Pouvoirs
Le Mur de Cisjordanie : chronique d’une dépossession annoncée (IIIe partie)
L’activité économique de la région est très affectée. Les produits peuvent difficilement être exportés, même en direction de la Jordanie car l’état des routes et les bouclages quotidiens obligent à faire de longs détours compromettant la conservation des produits.
En violation des conventions de Genève, les soldats israéliens ont refusé aux médecins et ambulanciers l’évacuation d’un blessé, le laissant mourir avant son arrivée à l’hôpital.

Dans cette troisième et dernière partie de son récit, Yasmine Ghallab nous fait toucher du doigt les difficultés des citoyens palestiniens à accéder a des systèmes de santé et d’éducation dignes de ce nom. Les Isaéliens, au mépris de toutes les conventions internationales, se jouent de la vie des blessés et des malades. Un drame qui continue toujours.
Nous visitons un des trois centres hospitaliers de la ville de Qalqilya, une clinique privée totalement déserte à cause de la baisse flagrante du niveau de vie de la population. Malgré les moyens importants dont disposent les hôpitaux, la situation en matière de santé est particulièrement difficile. Les conditions de travail des médecins ont été directement affectées pendant le blocus de la ville, notamment par les incursions de l’armée.
Le médecin nous citera les cas où, en violation des conventions de Genève, les soldats israéliens ont refusé aux médecins et ambulanciers l’évacuation d’un blessé, le laissant mourir avant son arrivée à l’hôpital, et celui où il a dû faire une injection à un malade à travers le grillage de la porte du Mur, les soldats ayant refusé de l’ouvrir.
Il nous donnera aussi quelques informations sur la détérioration de la santé de la population : les services de soins aux mères et aux enfants se sont dégradés. L’acheminement des patients souffrant de pathologies chroniques (troubles cardiaques, cancer, dialyse rénale) vers les villes voisines est désormais difficile. Des décès sont enregistrés au check-point de la ville où le passage des victimes (dont quatre femmes et quatre enfants enregistrés en janvier 2004) a été entravé par les soldats.
Des syndromes d’incohérence, d’anxiété, de peur, d’isolement et de comportement agressif sont relevés chez les enfants. La malnutrition se répand et entraîne l’anémie, affectant désormais 40% de la population. Des maladies comme le stress, l’hypertension, l’infarctus du myocarde et l’hyperglycémie sont en hausse. Et par-dessus tout, on observe en Palestine une forte augmentation de la pauvreté.
Depuis le début de la seconde Intifada, 501 enfants et 27 enseignants ont été tués.
Nous faisons connaissance avec un représentant local du syndicat des enseignants (primaire et secondaire) qui nous informe de l’impact du Mur sur l’organisation de l’enseignement. Ce plan est une obstruction au droit à l’éducation et manifeste la volonté d’Israël de blesser les Palestiniens dans leur dignité par tous les moyens, l’éducation étant un des points forts sur lesquels s’est construite la résistance palestinienne. Les conséquences sur la scolarité et la sécurité des enseignants et des élèves sont particulièrement néfastes.
Pour l’ensemble des élèves qui sont séparés de leur école par le Mur, la scolarisation est nettement compromise par les difficultés d’accès en termes de temps et de distance (ils doivent se lever très tôt, à 4 heures ou 5 heures du matin pour avoir le temps de faire de longs détours) comme d’argent (le transport est plus onéreux). Souvent aussi, et par tous les temps, les portes du Mur restent fermées, n’ouvrent pas à temps pour permettre aux élèves d’assister au début des cours.
Ni les élèves ni les enseignants n’échappent aux humiliations de la part des soldats. Des fouilles au corps leur sont imposées sans égard pour la dignité humaine ou respect dû à la religion. Au moment de l’aménagement du Mur, des barbelés obligeaient les élèves à ramper. Ce genre d’humiliation, comme les fouilles, étaient plus difficilement tolérables pour les filles et les enseignantes.
Depuis le début de la seconde Intifada, 501 enfants et 27 enseignants ont été tués.
Jénine : les Israéliens ont bombardé tous les locaux de l’Autorité, comme dans toute la Cisjordanie et Gaza, le 11 septembre 2001, dans le silence des médias et ce pour nier toute légitimité au pouvoir palestinien.
La ville de Jénine n’est pas à proximité de la Ligne verte et n’est pas directement touchée par le tracé du Mur. Elle est cependant un des points chauds de la résistance en Cisjordanie et, par-delà, un des bastions des groupes armés et/ou extrémistes de la résistance palestinienne. Le siège de Jénine – qui dura deux mois en avril et mai 2002 – fut une des périodes les plus éprouvantes pour cette ville, ses environs et ses habitants.
Nous visitons des bâtiments regroupant les locaux de l’Autorité nationale palestinienne (ANP), un tribunal, une prison et une caserne, tous détruits par les bombes israéliennes lâchées par des avions F16. Cette opération s’était déroulée le 11 septembre 2001 et n’avait fait l’objet d’aucune couverture médiatique. Israël a détruit les locaux de l’ANP dans toutes les villes de Cisjordanie et de Gaza où il s’en trouvait, témoignant de sa volonté manifeste de nier toute légitimité au pouvoir palestinien.
Jénine-Anin : à cause du Mur, des villages sont complètement isolés et certains jeunes, par oisiveté, se sont mis à voler. Pour ces raisons, et parce que le niveau de vie a chuté, les relations familiales sont plus tendues.
