agit avant tout de réussir cette expérience régionale et gagner le pari du développement local. Et les deux partis et leurs alliés s’y engagent». Par ailleurs, il ne faut pas oublier le rôle de l’autorité de tutelle en tant que «facilitateur» de communication entre les deux niveaux. Cela, même s’il ne s’agit plus de tutelle à proprement parler. Car, depuis la nouvelle réforme de la loi organique des collectivités locales, on parle désormais de «contrôle de l’autorité administrative» qui garde néanmoins un œil sur les finances et décisions stratégiques du président et bureau de la commune. Pour les régions, l’autorité, ou le ministère de l’intérieur, joue un rôle d’accompagnateur. Les décisions du président de commune sont-elles «moins libres» et «moins indépendantes» que celle du président de Région? Ahmed Bouz estime que «le contrôle administratif n’est pas clairement défini. Certes, on n’est plus dans la logique de la tutelle, mais on ne peut pas non plus définir l’étendue du pouvoir de contrôle des autorités locales (et donc du pouvoir central) de la gestion locale. Il faut attende la mise en pratique de ce nouveau concept pour en avoir le cœur net. C’est la pratique à elle seule qui pourra dessiner les frontières entre l’élu et l’autorité, entre le pouvoir central et la gestion locale». Cela dépend aussi bien des agents de l’autorité et le degré de compréhension de leur nouveau rôle, mais également de l’audace et de la personnalité des élus et des élites locales, observe, en substance, ce politologue. C’est que, «dans un grand nombre de cas, les problèmes qui surgissent ne sont pas posés par la loi, mais par sa mise en œuvre».
Pas d’incidence majeure
Pour Tarik Tlaty, les choses sont claires. «Le ministère de l’intérieur exerce à la fois une autorité de contrôle administratif sur les Conseils des villes et des Communes et assure un accompagnement des Conseils (et des présidents) des Régions. A ce titre, l’agent d’autorité peut servir de courroie de transmission entre les deux entités, les villes et les Régions. De même que l’autorité peut définir les prorogatives de chaque entité et mettre en place les lignes de délimitation entre les prérogatives des uns et des autres». Cela dans une dimension locale. Que se passe-t-il à l’échelle nationale où la majorité contrôle le gouvernement et le Parlement (la première Chambre) et l’opposition assure la gestion locale au niveau des communes et des régions ? Là encore, le problème ne devrait pas se poser. Certes on ne peut pas parler, dans le cadre de notre régime politique, d’une «cohabitation» à la française, mais cette situation interpelle plus d’un. «Le cas n’est pas inédit. C’est une situation qui a toujours existé même si elle n’a pas eu autant d’ampleur par le passé», explique Tarik Tlaty. Ce n’est pas pour autant qu’un ministre d’un parti prive une commune de ressources ou de projets pour la simple raison que son président n’est pas issu de son parti. Cela dit, la situation est plutôt profitable dans l’autre sens, lorsque le ministre et le président de commune sont du même parti. Dans tous les cas, «les autorités locales ont toujours pu contrôler la situation, de par les pouvoirs constitutionnels qui leur sont conférés», affirme ce politologue. En définitive, même si d’éventuelles frictions ne sont pas à écarter entre les présidents de communes et des Régions issus des partis différents, cela ne devrait pas avoir une incidence majeure sur la gestion locale. Certes, chacun des deux essaiera de tirer la couverture vers lui, de manière à faire profiter son parti des fruits de gestion, mais c’est de bonne guerre. D’ailleurs, l’actuelle coalition gouvernementale n’est pas éternelle, elle est à une année de la fin de son mandat alors que celui des acteurs locaux vient à peine de démarrer. Et comme le soutient, en substance, ce dirigeant du PAM, «la gestion des Régions, un chantier majeur dans l’évolution démocratique de notre pays, ne devrait pas être otage durant les six prochaines années d’une alliance dont la durée de validité expire dans un an».