Privé de toutes ses terres agricoles par l’édification du Mur qui longe la Ligne verte depuis Salem – district de Jénine -, le village d’Anin est situé à proximité de la Ligne verte. Le Mur bifurque au niveau d’Anin vers l’intérieur pour englober les colonies avoisinantes (Hinnanit, Shaqed et Rihan) et, du même coup, isoler huit villages palestiniens.
Lors de la première phase de la construction du Mur – qui représentaient 140 kilomètres, du village de Salem jusqu’à Ramallah, en passant par Tulkarem et Qalqilya – 51 villes et villages se sont retrouvés privés de leurs terres et 20 complètement isolés entre le Mur et la Ligne verte. La vie des 5 000 habitants des villages isolés dépend complètement des autorisations.
De plus, en raison de la volonté israélienne de transférer la population palestinienne et d’effacer les villages isolés de la carte, toute nouvelle naissance est obligatoirement enregistrée dans un autre lieu à l’est du Mur (sous prétexte de rattachement au district et confirmant l’ambiguïté du statut de ces villages).
À Anin, nous rencontrons des membres de la coopérative locale des femmes qui nous informent de leurs activités et de leurs projets. Elles nous font également part des nouvelles difficultés qu’elles rencontrent en raison de leur isolement et de la chute de leurs revenus. Il leur est difficile de satisfaire les besoins des enfants et de leur faire comprendre la baisse de leur niveau de vie.
Certains jeunes se sont mis à voler, par manque d’occupation et de travail. Leur journée est bien trop oisive. Tout ceci, ajouté à l’exiguïté des habitations, contribue à tendre la relation entre les membres d’une même famille.
Beddou : la ville fait partie du plan d’extension de Jérusalem depuis 1983 avec la confiscation, en application du droit foncier ottoman, des terres montagneuses difficiles à cultiver.
Beddou est située au nord-ouest de Jérusalem. Cette petite ville, comme les 15 autres villes avoisinantes, a un statut tiers. Ces villes sont dans la zone comprise entre le Mur et la Ligne verte et restent sous autorité palestinienne. Cette situation contribue à l’objectif de l’occupant d’isoler les villes palestiniennes entre elles, de briser les liens sociaux et, de manière générale, de rendre la vie encore plus difficile pour pousser la population à l’exil.
Cette localité a fait partie, depuis 1983, du plan d’extension du Grand Jérusalem avec la confiscation, par application du droit foncier ottoman, des terres en montagne difficiles à cultiver. Ce processus de colonisation s’est poursuivi en 1993 avec la création des colonies de Nabi Samuel, Haradar, Giv’on Hahadasha et Giv’at Ze’ev. Ces colonies encerclent cette localité et se veulent être l’extension des colonies de Jérusalem. Cet état d’annexion se veut figé de fait par la construction du Mur.
Le district de Beddou comprend 54 000 dunums (*). Sa population est constituée à 70% de paysans, 18% d’ouvriers et 12% de fonctionnaires. Durant les deux Intifada, la région est restée relativement calme. Mais depuis la confiscation des terres agricoles pour la construction du Mur, plusieurs manifestations pacifiques ont été menées et sévèrement réprimées par l’armée israélienne. En février et mars derniers, cinq habitants de la ville de Beddou ont été tués par les militaires israéliens lors de manifestations pacifistes.
Nous nous rendons sur le tracé du Mur, dont la construction est pour l’instant interrompue. Est-ce suite à la décision de la cour de justice israélienne de réviser le tracé du Mur, en juillet dernier, comme certains l’avancent, ou pour une autre raison, car les travaux continuent dans d’autres secteurs ? Plusieurs dunums de terre ont été confisqués, des milliers d’arbres ont été déracinés et les travaux d’aménagement sont avancés.
La décision de la cour de justice est elle même contestable car insuffisante et elle porte préjudice aux paysans palestiniens dans la mesure où un simple déplacement du tracé du Mur, et non pas son annulation, endommagera encore plus de terres. Le tracé est limitrophe à un site archéologique. Une cité byzantine que les Palestiniens n’ont pas été autorisés à fouiller, mais dont les vestiges ont été déplacés par les Israéliens lors de l’aménagement du tracé.
Les murs extérieurs d’une maison, située en plein milieu du tracé, sont en attente de la confirmation de sa démolition. Pour provoquer cet état d’arrêt, des Palestiniens s’étaient enfermés pendant 13 heures à l’intérieur de la maison qui avait été complètement saccagée (meubles et murs) par les soldats israéliens.
L’activité économique de la région est très affectée. Les produits peuvent difficilement être exportés, même en direction de la Jordanie car l’état des routes et les bouclages quotidiens obligent à faire de longs détours, compromettant la conservation des produits.
Les Palestiniens qualifient la période actuelle de troisième Naqba .
Pour l’ensemble des élèves qui sont séparés de leur école par le Mur, la scolarisation est nettement compromise par les difficultés d’accès en termes de temps et de distance (ils doivent se lever très tôt, à 4 heures ou 5 heures du matin, pour avoir le temps de faire de longs détours).
20 villages sont complètement isolés entre le Mur et la Ligne verte. Ils dépendent entièrement des autorisations. De plus, en raison de la volonté israélienne de transférer la population palestinienne et d’effacer les villages isolés de la carte, toute nouvelle naissance est enregistrée dans un autre lieu, à l’est du Mur, sous prétexte de rattachement au district, confirmant l’ambiguïté du statut de ces villages.
Le transfert de la population palestinienne a pour but d’effacer les villages isolés de la carte et de favoriser l’implantation de nouvelles colonies.
